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Billet de blog 22 avril 2021

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Femmes exilées à Lesvos: isolées dans la promiscuité

Dans un camp insalubre, des milliers de femmes subissent des violences morales, physiques, sexuelles, et survivent dans des conditions d'hygiène déplorables. Parlons des droits des femmes en dehors du 8 mars aujourd’hui pour rappeler la situation des survivantes des camps : focus sur les conditions de vie des enfants, jeunes filles et femmes du camp de Kara Tepe.

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Selon Michel Foucault, les Etats modernes se caractérisent  par leur pouvoir de “faire vivre et laisser mourir”. La crise que nous traversons nous renvoie à cette contradiction entre l’ensemble des mesures prises pour “faire vivre” certaines personnes tandis qu’en parallèle les États “laissent mourir” d’autres vies en mer. Entre 2014 et 2020, plus de 20 000 personnes ont perdu la vie en Méditerranée

Nous allons parler ici de celles et ceux qui vivent, ou plutôt survivent, aux portes de l’Europe. Suite à l’incendie du camp de Moria, le nouveau camp Kara Tepe, le “Moria 2.0”, a été installé sur un ancien camp militaire à l’Est de l’île de Lesvos . Plus de 7300 personnes y vivent actuellement dans des tentes proches entre elles, loin des préconisations de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) en matière de distance de sécurité. Contrairement aux idées reçues, ces personnes n'ont pas le statut de réfugiés mais sont encore en attente de réponse à leur demande d'asile, c'est-à-dire en demande de protection. Le statut de réfugié est protégé par le droit international avec la Convention relative au statut des réfugiés de 1951 et son protocole de 1967. Beaucoup de ces demandeurs d’asile sont originaires d'Afghanistan, de Syrie ou du Congo. Ces personnes fuient des guerres, des violences, des persécutions en raison de leur ethnie, caste, religion, opinions politiques ou orientation sexuelle, des menaces d’excision, de mariages forcés ou des menaces de mort. 

Etre une femme, être une femme exilée, être une femme exilée dans le nouveau camp de Lesvos. Dans cet article nous allons tenter de comprendre ce que ces femmes peuvent vivre dans ce contexte d’urgence humanitaire. “Tenter” seulement car quelques mots postés sur internet ne permettront que de mettre en lumière une infime partie des expériences vécues par ces filles, ces adolescentes et ces femmes. 

Dans cet article, visant à dépeindre les conditions de vie des femmes présentes dans le camp de Kara Tepe, le terme général d’“exilées” sera utilisé pour ne pas effectuer de distinction entre migrantes et réfugiées, en effet, elles survivent dans les mêmes conditions de vie déplorables peu importe leur statut légal. De plus, pour reprendre les mots d’Aminata Dramane Traoré, “les migrants sont les réfugiés d’une guerre économique”  rendant  cette distinction d’autant plus fortuite.

La vie des exilé.e.s du camp est caractérisée par l’attente et l’enfermement - les habitantes et habitants ne peuvent sortir qu’une fois par semaine actuellement - produisant alors une ambiance anxiogène pour les personnes concernées. La tentative désespérée d’une femme afghane enceinte de s’immoler par le feu le 21 février 2021 rappelle froidement la réalité des habitantes et habitants du nouveau camp de Lesvos.  Ce geste ultime de désespoir de cette mère de trois enfants (prénommée M.) s'expliquerait, d'après The Guardian, par le repoussement du transfert de M. et de sa famille vers l'Allemagne en raison de sa grossesse. Son mari, quant à lui, a déclaré au collectif Now You See Me Moria (NYSMM), “Les seules causes de ce feu sont les mauvaises conditions dans ce camp. Notre demande de transfert était relative aux conditions de vie que nous avons dans ce camp. Cela n’a rien à voir avec le transfert vers l’Allemagne.” M. a survécu, hospitalisée, elle est actuellement poursuivie pour incendie volontaire par le gouvernement grec. Le mari de cette dernière déclarait, toujours au collectif NYSMM, “Je leur ai dit que les mauvaises conditions dans le camp ont causé cet incendit, que ma femme voulait juste se blesser elle-même. Et personne d’autre.

Si les conditions d’hygiène déplorables, la déshumanisation et la détresse psychologique sont communes à toutes les personnes vivant dans le camp, une approche intersectionnelle est nécessaire pour aborder la situation spécifique des personnes de genre féminin.

Le prisme du genre permet d'entrevoir une partie de l'éventail des difficultés rencontrées dans les camps, et permet d’analyser l’ensemble des failles de l’Union Européenne (UE) dans l’aide aux personnes exilées. Ainsi, les femmes subissent des violences spécifiques liées à leur genre, exacerbées par l’enfermement encore plus strict découlant de la situation sanitaire. Une enfant de trois ans a ainsi été retrouvée dans des toilettes du camp mi décembre 2020, presque inconsciente, après avoir été violée. Shayla, une jeune femme afghane confiait en décembre 2019 à Human Rights Watch la difficulté d’être une femme seule dans le camp de Lesvos et ses craintes d’être attaquée la nuit. Les femmes sont victimes d’après Human Rights Watch de “harcèlement sexuel généralisé” . Ainsi, violences sexuelles et physiques guettent ces femmes exilées, en plus des problèmes d’hygiène personnelle. L’accès à des protections périodiques est difficile, comme en témoigne Janna Fuhrig-Keval, ancienne stagiaire au centre Bashira : “pour les protections périodiques … il n’y a en fait rien en place, aucun dispositif efficace pour que les femmes puissent avoir accès à des serviettes hygiéniques ou autre”. Un autre problème lié à l’hygiène est la toilette en elle-même : étant donné qu’il n’y a pas suffisamment de douches, certains hommes choisissent de se laver dans la mer, quand la majorité des femmes et jeunes filles se trouvaient dans l’impossibilité de se maintenir propres, certaines ne pouvant se laver pendant deux semaines, comme l’explique Janna. 

Il n’y a toujours dans le camp ni eau chaude, ni système d’évacuation pour les eaux usées et les déchets. De plus, les douches et toilettes étaient mixtes dans l’ancien camp, et le sont également dans le nouveau. Or, comme nous le rappelle Janna, “les douches et les toilettes sont les lieux où se produisent la majorité des violences basée sur le genre, où se produisent les viols”. Les femmes, face au danger, sont contraintes de mettre en place diverses stratégies d’adaptation  : “[Elles] nous demandaient parfois des couches pour la nuit, pour ne pas avoir à quitter leur tente car c’est tout simplement trop dangereux pour elles.”

Au micro de Mortaza Behboudi, Blessing, jeune fille de République Démocratique du Congo, implore : “Je demande aux pays européens de trouver une solution pour nous”. Pour répondre à l’appel de Blessing, il est désormais possible d’écrire sur les cartes postales de NYSMM pour les envoyer directement au Parlement Européen (vous trouverez prochainement des détails sur cette action sur le site de Now You See Me Moria). 

Il nous appartient d’agir à notre échelle, de nous indigner, relayer les informations et amplifier les voix des concerné.e.s. Le compte instagram de @now_you_see_me_moria par exemple partage des photos depuis l’intérieur du camp. Il est également possible de donner argent, vêtements, produits d’hygiène et livres à l'association Becky’s Bathhouse

Merci à Louise Escudier pour sa relecture avisée.

english version : https://calltoactionlesvos.wixsite.com/website/post/exiled-women-in-lesvos-isolated-in-an-overcrowded-camp

Eléa Poutrain-Mari

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