Le drâme de Fukushima aura au moins permis de relancer un débat sur la question de l'énergie nucléaire de par le monde et en France. Malheureusement, on a beau ressortir le débat régulièrement, on a l'impression qu'il n'évolue pas. On a très vite droit à une approche manichéenne de la chose avec d'un côté les gens qui disent qu'il faut sortir du nucléaire, ces derniers se faisant conspuer par ceux qui disent que c'est utopique et qu'on ne peut pas faire sans le nucléaire. C'est probablement vrai pour la France qui dépend à 80% du nucléaire qui en fait un cas unique de par le monde.
Les justifications de ce choix en France sont multiples. Tout d'abord on vante l'indépendance énergétique associée à cette production d'électricité. L'argument tombe assez vite quand on sait que la France doit s'approvisionner en uranium à l'étranger. Comment peut-on être indépendant quand on ne détient pas la matière première ? Quand la France cherche à vendre son savoir-faire dans d'autres pays (Chine, Maroc, Lybie, …), elle s'expose à la compétition pour la ressource et introduit de nouveaux acteurs dans la dynamique géopolitique sous-jacente.
Plus récemment, on a utilisé l'argument non polluant de ce mode de production d'électricité pour justifier ce choix. Dans le rapport écrit pour plannifier une réduction des émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2020, le nucléaire ne représenterait que 6% de la solution. Par non-polluant, il faut entendre non-émetteur de gaz à effet de serre donc n'ayant pas d'effets sur les changements climatiques induits par l'injection de molécules agissant sur les propriétés optiques du manteau atmosphérique qui régule le climat de notre planète. Néanmoins, les accidents de ces dernières décennies (Three Mile Island, Tchernobyl, Fukushima pour les plus connues, voir une liste plus exhaustive sur http://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_d%27accidents_nucl%C3%A9aires) ont significativement pollué à la fois l'atmosphère mais aussi les sols. Et quand on pollue avec des éléments radioactifs, c'est pour des siècles, voir des millénaires. Face à cette pollution, il y a un certain déni de réalité. Huit jours après le séisme qui a été suivi par un tsunami et le début des problèmes à Fukushima, un chroniqueur de France Culture vantait la fiabilité des centrales nucléaires. Son argument était basé sur le fait que même après un séisme et un tsunami, les dégats étaient « limités », on avait « évité le pire ». Comment peut-on être aussi cynique? A ce jour, un haut niveau d'incertitude demeure, le premier ministre a même avoué son impuissance ce matin, des aliments distants de 120km sont avérés radioactifs, les simulations de la période haute de crise a montré un nuage ayant balayé Tokyo, un des réacteurs est fissuré et l'océan local montre des concentrations très importantes de radioactivité qui auront des conséquences sur la ressource marine, sans parler de la cinquantaine de héros qui tentent d'éviter le pire en se suicidant au travail. Nous sommes donc encore loin de connaître le bilan de cet accident en terme de pollution et de conséquences. Même son de cloche une semaine plus tard, un ancien ministre des affaires étrangères nous dit qu'il ne faut pas agir sous le coup de l'émotion et qui nous parle d'accident géologique et non d'accident nucléaire. N'y-a-t'il pas un lien entre les deux ? Qu'il soit naturel ou humain, le risque zéro n'existe pas ! La question est : accepte-t'on ce risque ?
Autre argument, l'énergie nucléaire est la moins chère. Cet état de fait serait à discuter au regard d'un certain nombre de coûts non considérés, comme par exemple le délicat problème du traitement des dêchets qui demande des investissements considérables (30 milliards d'euros selon un récent rapport d'Areva) et qui auront un impact sur les factures du consommateur. Une solution parfois trouvée est de se débarasser de ces dêchets dans des pays moins regardant, parfois dans la parfaite ignorance des populations locales. La mise en conformité sécuritaire d'un grand nombre de centrales va également avoir un coût qui se répercutera sur les factures d'électricité. Les prix actuels payés par les consommateurs ne comprennent pas non plus des accidents tel que celui dont on est témoin au Japon, nous savons que les niveaux d'assurance sont loin de couvrir les frais occasionnés. Pour faire face à cette catastrophe (superposée au tsunami et au tremblement de terre) quelques centaines de milliards sont injectés par l'état, on peut déjà être assuré que ça coutera cher aux contribuables. La fin du mythe comparatif n'est peut-être donc pas si loin.
On voit donc que les évidences mises sur la table pour justifier ce choix ne sont justement pas si évidentes. C'est pourquoi un débat doit avoir lieu.
La débat sur des questions qui font appel à des connaissances scientifiques qui demandent soit une formation dans le domaine, soit un effort conséquent pour être appréhendées, est difficile à mener dans une démocratie comptant quelques 60 millions d'habitants. Néanmoins, les citoyens ont au moins le droit de savoir. Mille incidents dans les centrales françaises en 2010. Même si dans le domaine nucléaire, tout devient incident, les citoyens ont le droit d'être au courant. Devant tant d'opacité et de déni de risque, les dirigeants deviennent suspects et il est désagréable en tant que citoyen d'être pris pour un idiot qui ne sait pas ce qui est bon pour la nation. Ces dirigeants pourraient regarder ce qui se passe au Japon. Les japonais font preuve d'une grande sagesse et n'adoptent pas de comportement de panique. Il y a même des employés qui sacrifient leur vie pour leur pays. Une fois n'est pas coutûme, les gens montrent qu'ils sont capables de comprendre une situation complexe. Cacher la réalité est absurde. La question du réchauffement climatique pose le même type de problème. La complexité du système terre rend difficile l'appropriation d'un avis par le citoyen. Au delà de la complexité, il est possible pour tout un chacun de mener un raisonnement simple. Nous injectons depuis 150 ans d'énormes quantités de carbone organique stocké sur des échelles de temps géologiques, il n'est donc pas forcément nécessaire d'entrer dans la complexité de l'ensemble des composantes de la biosphère pour se convaincre qu'une action si rapide va perturber le système climatique terrestre. Une certaine forme de sagesse peut apporter des réponses. Dans le domaine nucléaire, on fait aussi face a quelque chose qui pourrait paraître évident, on joue avec quelque chose qu'on apprivoise mais qu'on ne maîtrise pas. Et qui est dangereux.
