Ce mois de juin, il faudrait qu'on s'explique.
On pourrait se lister les raisons pour lesquelles il nous faut impérativement que ce mois de juin soit Juillet 1789, Février 1848, Mai 1945, Mai 1968 et Mai 1981 réunis.
On pourrait se parler des catastrophes, environnementales, climatiques, économiques, sociales, sanitaires et guerrières, des années de merde que nous avons passé, des années de merde qui nous attendent encore. Mais je sais que vous le savez.
Je pourrais vous dire que je n'en peux plus de voir les millions, les milliards d'êtres humains frapper aux portes blindées de nos frontières pour nous demander que tout cela cesse, et que nous bouchons nos oreilles, et que nous nous enfermons derrière nos caméras, nos barbelés, nos armes et nos polices, parce qu'il faudrait fermer nos sens à la cacophonie du bruit des mondes qui s'écroulent derrière nous. Et je sais que vous aussi, vous avez essayé d'ouvrir un peu les yeux.
Je pourrais dire la fatigue de mon époque, qui voudrait faire de moi un super-héros, responsable de tout et partout, blindé d'éthique, de to-do lists, d'acteur du changement. J'ai causé avec des centaines de gens qui se faisaient les chantres du nouveau monde. Certains étaient des gens biens, d'autres non, mais peu importe. Tous disaient plus ou moins directement la même chose : seul, on ne peut rien. Et je sais qu'ils vous ont dit la même chose, et que vous vous êtes demandé où étaient les autres, et pourquoi ils étaient bien seuls sur les journaux.
Je pourrais vous dire que j'ai passé des heures et des heures à chercher, à comprendre ce qui clochait, pourquoi les gens ne se bougent pas, réveillez-vous, on va tous mourir ! A élaborer des plans, des stratégies, des façons d'être, de parler, pour mieux capter, convaincre, écouter, mais que tout cela était dérisoire, et n'a servi à rien. Et je sais que c'est ce que vous avez tenté de faire, et que vous vous êtes désespéré.
Je pourrais vous dire que je suis infiniment triste, parce que ma mère que j'aimais le plus au monde est morte prématurément d'un cancer, et que je n'arrive pas à me défaire du sentiment d'injustice, et que le monde est gris, tout rabougris. Et que je sais que nous sommes nombreux à nous être fait voler des proches ces dernières années, et que l'on pourrait pleurer ensemble.
Je pourrais vous dire qu'on pourrait aller chercher Darmanin et lui coller un pain, et ça serait de la bravade, mais je sais que vous pourriez vous dire que, quand même, ça pourrait peut-être devenir un peu vrai.
Je pourrais vous dire que je suis fatigué de ne pas pouvoir vivre ma vie sereinement, que cela nous est refusé, parce que je sais que cela vous a été refusé.
Je pourrais vous dire que plus rien d'autre ne compte.
L'avenir est devenu étrange, et il faudrait qu'on puisse en discuter. Alors aujourd'hui je voulais juste vous parler.
Pas tchatcher, comme avec des ami.es, à faire bonne figure, pour pas qu'ils s'inquiètent. La parole aux inconnu.es, des inconnu.es me manquait, me manque toujours. Alors il fallait que ça sorte.
Je voulais donc juste vous dire qu'il faudrait qu'on se cherche un peu, et qu'on s'explique, toustes ensembles. Et on ne se connaîtrait pas, ou on ne se connaîtrait plus, et on se verrait, et ce serait intense, beau et magnifique. Et on danserait, et ce serait notre kermesse de la fin d'année, de la fin de ce monde.
Ce mois de juin, ou après, mais en vrai, il faudrait faire vite.