Chèr.e.s ami.e.s eelviennes et eelviens, je suis venue vous dire que je m’en vais.
J’ai repoussé ce moment le plus possible, espérant un sursaut ou un miracle, mais ni l’un ni l’autre n’est venu c’est donc avec responsabilité et tristesse que je vous adresse ma lettre de démission d’Europe Écologie Les Verts.
« On s’est aimé comme on se quitte » dit la chanson, arriver après les européennes de 2009, partir après les municipales de 2020.
J’ai rejoins Les Verts en juin 2009 (la cellule sarthoise en Pays de la Loire) après les élections européennes, mon premier engagement dans un parti politique, pour faire grossir l’espérance et vivre le projet que cette campagne, son récit puis la victoire que la liste écologiste avait fait naître. J’avais décidé de «mettre les mains dans le cambouis», de sortir de l’impuissance mais aussi du confort relatif des combats associatifs, pour contribuer à inventer de nouvelles propositions de politiques publiques, un espoir démocratique et écologique, féministe et universel.
En ce mois de juin 2020, je dois quitter EELV parce que rester adhérente du groupe EELV Sarthe est devenu contraire aux valeurs et aux motifs qui m’ont conduit à m’impliquer chez les Verts. La soumission expresse et quasi sans condition à Stéphane Le Foll, l’ex Porte Parole de Hollande, à l’ex ministre de la FNSEA dès le décès du maire Jean-Claude Boulard en mai 2018, est exactement le contraire de ce pour lequel je me suis engagée en politique. C’est donc en conscience, en raison d’un désaccord politique stratégique long et majeur, et de la non-prise en cause de la gravité de l’impact du sexisme en politique, de l’absence de prise en compte sérieuse de cette question à tous les niveaux de l’animation politique locale, que je mets fin à mon histoire avec EELV.
« On ne dit jamais assez aux gens qu’on aime, qu’on les aime », je vous aime...
Aujourd’hui je pars, forte et reconnaissante des 11 années passées chez les Verts puis à EELV. J’y ai tant appris sur le monde, sa fragilité, les femmes, les hommes, sur les partis, le pouvoir ses excès et ses violences, sur l’organisation et l’animation politique. Pendant ce long bout de vie, j’ai appris sur moi, mes excès, mes limites, mes fragilités, et évidemment sur mes forces, mes valeurs et principes intangibles, mes souplesses et mes rigidités. Onze ans à 100 000 volts, des centaines de rencontres, des moments intenses et parfois historiques, des défaites et des victoires, des amitiés d’une force et d’une sincérité à toute épreuve (et oui, aussi ). Au bout de 11 ans, famille, amours, ami.e.s, et compagnon.e.s politiques ne sont plus qu’un seul et même réseau très étroitement imbriqué. Rien n’est simple quand il faut s’extraire de tels liens.
J’ai beaucoup reçu, beaucoup donné aussi je crois et je vous ai tant aimé. Merci pour ces onze années passionnées.
J’ai aussi le privilège d’être, sous les couleurs d’EELV, une élue de la République, de pouvoir servir l’intérêt, les biens communs et la jeunesse dans ma ville et mon département, d’y représenter l’écologie. C’est une fierté et une aussi grande responsabilité, un privilège dont je veux être et rester digne. Être élue est un privilège (encore trop réservée à une caste blanche et bien cultivée) qu’un droit, mais on ne peut pas tout accepter au nom de ce privilège, on ne peut pas tout négocier sous prétexte d’être élu. Si la participation à l’exécutif coute plus au collectif qu’elle ne fera avancer l’intérêt écologique je crois qu’il faut savoir y renoncer. Il faut savoir dire NON, il faut apprendre à croire aux grands soirs, pour qu’ils arrivent et l’écologie à besoin de grands soirs. Je sais que dans des dizaines de villes c'est ce que vous avez faits fièrement et je vous adresse tous mes vœux de succès pour dimanche.
L’un des slogan de l’écologie politique c’est «agir local, penser global»; un bon slogan, plein de bon sens, qui résume à lui seul le pourquoi de l’impossibilité de rester adhérente d’un parti fédéraliste, très attaché au principe de subsidiarité des territoires, quand on est en désaccord complet avec les orientations, les choix stratégiques et le mode de fonctionnement local... et c’est mon cas. La militance locale est devenue désespérante, source de frustrations, d’incompréhension, d’agressivité passive ou active et de fil en aiguille elle est devenue douloureuse.
Les raisons de la colère...
«Le grand soir écologiste n’existe pas», certes, mais en Sarthe on ne cultive pas le petit non plus.