On touche ici au principe de précaution. L'Homme libéral nous dit que l'Homme doit aller de l'avant, qu'il ne peut pas aller contre le progrès, contre les avancées technologiques qui modèlent la condition humaine, condition nourrie des plus grands espoirs. Dans la mesure où ces avancées comportent des risques, une société devraient prendre le temps de faire ses choix. Les avancées technologiques sont rarement adoptées après mûres réflexions. Elles ne sont pas davantages plannifiées. Elles sont adoptées mais jamais remises en question. Pourquoi ? Pourtant elles modifient effectivement nos vies. Est-ce toujours pour le meilleur ? Dans un monde cartésien où l'économie matérielle règne, il y a peu de place pour une autre considération de la condition humaine. Seule l'économie dirige les réflexions. Et le temps de l'économie n'a pas le temps de réfléchir, il interdit de prendre du recul. Au contraire, dans cette économie monde, il faut se dépêcher de faire les choix parce que la concurrence menace, il faut être les premiers à sortir de nouvelles choses. Et on en arrive à l'hypocrisie si flagrante ces derniers temps. Les chefs d'état deviennent les super VRPs des entreprises technologiques, notre président a passé une bonne partie de son mandat à aller tenter de vendre des centrales, des TGVs, des avions, des armes. Au mépris de toute morale. N'a t'on pas vu le président recevoir le colonnel Khadafi pour lui vendre des armes pour maintenant lui déclarer la guerre? Lors du 40ème anniversaire du pouvoir de Khadafi, Dassault plantait des affiches gigantesques à Tripoli pour célébrer cet anniversaire.
A qui profite un choix tel que celui du nucléaire en matière énergétique ? Déjà dans les années 60s, Cousteau tentait d'alerter des risques du nucléaire suite à une réunion rassemblant l'ensemble des experts de l'atome s'étant tenue au musée océanographique de Monaco. 50 ans ont passé et on continue de nous ressasser les arguments : demande énergétique, indépendance, production non-polluante et énergie la moins chère. Et pendant ce temps, EDF et l'état n'ont pas investi dans la recherche nécessaire à la diversification des sources d'énergie. On recherche la solution unique, on privilégie la simplicité par rapport à la complexité. Le temps court ne peut pas faire bon ménage avec la complexité.
Dans cette société marchande où la maximisation du profit est la règle, nous sommes en train de voir le risque sacrifié sur l'autel de ce même profit. Sur-usage de la sous-traitance, choix pris à l'encontre de la sécurité. Récemment, un réacteur a été remis en service en fanfare moins d'un mois après son arrêt pour maintenance alors qu'un délai minimum de trois mois prévalait il y a encore quelques temps. Et d'après les salariés de ces usines, ce n'est pas le résultat d'un gain d'efficacité au fil des ans. Les temps d'inactivité ne sont tout simplement pas bons pour les actions et leurs détenteurs.
Des solutions il y en aurait. Economies d'énergie en tête. Devant la demande croissante d'électricité, on nous dit qu'on ne peut pas faire sans le nucléaire. Que les pays en voie de développement affiche une demande de plus en plus forte peut se comprendre. Mais pourquoi la demande continue de croître dans nos pays occidentaux qui sont conscients de la limite de la ressource et qui sont incapables d'envisager une réduction de la demande ? Réduire la consommation énergétique est tout bonnement impensable dans notre organisation de société, dans un monde qui n'a comme impératif que la croissance. Dans un tel contexte, il ne serait peut-être pas vain de rappeler que le progrès ne vaut que s'il est partagé par tous. Mais encore faut-il s'entendre sur la définition du tous.
Notre mode d'organisation sociétale nous place dans un temps rapide, un temps humain qui n'est pas celui de la nature. La nature s'ajuste sur des milliers, voir des millions d'années. Nous prétendons pouvoir maîtriser notre condition sur quelques dizaines d'années, sous prétexte que nous pensons. Vu les déséquilibres démographiques, écologiques, géopolitiques qui nous font face, le temps de la modestie est venu. Faut-il que cette prise de conscience soit globale pour être appliquée ? Cet ancien ministre nous dit que le problème énergétique est national, qu'il n'y a pas de solution globale. Le problème est-il si décorrélé que ça de la dynamique marchande dans laquelle nous sommes inscrits ? De nombreux développements technologiques en cours tels que les OGMs, les nanotechnologies, l'industrie pharmaceutique s'inscrivent dans cette dynamique. Il semble qu'il serait grand temps de mettre en place un autre paradigme qu' « avoir plus, dépenser plus et penser moins », c'est la liberté des gens qui pensent qu'on va trop vite, qui sont prêt à gagner moins et à avoir moins qui est en jeu.