En 2024, les Africains ont versé près de 70 millions de dollars, soit plus de 40 milliards de francs CFA, en frais de visa Schengen refusés. Cela représente 729 000 tentatives infructueuses de traverser légalement des frontières, et autant de fois où les demandeurs sont repartis les mains vides, sauf qu’on leur a d’abord bien vidé les poches. Ce n’est pas une fiction, c’est le business migratoire bien réel, validé et légitimé par des puissances européennes très promptes à dénoncer l’"immigration illégale".

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L'art de refuser sans jamais rembourser
C’est une sorte de taxe post-coloniale, version 2.0. Vous rêvez d’aller visiter votre enfant en France ? Vous avez un colloque à Bruxelles ? Une formation en Allemagne ? Pas de problème : versez entre 80 et 120 euros, fournissez votre relevé de compte bancaire, un contrat de travail, une lettre d’invitation, votre arbre généalogique complet, la photo de votre chien… Puis attendez. Et si votre visa est refusé, ce qui est probable, surtout si vous êtes Comorien (62,8 % de refus), Sénégalais (46,8 %), Ghanéen (45,5 %) ou Camerounais (38,1 %), eh bien… merci d’avoir joué.
Mais ne vous inquiétez pas, votre contribution n’est pas vaine. Elle finance généreusement les caisses publiques des pays qui vous ferment la porte au nez. L’ironie est totale : pendant que les multinationales de ces mêmes pays exploitent les ressources africaines avec la complicité de gouvernements dociles, leurs administrations extorquent les citoyens ordinaires, au nom de la sécurité, de la souveraineté, ou pire encore, du droit à discrétion.
Et l’Afrique n’est pas seule
Ce racket mondialisé ne se limite pas à l’Afrique. En 2024, les taux de refus les plus élevés ont frappé également le Bangladesh (54,9 %), le Pakistan (47,5 %) et Haïti (46,3 %), autant de pays marqués par des crises profondes, où des populations entières cherchent simplement à se déplacer, travailler, étudier ou retrouver leurs proches. Autant dire que la liberté de circulation reste, pour des milliards d’êtres humains, une fiction réservée aux passeports puissants.
Pendant ce temps, les principales nationalités demandeuses de visas Schengen se concentrent désormais en Asie : la Chine, l’Inde, la Turquie, mais aussi des pays traditionnellement mieux traités par les chancelleries européennes comme le Maroc ou la Russie. Cette concentration des demandes traduit une évolution des flux mondiaux, mais ne change rien à la logique profondément inégalitaire du système : certains pays sont, par principe, suspects.

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Des Européens en roue libre, des Africains assignés à résidence
Pendant ce temps, un citoyen français, belge ou allemand peut se réveiller un matin et décider d’aller bronzer à Zanzibar, faire du bénévolat en Côte d’Ivoire ou organiser un safari au Kenya. Aucun formulaire kafkaïen, aucun visa à mendier. L’Afrique reste une destination ouverte, accueillante… parfois trop. Il ne faut donc pas s’étonner qu’un sentiment de lassitude, voire d’exaspération, grandisse à l’égard de ces visiteurs qui jouissent d’un privilège absolu : la libre circulation.
Comment expliquer aux jeunes africains qu’ils doivent prouver leur “intention de revenir” alors que ce sont justement les accords de libre-échange, les politiques d’ajustement structurel et les partenariats prétendument équitables qui les empêchent de construire un avenir chez eux ? Et pendant que les politiciens européens dénoncent l’"appel d’air migratoire", leurs ambassades organisent à grande échelle… une véritable pompe à fric.
Non, ce n’est pas une fatalité : mobilisons-nous
Face à cette absurdité institutionnalisée, le silence n’est plus une option. Il est temps que les Africains et leurs diasporas s’unissent pour exiger la fin de cette escroquerie bien rodée. L’Union africaine, les parlementaires des pays concernés, les intellectuels, les artistes, les journalistes : tous devraient s’emparer de cette question et la porter haut et fort sur la scène internationale.
Pourquoi ne pas conditionner l’accueil des Européens aux mêmes exigences ? Pourquoi ne pas instaurer une réciprocité ? Pourquoi ne pas créer un fonds africain pour soutenir les recours contre les abus de refus ?
Car non, ce n’est pas "normal". Non, ce n’est pas "le prix à payer pour voyager". C’est une humiliation déguisée en procédure. Une sélection à la tête du client, enrobée de formalisme. Et un pillage économique et symbolique qui, chaque année, se répète dans l’indifférence générale.

En conclusion : le visa comme arme diplomatique
Le visa est devenu un instrument de contrôle, une monnaie de chantage, et même une punition déguisée. Son pouvoir dépasse de loin la simple autorisation de franchir une frontière : il est devenu un filtre raciste, un outil de tri entre les "bons" voyageurs et les autres, ceux que l’on soupçonne toujours de vouloir fuir leur misère… que l’on a pourtant contribué à fabriquer.
Dans un monde secoué par les crises climatiques, économiques, migratoires et géopolitiques, où le discours sur la solidarité internationale se répand à chaque sommet diplomatique, il est urgent de mettre fin à cette hypocrisie structurelle. La liberté de circuler ne devrait pas être un privilège blanc ou occidental. Elle devrait être un droit pour tous.
Alors la prochaine fois que l’on vous dira que les Africains ne sont "pas accueillants", pensez à ces 729 000 refus injustifiés, à ces 70 millions de dollars envolés, et aux sourires hypocrites des chancelleries bien garnies.
Et demandez-vous qui, vraiment, mérite d’être mal accueilli.
*Données publiées par le site spécialisé SchengenVisaInfo