«Les écologistes ne croient pas au grand soir», voilà la maxime que les eelvien.ne.s sarthois.e.s pourraient inscrire au fronton de leur local. Au fil des années, des décennies, les écologistes sarthois ont grandi et mûris à l’ombre d’un gros rosier socialiste, dans une ville qui fut 30 ans communiste, et dans laquelle l’arrivée d’un baron socialiste local en 2001 - Jean-Claude Boulard - sonna l’entrée d’une première élue écologiste au sein de l’exécutif du conseil municipal: La grande Dominique Niederkorn, élue visionnaire et inventeuse du tramway manceau. Au fil des 3 mandats de JCB le nombre d’élus écologistes a grossi, ainsi que leur influence dans la majorité locale. Lors des débats préalables à la précédente campagne municipale en 2014, la question d’une liste autonome de premier tour s’était sérieusement posée. Déjà à cette époque, c’était l’option qui me semblait la plus porteuse pour mettre en place un nouveau rapport de force avec les socialistes, pour faire peser plus lourd notre projet et en garantir une plus grande mise en œuvre. La majorité en avait décidé autrement, je m’y étais rangée et avais énergiquement fait campane pour la victoire de notre liste commune, qui vît notre groupe monter jusqu’à 14 élus au sein de l’agglo. Mais dès l’élection de 2014 gagnée, la question des moyens et conditions pour être en capacité d’être autonome en 2020 a été posée et les désaccords autour de cette question sont apparus, ils sont donc anciens et bien antérieurs à l’arrivée de Le Foll à la tête de la ville. Son arrivée a accéléré et radicalisé les désaccords et les tensions dans le groupe des élus et le Groupe Local.
Non seulement les écologistes EELV de la Sarthe ne croient pas au grand soir, mais ils font même en sorte que jamais il n’advienne, ils ne s’en sentent pas capable et ne s’en donnent donc pas les moyens.
L’intériorisation de la faiblesse
Les échanges et débats qui eurent lieux dans le groupe des élus après le décès de JCB, quand la question de soutenir Isabelle Sévère notre première adjointe comme candidate s’est posée, ont tout de suite donné le ton. À l’exercice des «pours» et des «contres» le soutien à SLF, quand la colonne des «CONTREs» s’allongeait comme un jour sans fin avec des arguments sérieux comme son rôle au gouvernement Hollande, et celui dans la trahison de nos anciens camarades Baupin, Cosse, De rugy, Placé et Cie..., l’argument «comportement problématique avec les femmes», et «sexisme» écrit noir sur blanc sur le tableau blanc, en face dans la colonne de «POURs» deux arguments imparables balayaient tous les autres : «charisme» et «envergure nationale». C’est là que tranquillement, à l’issue de ces échanges, la majorité décida de ne pas soutenir le projet d’une candidature de la première adjointe écologiste pour changer le rapport de force, mais de soutenir sans condition la candidature de Stéphane Le Foll, collectivement reconnu et qualifié de sexiste, mais «sexiste» c’est moins grave que tellement de choses visiblement... Pourtant, une candidature de la première adjointe aurait été une solution pour départager les deux prétendants à la succession qu'étaient Marietta Karamanli et Stéphane Le Foll.
Depuis juin 2018, la main mise du bras droit de Hollande sur la présidente du groupe (Isabelle Sévère) comme sur plusieurs autres élus s’est développée : Rémi Batiot (VP mobilité) qui souhaitait une alliance de premier tour, ainsi que Jacques Gouffé (adjoint à la transition énergétique), Abdellatif Amar (conseil délégué à la vie associative) et Anne-Marie Choisnes (conseillère déléguée à la restauration collective) qui ont choisi d’être candidats dès le premier tour aux cotés de Stéphane Le Foll sans que ça n’émeuve grand monde. Le Groupe Local a voté tardivement et sans enthousiasme une autonomie de premier tour, évoquant dès ce jour un rassemblement au second avec SLF. Restait à choisir une tête de liste et une ligne de campagne qui ne fâcherait pas trop le grand éléphant gris déjà bien contrarié de ne pas les avoir «eu» au premier tour... Et hop là...
Rien ne va plus...
Compte tenu de tous ces éléments, et en conscience, à l’automne j’ai fait le choix de ne pas être candidate sur aucune liste, de ne pas participer à la campagne de 1er tour d’EELV, mais d’apporter mon aide et mon soutien à la candidate réellement en capacité et ayant la volonté de gagner : Marietta Karamali. J’ai contribué étroitement et de toutes mes convictions écoféministes à sa campagne. Cette députée socialiste, victime des coups de forces Lefollien pour assurer l’édification de sa baronnie sarthoise, a su prendre en compte, écouter et intégrer de manière transverse et sensible les questions d’écologie et d’égalité qui lui ont été proposées. Elle a travaillé pendant 2 ans avec la population pour élaborer une concertation et un programme collectif. Mais aucun élément programmatif, ni les propositions ultra généreuses de partage des responsabilités n’ont ébranlé les certitudes du groupes des écologistes sortants, convaincus qu’hors de l’alliance avec SLF, il n’y avait aucun salut pour l’écologie.
