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Billet de blog 27 avril 2015

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Le pacifiste encadavarisé ou Mélenchon vu au travers du prisme de Fabrice Arfi et Antoine Perraud

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Pour qui suit l’actualité de la « vraie » gauche, celle qui ne se compromet pas avec le parti dit socialiste, l’éditorial tonitruant publié sur le site « Mediapart » le 7 mars 2015 par Fabrice Arfi et Antoine Perraud retient l’attention.
Le billet du 4 mars 2015 du blog de Jean-Luc Mélenchon consacré aux suites de l’assassinat de Boris Nemtsov était pourtant dans le droit fil de ses positions pacifistes maintes fois réitérées depuis la mise à bas de l’oligarque ukrainien Ianoukovitvh fin 2013. Certes, il ne prend pas de gants pour décrire la victime de l’attentat comme ayant été « un cacique de l’ère Eltsine », voire « un voyou politique ordinaire de la période la plus sombre du toujours titubant Boris Eltsine », occupant notamment les fonctions de ministre de l’énergie en 1997 puis vice-président du gouvernement en 1998. Jean-Luc Mélenchon affirme en outre que Vladimir Poutine, loin d’être le coupable du meurtre, dont il ne profiterait manifestement pas, en était au contraire, « après ce mort et sa malheureuse famille», « la première victime politique ».
Il conclut par ces mots : « Tout repose donc à présent sur le sang froid de Vladimir Poutine et des dirigeants russes. Pas de guerre ! La patience, l’écroulement de l’économie ukrainienne, la désagrégation de ce pays qui a tant de mal à en être un, tout vient à point a qui sait attendre. La guerre est le pire qui puisse arriver à tout le monde en Europe et dans le monde…. Les USA doivent rentrer chez eux et laisser les habitants de ce continent régler leurs problèmes. »
Il n’en fallait pas plus pour que Fabrice Arfi et Antoine Perraud larguent le énième brûlot sur le vaisseau mélenchonien, qui en a vu d’autres et a évité celui-là avec aisance, sous les applaudissements du reste de l’assistance si l’on en croit la masse des commentaires hostiles que leur éditorial a suscités sur le site de Médiapart. Pour notre part, nous avons été tout à la fois sidérés, choqués et franchement amusés par les outrances dont ils ont parsemé leur texte. Mais examinons la machine infernale de plus près.

Des cadavres et d’Aragon


Fabrice Arfi et Antoine Perraud reprochent tout d’abord à Jean Luc Mélenchon de « jouer à saute-cadavre », titre du papier. On pense à Aragon, qui, en contribuant au tract surréaliste « un cadavre » publié le 18 octobre 1924 à l’occasion de la mort d’Anatole France, avait ainsi voulu « gifler un cadavre » et « certains jours » avait « rêvé d'une gomme à effacer l'immondice humaine ». Breton se bornait lui à marquer dans ce même tract « tout de même d'un beau signe blanc l'année qui coucha ces trois sinistres bonhommes : l'idiot, le traître et le policier. Ayons, je ne m'y oppose pas, pour le troisième, un mot de mépris particulier. Avec France, c'est un peu de la servilité humaine qui s'en va. ».
Cet Aragon-là, ne doit pas être le même que celui dont Fabrice Arfi et Antoine Perraud louent « l’empathie » pour l’opposer à la méchanceté du monstre, « le guide du Front de gauche », qui « crache sur un cadavre dédaignable : à devoir forcément périr, Nemtsov n'est logiquement plus ». Mais, s’il n’y avait qu’un seul Aragon, celui sorti de la guerre si révulsé contre la prématurément vieillie IIIe République qu’il n’a cessé de la bafouer d’abord chez les surréalistes puis encore plus intensément au PCF ? Le surréaliste si ardent des années 20 n’aurait il pas piétiné, foulé aux pieds voire écrasé le cadavre de Boris Nemtsov, nouvel archiduc François-Ferdinand des bellicistes contemporains, si tel était le prix à payer pour éviter que l’acte de son assassin, sinistre réincarnation de Gavrilo Princip, ne soit l’étincelle qui mette le feu aux poudres ? Les premiers à jouer à « saute-cadavre » ont en effet été les groupes d’intérêt et les États occidentaux qui ont fait du meurtre de Boris Nemtsov un épisode supplémentaire de leur propagande pour justifier leur politique de sanctions contre la Russie, le déploiement de troupes au ras de ses frontières et aussi les hausses des budgets militaires, un peu écornés ces derniers temps par la crise de la dette. Or, comme le fait remarquer …… Jean-Luc Mélenchon sur son blog, « Ne suffit-il que cet homme ait été assassiné pour déplorer sa mort ? ».
Mais peut être ne devrait on pas remplacer le mot « cadavre » par celui de « mouton » ? Fabrice Arfi et Antoine Perraud auraient voulu dire que Jean-Luc Mélenchon s’appuierait sur celui à peine refroidi de Boris Nemtsov pour rebondir plus haut. Au moins, leur objectera-t-on, cherche-t-il à défendre la paix. Pourquoi le lui reprocher alors que les « sauteurs » sont partout et notamment dans le « camp du bien » ? Celui-ci se livre trop souvent à un tri insupportable entre les bons cadavres et les mauvais, notamment ceux des civils tués dans les zones pro-russes dans l’Est de l’Ukraine, selon qu’ils peuvent être utilisés ou non pour alimenter leur croisade contre Poutine mais aussi leur racisme jamais vraiment assumé contre les russes.
On remerciera quand même les auteurs de nous avoir fait découvrir cette expression « saute-cadavre ». Elle mérite notamment d’être réutilisée, de manière plus appropriée, pour qualifier certains auteurs de pseudo-hommages aux morts de Charlie Hebdo, ceux qui regrettaient puis répétaient leur discours anti-Charlie.

