Au Festival Heimaten 2024-2027, elle se transforme en exploration existentielle, un voyage introspectif à travers l’histoire complexe de l'Allemagne, terre d’accueil pour immigrés et minorités cherchant leur place dans une société façonnée par ses drames. L'exposition Forgive Us Our Trespasses (Pardonnez-nous nos offenses), projet phare de ce festival, nous invite à réfléchir sur ces péchés d’hier et leur persistance aujourd'hui.


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Pardonnez-nous nos offenses : Un Choc Salutaire
L'exposition Forgive Us Our Trespasses, visible jusqu'au 8 décembre 2024, refuse toute forme de compromis. Loin de chercher la contrition, elle questionne l'idée même de s'excuser pour nos différences. Queer, migrant, croyant ou non-croyant, chaque identité est célébrée sans réserve. Les œuvres présentées offrent une réflexion poétique et politique sur les frontières entre moralité et immoralité, entre transgression et normalité, entre le juste et l'injuste.
Artistes en lumière
Quelques figures marquantes de cette exposition qui compte 53 artistes au total.
Isaac Chong Wai (Hong Kong) convertit le passé en une expérience vivante. Avec des œuvres comme One Sound of Histories, il invite le public à partager des récits personnels dans des lieux marqués par le traumatisme, tels que la Weimarplatz, autrefois siège du Gauforum nazi. Il fait ressurgir les mémoires enfouies pour les réinventer, créant ainsi des espaces où passé et présent entrent en dialogue continu.
Surya Suran Gied (Allemagne) évoque la saga de la diaspora asiatique dans sa série Godori Stop Ghost (2022-2024). Inspirée par les récits de sa famille marqués par la guerre de Corée, elle explore le jeu de cartes godori, joué par sa mère en Allemagne et sa grand-mère en Corée du Sud, créant un lien entre son héritage asiatique et la société allemande. Ses œuvres, véritables ponts entre cultures et générations, rendent hommage à une communauté souvent invisible dans les récits nationaux.
Victor Ehikhamenor (Nigeria) examine le fait colonial et la spiritualité. Dans The Holy King from the Sky (2021), il mêle perles de chapelet, dentelle et une statuette en bronze pour évoquer l’impact des symboles religieux sur l’histoire. The Penance Room (2024), avec son confessionnal et ses mannequins, aborde la culpabilité et la réparation, créant un espace de réflexion sur le syncrétisme religieux et l’héritage colonial.
Explorer l’intime et le collectif
Dorothy Iannone (États-Unis) analyse la sexualité et la liberté à travers des œuvres sensuelles et vibrantes. Installée à Berlin jusqu’à sa disparition en 2022, elle traite de l'érotisme féminin et des relations humaines avec des couleurs éclatantes et des formes libres. Des œuvres comme Flora and Fauna (1973) mêlent amour, désir et spiritualité, défiant les conventions sociales pour célébrer l’intime comme espace de liberté.

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I Gusti Ayu Kadek Murniasih (Bali), dite Murni, a bouleversé la scène artistique balinaise avec ses représentations audacieuses de la sexualité féminine, puisant dans son vécu pour aborder les luttes et les épreuves personnelles. Son œuvre Aman Tapan Kuatir (2004) mêle traditions balinaises et récits intimes, défiant les normes patriarcales et exprimant la complexité de la condition féminine.
Histoire, mémoire et transformation
Hikaru Fujii (Japon) explore les traumatismes japonais à travers des vidéos et des ateliers immersifs. Ses œuvres plongent le spectateur dans les cicatrices de l'histoire, où se rencontrent culpabilité et mémoire. Avec War Is Over (2024), il nous invite à réfléchir à la façon dont une société absorbe et digère ses chocs collectifs, tout en cherchant à se réconcilier avec son passé pour avancer vers l’avenir.
Dani Gal (Israël) vogue entre histoire et vérité, entremêlant faits et fiction. Son dernier film, Dark Continent (2023), s'inspire des réflexions de Frantz Fanon dans Peau noire, masques blancs et examine le racisme contemporain issu des imaginaires coloniaux. Gal nous confronte aux échos d’un passé colonial résonnant dans le présent. Son œuvre interroge l'identité et les séquelles héritées.
Sliman Mansour (Palestine), utilise les oliveraies et les orangers dans son travail pour symboliser la terre et la lutte palestinienne. Son œuvre Olive Harvest (1988) est emblématique de son style réaliste. Ses affiches, depuis les années 1970, adoptent un style abstrait, réaliste et parfois surréaliste pour exprimer la culture palestinienne, la résistance, la résilience et l’espoir.

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Berlin, la ville des mémoires vivantes
« Berlin est une ville condamnée à devenir éternellement, sans jamais être », écrivait Alfred Döblin.
À Berlin, la mémoire est partout : elle respire dans les rues, dans les noms des places et des monuments. À Wedding, par exemple, des figures telles qu’Emily et Rudolf Douala Manga Bell, couple royal de Douala au Cameroun, ou Cornelius Fredericks, chef des Aman, peuple de Namibie, symbolisent la résistance contre l'impérialisme allemand. Berlin n’est plus seulement la ville de la contre-culture ; elle est désormais le terrain fertile d'une mémoire postcoloniale en pleine éclosion.
Au cœur du Haus der Kulturen der Welt (HKW), ce temple dédié au dialogue mondial, les récits des minorités se mêlent à ceux des anciennes colonies. Son architecture audacieuse, toute en courbes et en mouvements, évoque une fluidité similaire à celle des cultures qui y sont célébrées. Des femmes racisées telles que Myriam Makeba (Afrique du Sud, 1932-2008), Marielle Franco (Brésil, 1979-2018), Fannie Lou Hamer (Etats-Unis, 1917-1977), Paulette Nardal (Martinique, 1896-1985), Safi Faye (Sénégal, 1943-2023), Violetta Parra (Chili, 1917-1967) ainsi que les Mama Benz du Bénin, sont mises à l'honneur en ayant leurs noms attribués à des salles et espaces du centre culturel.
Une mémoire collective aux résonances mondiales
Lors de l’inauguration de Forgive Us Our Trespasses, la lecture du poème Guilt, Desire and Love de James Baldwin, qui célèbre son centenaire cette année, a résonné avec force. Baldwin nous interpelle : la culpabilité, le désir et l’amour forment un trio indissociable, au cœur de notre humanité.
Toutefois, l’exposition Pardonnez-nous nos offenses serait difficilement envisageable en France, car elle pourrait être perçue comme un appel à la repentance, une notion largement rejetée dans le pays. Son titre, qui fait allusion à une prière, ainsi que certaines des œuvres présentées, risqueraient de déclencher de vives controverses dans une France au regard rigide sur la laïcité, qui devient de plus en plus aseptisé et réticente à affronter son passé.
Mais au Festival Heimaten 2024-2027, point de tout cela. On ne se limite pas à explorer les failles de la mémoire pour demander pardon. Au contraire, on les transforme en force créatrice, un levier pour envisager un avenir plus juste et plus inclusif.
Infos pratiques :
L’exposition Forgive Us Our Trespasse Of (Un) Real Frontiers, Of (Im) Moralities, and Other Transcendences (Pardonnez-nous nos offenses - Des Frontières (non) réelles, des (im) moralités et autres transcendances) est à découvrir jusqu'au 8 décembre 2024 au HKW, à Berlin.