Dans certains villages isolés, on imagine toujours que la proximité crée naturellement du soutien.
Que tout le monde se connaît, que personne ne reste seul, que la solidarité fait partie du paysage. Une image d’Épinal…
Parfois, les choses sont différentes.
Une femme, venue d'ailleurs, arrive un jour dans l’un de ces villages reculés, accompagnée de ses enfants.
Dans certaines campagnes, ça suffit à éveiller des questions qui ressemblent parfois à des soupçons :
Pourquoi venir ici ?
Pourquoi seule ?
Pourquoi maintenant ?
Sans famille, sans attaches locales… ça intrigue, parfois ça inquiète… ça fait parler.
Il n'y a plus d'enfants au village… depuis un moment.
Son histoire est simple : une mère seule, un projet d'achat, des revenus modestes, la nécessité de trouver un logement dans ses moyens, quitte à s’éloigner des services… pas vraiment le choix.
Elle pense qu’un village serait heureux de voir arriver de nouveaux enfants, d’entendre à nouveau les rires et les jeux.
L’imaginaire et ses histoires.
La réalité est plus dure : une vie paisible en apparence, mais sans liens, entourée de voisins distants, parfois fermés, parfois méfiants.
Une forme de silence qui, avec le temps, crée une frontière invisible.
Elle vit avec une maladie chronique depuis des années, maladie qui a déjà mis fin à son emploi. Un poste à responsabilités qu'elle affectionnait.
La maladie chronique, invisible et invalidante : elle fait avec, comme tant d’autres.
Un jour, un représentant local la sollicite pour un poste. Un temps partiel.
Dans les petits villages, ça peut se faire comme ça… On sait qu’elle est là, elle ne travaille pas, c’est un peu son domaine, ça pourrait rendre service…
Elle dit non… puis sous l’insistance finit par accepter.
Peut-être pour mettre ses compétences au service du territoire, peut-être par désir d’intégration.
Elle gagne moins que ce qu’elle percevrait autrement, mais elle y voit un sens social, un engagement, une mise à disposition naturelle.
Elle travaille, propose des idées, soutient des projets.
Elle compense ses périodes d'arrêt maladie avec du télétravail pour ne pas mettre en difficulté l’institution… elle s'épuise petit à petit.
Son état s’aggrave, discrètement. Le handicap est reconnu, ses conséquences s’installent.
Les maladies invisibles fatiguent le corps.
Et certains fonctionnements sociaux des petites communes – entre-soi, habitudes, cercles très fermés – fatiguent aussi, autrement.
Elle espère de la solidarité, elle rencontre du silence, de l’indifférence, parfois un mépris diffus.
Aucune main tendue, aucune visite, aucune question.
Seule, avec deux enfants, dans un endroit où les distances ne se mesurent pas en mètres, mais en barrières sociales, en non-dits, en préjugés.
Un parcours médical complexe et laborieux, comme pour de nombreux malades chroniques… beaucoup de médecins…
Jusqu’à ce qu’elle ne soit plus en capacité d’occuper son poste.
Pour elle, cela signifie que même “ça”, elle ne peut plus le faire.
Dans sa trajectoire professionnelle, elle n’avait jamais envisagé l’inaptitude ni même l’invalidité… jamais.
Elle s’est toujours vue responsable de structure pour finir sa vie professionnelle.
Mais c’est un tout autre chemin qui se dessine.
Ce village connaît son histoire.
Elle ne peut plus travailler... c est officiel... constaté medicalement... tamponné...
Tout devrait être simple : démarches administratives, documents, accompagnement adapté.
Soutien, bienveillance, solidarité.
Rien ne l’est.
Elle reçoit des informations contradictoires, des documents incomplets, des réponses tardives.
Les démarches essentielles prennent du retard, certains papiers n’arrivent pas, et l’absence d’accompagnement la laisse des mois sans ressources.