Du rire approprié


Le corps de l’éditorial commence par une vraie trouvaille, celle d’une photo extraite d’un numéro de l’Humanité non daté qui rend compte d’une visite de Poincaré, alors chef du gouvernent, à l’un des cimetières de Verdun le 22 juin 1922. On y voit Poincaré tout sourire au milieu des tombes - non, des amoncellement de terre qu’on dirait fraîchement retournée, on retrouvait de nombreux corps sur le champ de bataille dans l’immédiat après guerre - au coté d’un grand escogriffe qui a l’air de ricaner. Au fond, derrière les officiels chenus, on croit distinguer une femme : une veuve ? L’Humanité commente le tout avec férocité : « Comme l’assassin retourne toujours au lieu de son crime, Poincaré-la-guerre, dès qu’il le peut, gagne les régions mortes où reposent les victimes de sa criminelle ambition. Au milieu des croix, il redresse sa taille de nabot, et, comme on le voit, à contempler ce champ de désastres, il sent la joie monter de son cœur et, l’homme qui ne rit jamais, SE MET A RIRE ».
Président de la République défenseur de la loi instaurant un service militaire de trois ans en 1913, d’où son surnom de « Poincaré-la-Guerre », puis artisan discret mais décisif de la « Victoire » en appelant au pouvoir son ennemi intime Clemenceau en 1917 et enfin impitoyable exécuteur des obligations du traité de Versailles sur les opérations allemandes, Poincaré incarne tout ce que la gauche française de l’époque déteste dans le militarisme français. Sa réputation d’homme austère rend encore plus scandaleux son rire dans le cimetière. Mais quel homme public contemporain pourrait lui mieux ressembler, de François Hollande, qui a entraîné la France dans trois conflits depuis son arrivée au pouvoir, d’Obama avec ses guerres secrètes mais meurtrières ou bien de Jean-Luc Mélenchon parlementaire européen, qui veut jouer le rôle de vigie à propos des montées des tensions entre l’UE, les États-Unis et la Russie et connaîtra peut être le même insuccès que le personnage de Jacques Thibault qui tente d’empêcher la guerre de 14 en jetant quelques tracts dans le roman éponyme de Roger Martin du Gard ?