Avec 11 listes au premier tour, un contexte Covid (36,4 % de participation), le soir du 15 mars seules les Liste de Stéphane Le Foll (42%) et de Marietta Karamanli (13,25%) étaient encore dans la course. Le soir même, et sans avoir pris le temps d’échanger avec Marietta Karamanli, ou avec les adhérent.e.s, Isabelle Sévère (9,9%) s’engageait auprès de Stéphane Le Foll pour une alliance de second tour. Alexis Braud s’est ensuite battu pour que cette décision fasse l’objet d’un vote, une AG a donc été organisée... Mais comme lors des présidentielles de 2017, quand le candidate écologiste annonce au 20h qu’il se retire, la consultation à postériori des adhérent.e.s souhaitant éviter une honte encore plus cuisante, valide et couvre la bêtise déjà faite. Alors comme prévu par ceux et celles qui voulaient continuer comme avant, qui ne croient pas en l’effondrement qui méprisent les Alternatiba et autre XR ou Greenpeace, ils ont voté à plus de 80% pour s’allier avec Le Foll pour avoir 6 élus. Ils ont accepté qu’il mette son véto sur plusieurs élus, et n’ont négocié aucun point de blocage ni sur le projet Bener, ni sur la sécurité, ni sur les déplacements, ni sur rien d’autres. Ils auront 6 élus si SLF gagne. Point.
Et pour compléter le tableau, ils ont entrepris des démarches pour suspendre Alexis Braud qui a osé dire ce qu’il pensait de l’alliance avec Le Foll.
Le sexisme devient un point de désaccord stratégique majeur
Fin mai Sandrine Rousseau, Isabelle Attard, Annie Lahmer et moi cosigniions un texte sur «l’après parler», sur ce qu’a changé l’affaire Baupin dans nos vies politiques entre autre.... Nous y écrivions «Parmi la sensibilité il y a celle au sexisme. Nous ne le supportions plus. Nous n’en étions plus capables. Nos parcours de surcroît nous interdisaient désormais de le passer sous silence. Alors nous l’avons dénoncé sans relâche. C'est d’abord par ceci que “d’héroïques” nous sommes devenues encombrantes. Le mot qui revenait pour nous qualifier toutes était “ingérable”. L'exercice politique était de plus en plus compliqué pour nous, le sexisme omniprésent est devenu notre Kriptonite. Nous nous sommes effacées, poussées par les injonctions à être sages et raisonnables, à entendre les intérêts plus grands que ceux du combat pour l’égalité, à passer à autre chose.»
Cette démission est la conséquence de toutes les petites pierres pointues décrites dans ce texte et déposées devant mes pieds depuis 2016. Le déni collectif du sexisme imprime tous nos modes de fonctionnement interne, où quelques-uns monopolisent parole et influencent sous des airs de bonhommie paternaliste. Ces écologistes qui méprisent et minimisent la gravité du sujet pourtant tellement au cœur d’un projet de société écologiste sont dans l’erreur. Un groupe politique qui brame son féminisme statutaire et historique mais qui fait de la militance politique un parcours de combattante et de danger pour les femmes qui s’y engagent. Le désaccord sur la gravité du sexisme et des effets du patriarcat est devenu un désaccord stratégique majeur. Un groupe écologiste qui n’est pas choqué par le sexisme de celui qu’ils acceptent de suivre ne peut plus être le mien, pas plus que ceux qui distillent racisme ou homophobie...
Je ne sais quelle forme prendra mon militantisme dans les mois et les années à venir. Au Mans la cellule XR (Extinction Rebellion) est devenue une douce et réconfortante famille militante d’accueil. J’y apprécie la créativité des modes intervention, l’accueil, la radicalité du combat et l’efficacité du temps militant passé, sans parler de l’ambiance ultra respectueuse et égalitaire qui règne dans le groupe que je connais. Je reste indéfectiblement écologiste, plus que jamais féministe, l’écoféminisme est devenu mon espérance et ma philosophie politique.
J’adresse mes chaleureux encouragements et mes remerciements sincères à tous les camarades en campagne pour une victoire écologiste de second tour, les grands soirs sont possibles, ils sont souhaitables et j’en souhaite beaucoup à l’écologie.
Elen DEBOST