Et tout cela dans l’indifférence générale…
Elle vit dans un endroit où la plupart des gens savent qu’elle se retrouve seule, avec deux enfants, malade et sans revenus…
et absolument personne ne s’en soucie, personne ne vient la voir.
C’est déroutant. Elle écrit, pour provoquer une réaction...silences... les silences sont pour elle, le miroir de leur mépris...
C'est d’autant plus difficile qu' elle se retrouve confrontée à des démarches qui, dans son esprit auraient dû être simples: après tout, les institutions publiques existent pour accompagner les habitants pas pour leur opposer des labyrinthes administratifs.
Elle ne s'imaginait pas qu'un jour, pour obtenir des documents pourtant indispensables, liés à une situation médicalement établie, il lui faudrait saisir la justice... une justice lointaine...
Pour elle l'argent public devrait servir à protéger, soutenir, accompagner, pas à nourrir des frais contentieux.
Dans la seule réponse qu'elle reçoit, elle reconnaît les échos d'un langage traversé par des réflexes anciens, souvent associés aux systèmes patriarcaux: des manières de minimiser, de renvoyer la responsabilité sur celle qui interpelle, de suspecter la parole féminine, avec parfois des formulations qu'elle perçoit comme des insinuations ou des dénigrements genrés. Elle en ressort avec le sentiment d'être insultée. Pourquoi?
Les services sont loin, les transports rares, les réseaux de soutien inexistants. Elle ne partira pas... elle est chez elle et en plus elle n'en a plus les moyens...
Le fonctionnement local repose souvent sur un petit groupe de personnes, aux rôles multiples, où la proximité et l’organisation se mêlent.
Les maisons sont proches, mais la solitude peut être immense.
Pour se protéger, certains diront qu’elle est responsable, qu’elle exagère, qu’elle s’y prend mal.
Les hostilités prennent des formes discrètes : distance, jugement, commentaires…
On oublie son arrivée pleine de bonne volonté, les petits pas pour créer du lien, les gestes d’attention, les essais pour s'intégrer.
Ses voisins, proches géographiquement, semblent suspicieux dès son arrivée.
De petites tensions, des malentendus, des remarques qui piquent…
Des dynamiques relationnelles difficiles, où chacun défend sa version du “vivre ici”.
Elle est vue, parfois observée, mais jamais accompagnée.
Présente, connue… jamais incluse.
C’est le reflet d’un fonctionnement d’entre-soi : un système social qui protège ceux qui en font partie mais qui laisse les autres au seuil.
Des histoires familiales ancrées depuis longtemps, des récits qui façonnent les lieux…
Celui qui arrive n’a souvent que la place de “l’étranger”.
Dans certains environnements ruraux, les dynamiques restent encore marquées par des habitus traditionnels, parfois très masculins :
une manière d’organiser, de décider, de se positionner dans le territoire.
Ce n’est pas que quelqu’un le fait “exprès” : c’est un héritage social, un système.
Ce système accueille difficilement celles et ceux qui ne correspondent pas aux codes.
Et les femmes indépendantes, seules, fragilisées… dérangent parfois les équilibres.
Alors, presque automatiquement, des mots sortent :
hystérique, affabulatrice, instable…
Des mots anciens, qui servent surtout à ne pas regarder ce qui ne va pas dans les structures et les habitudes.
Vivre une fragilité de santé dans un territoire isolé révèle ce que les campagnes offrent…
et ce qu’elles n’offrent pas.
Une histoire ordinaire, malheureusement.
Une histoire qui montre que dans certains villages, plus encore qu’ailleurs,
être malade, être seule, être nouvelle, être femme,
peut suffire à être mise en marge.
Elle rappelle que la solidarité n’est jamais automatique.
Qu’elle se construit, se cultive, s’apprend.
Et qu’une institution publique – quelle qu’elle soit – a la responsabilité d’assurer une égalité de traitement pour tous les habitants,
sans distinction d’origine, de statut ou de fragilité.
Parce que c’est cela, au fond, qui fait la dignité d’un territoire.