Des erreurs factuelles fantômes


Puis, Fabrice Arfi et Antoine Ferraud nous expliquent que le billet de Jean-Luc Mélenchon est « du reste truffé d'erreurs factuelles » mais ne s’abaissent pas à en dresser le catalogue. Reconnaissons que ce dernier pêche effectivement en ne citant pas ses sources. Même en ne lisant pas le russe, nous avons quand même trouvé sur la toile, en plus de l’inévitable Wikipédia, un site peut être en dehors de la sphère d’influence médiatique des parties au conflit russo-ukrainien et qui détaille les malversations connues de Boris Nemtsov dans les années 1990 (cf. http://www.marxist.com/russia-nemtsov-a-symbol-of-the-right.htm).
Boris Nemtsov y apparaît effectivement comme un de ces affairistes, capitalistes de rencontre ou encore « voyous », comme on voudra, qui ont profité de la mise à l’encan des décombres de l’Etat soviétique. La seule chose positive sur son compte omise par Jean-Luc Mélenchon est qu’il fut dans sa vie antérieure un physicien et l’animateur d’un mouvement de protestation contre le nucléaire suite à l’accident à la centrale de Tchernobyl avant d’être happé par le basculement de la Russie dans le capitalisme le plus darwinien. Un autre point important non mentionné par l’ancien candidat à la présidentielle est qu’il aurait pu être le successeur de Boris Eltsine mais que Vladimir Poutine lui a été préféré. Sur les causes de cette éviction, tout se brouille : Boris Nemtsov avait il atteint son seuil d’incompétence ? ou bien a-t-il été exclu des cercles du pouvoir car n’appartenant pas au clan vainqueur, celui de Vladimir Poutine, qui lui aurait fait porter le chapeau de la déroute financière de 1997 ?
Si la deuxième hypothèse est vraie, ne peut on imaginer que son exécution soit en fait un signal, un avertissement donné par le pouvoir actuel, peut être plus atteint qu’on ne croit par les sanctions et la baisse du prix du pétrole, aux autres clans qui pourraient être tentés de remettre en cause le consensus sur lequel le régime de Vladimir Poutine s’est construit ? En tout cas, le bon sens, boussole que s’est donnée Jean-Luc Mélenchon, peut indiquer une autre piste que celle d’un crime d’extrême-droite, hypothèse qui a sa préférence, et incriminer Vladimir Poutine.
On pointe ici du doigt l’une des faiblesses de l’argumentation de Jean-Luc Mélenchon, à savoir son absence de théorie sur le comportement de Vladimir Poutine. Il s’en est expliqué dans son billet du 9 mars, indiquant qu’il « récuse le « débat » Poutine ou pas Poutine » car son intervention n’a pour seul objet que la paix. Mais, comment faire dépendre son maintien du seul « sang froid » de Vladimir Poutine si celui-ci voulait effectivement, comme le braillent nos officines de propagande atlantistes, opprimer comme Staline et conquérir le monde comme Hitler ? Après tout, si la fédération de Russie devait défendre, comme il le laisse entendre quelque fois, tous les russes vivant en dehors des frontières de la Russie le feu pourrait prendre dans beaucoup des pays de l’ex-URSS.
Toutefois, Vladimir Poutine a jusqu’ici toujours privilégié la défense de son pouvoir personnel en usant tantôt de cruauté et tantôt de persuasion tel le Prince de Machiavel, celui qui ne doit, pour durer, faire régner la terreur que sur peu de personnes ou peu de temps. On le voit mal dès lors tout risquer sur un coup de dés dans une conjoncture qui lui est nettement défavorable, entre le prix du pétrole à 50 dollars le baril au lieu de 100 pendant ses années fastes, les besoins budgétaires civils croissant à cause du ralentissement économique, une population pas si soumise et des vitrines à entretenir à grands frais et périls en Ossétie, l’Abkhazie et maintenant en Crimée.

De quelques chimères


Mais Fabrice Arfi et Antoine Ferraud n’avaient visiblement ni envie de jouer aux auteurs de polars ni de poutiniser. Ils ont préféré démasquer le vrai ressort de Jean-Luc Mélenchon qui est encore son « vice de forme ». Celui-ci ne relève pas du pacifisme qu’il affiche et dont on ne discutera même pas mais de son « culte des grands hommes », à savoir, Mitterand, Dassault, Chavez et donc Poutine, tous alignés dans une continuité assez bouffonne. L’inventaire laisse en effet songeur. En mettant de coté Dassault fils, simple compagnon de buvette au Sénat, parlementaire plutôt VRP de sa quincaillerie volante que politique, et dont on ne voit pas trop ce qu’il vient faire dans cette galère, comment peut mettre dans le même sac les trois autres ? Jean-Luc Mélenchon a été un compagnon de parti du premier, a soutenu le second activement, participant notamment à sa dernière campagne électorale mais ne s’est jamais impliqué, sauf scoop que nous cacheraient Fabrice Arfi et Antoine Perraud, dans celles du dernier.
Ensuite, ni Mitterand ni Chavez n’étaient des Pinochet de gauche. Mitterand aimait certes un peu trop les barbouzes mais il a ouvert toutes grandes les vannes de la liberté sur les ondes et a mis au rebut les derniers restes de l’appareil répressif de la guerre froide et de la guerre d’Algérie - que ses successeurs ont méticuleusement reconstitué et modernisé. Quant à Chavez, qu’accablent les embuches d’une droite locale féroce, son passé militaire et la lecture trop fréquente de Tintin de la part de certains de ses critiques français (notamment Tintin et les Picaros), c’est peut être Badinguet pour nos distingués journalistes mais alors un Napoléon III qui n’aurait pas commis le massacre des grands boulevards le 2 décembre, ni tripatouillé les élections pendant dix ans avec les fameuses candidature officielles, ni mené de guerre extérieure .. en Crimée, au Mexique, ou en Italie pour défendre le Pape contre les italiens mais qui aurait mené une vraie bataille contre le paupérisme, en vue de son extinction.
Non content d’être fasciné par les « grands hommes », Jean-Luc Mélenchon le serait également par la force. L’accusation est grave… mais aussi peu étayée que la précédente. Quoi, doit on comprendre que le candidat à la présidentielle qui parlait, s’il était élu, de jeter les clefs de l’Elysée à la Seine, le créateur du mouvement M6R, l’homme politique fasciné par Podemos serait, sinon un nouveau Staline, au moins un épigone d’Adrien Marquet, socialiste exclu de la SFIO en 1933 avec Marcel Déat, devenu collabo comme ce dernier, pour avoir défendu « l’ Ordre, l’Autorité, la nation » ? On n’y croit pas beaucoup…
Mais peu importe au fond. L’empilement de toutes ces chimères ne cherche en fait qu’à impressionner le cerveau du lecteur en y faisant apparaître l’image d’une fantasmatique « gauche autoritaire » qui « se satisfait de toute tuerie. La gauche autoritaire laisse aux belles âmes le soin de s'émouvoir. La gauche autoritaire interprète le monde là où s'apitoient les idiots inutiles. La gauche autoritaire contemple les omelettes toujours à venir, plutôt que de déplorer les œufs cassés. La gauche autoritaire sait, tandis que la piétaille ne fait que ressentir. » Ce couplet autour de la notion de la « gauche autoritaire » ressemble furieusement à l’antienne de la « gauche totalitaire », chantée si souvent depuis les années 70 pour détruire la vraie gauche, celle des matérialistes et des marxistes de tout poil, dont Jean-Luc Mélenchon a révélé la résurrection en 2012. Quelle chance si les nouveaux rouges se déconsidéraient en adorant une idole extérieure aussi désespérément repoussante que l’URSS des années 70 ! Et là, eurêka, Vladimir Poutine est tout désigné pour prendre la place du camarade Brejnev avec la supériorité du point de vue de nos belles âmes d’être déjà l’icône de l’extrême droite franchouillarde. Grâce à la « gauche autoritaire », on peut ainsi faire d’une pierre deux coups et créer un axe rouge brun pour assurer la quiétude éternelle des Macron, Valls, Hollande et compagnie.
Perdus dans leurs rêves et leurs fantasmes, Fabrice Arfi et Antoine Ferraud en arrivent à conclure sur cette extraordinaire injonction carnavalesque, car son objet doit être inversé pour être saisi : « L'esprit public, surtout en période de crise systémique, doit refuser l'aveuglement moutonnier. » L’aveuglement moutonnier ici visé n’est pas en effet la propagande de guerre martelée sans nuance par l’ensemble des médias et des gouvernants de l’ex G7 qui désigne la Russie, après l’Irak, l’Afghanistan, la Libye et le Yémen, comme cibles de la prochaine croisade pour la plus grande gloire de la démocratie dirigée mais la prose perdue dans le cyber-espace d’un blogueur ci-devant candidat aux élections présidentielles françaises de 2012.

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