Le thème de cette édition, Superfine: Tailoring Black Style, n’était pas qu’un hommage à l’élégance noire. C’était une déclaration. Un rappel que, dans l’histoire noire, s’habiller est souvent un acte de résistance.

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Le vêtement, dans notre histoire, parle avant même qu’on ouvre la bouche. Pendant l’esclavage, il était l’un des rares espaces où l’on pouvait encore affirmer sa dignité. Les anciens esclaves revêtaient leurs plus beaux habits pour aller à l’église le dimanche : on appelait cela le Sunday Best. Une manière de se tenir droit, d’exister autrement que par la douleur. Ma grand-mère africaine y croyait dur comme fer. Pour elle, bien s’habiller n’était pas une coquetterie, c’était un principe, presque une foi. Une tenue bien choisie, disait-elle, c’était déjà une forme de respect pour soi-même, et une réponse muette à ceux qui vous regardent de haut.
Plus tard, dans le Sud des États-Unis, les femmes noires de Louisiane furent contraintes par la loi tignon de couvrir leurs cheveux sous des foulards, officiellement pour préserver la décence, mais surtout pour contenir une beauté jugée trop voyante. Elles n’ont pas plié : elles ont fait du foulard une œuvre d’art, un manifeste textile. Alors ne soyez pas surpris de voir, aujourd’hui encore, des femmes, dont je suis, porter fièrement des foulards aux motifs éclatants. Pour nous, ce simple tissu dit beaucoup.

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En Afrique centrale, les sapeurs m’ont toujours fascinée. Dans une autre vie, j’ai croisé quelques figures légendaires de ce mouvement, comme Aurlus Mabélé ou Djo Balard. Ces dandys de Brazzaville et Kinshasa refusaient de s’effacer sous la dictature de Mobutu. Tandis qu’on leur imposait une image figée de "l’homme africain authentique", ils répondaient en costumes trois-pièces flamboyants, cravates éclatantes, souliers trop brillants pour passer inaperçus. Ils ne fuyaient pas la réalité : ils lui opposaient une fierté haute en couleur, un panache tragique et magnifique.

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Ce panache-là ne date pas d’hier. Il me fait penser à Oscar Wilde, ce maître de l’élégance et de l’ironie, pour qui le style était une manière de vivre, mais aussi de résister. Il avait compris que s’habiller, c’était déjà penser, et déranger. L’impertinence devenait posture, le raffinement, une arme douce contre la médiocrité. Les dandys noirs s’inscrivent dans cette filiation, mais avec une charge plus lourde : celle d’avoir à affirmer leur humanité dans un monde qui la leur conteste. Leur dandyisme n’est pas qu’un art de paraître, c’est un acte d’existence.
Ce soir-là au Met, c’était palpable : chaque silhouette portait une histoire. Rihanna, majestueuse dans une robe corset évoquant les tournures du grand couturier Charles Frederick Worth (1825-1895), rendait hommage à ces pionnières noires du début du XXe siècle, comme Madame C.J. Walker ou Maggie Lena Walker, premières femmes d’affaires à s’imposer dans un monde d’hommes blancs. A$AP Rocky dévoilait ses propres créations, issues de son laboratoire créatif AWGE Taylor, mêlant mode et identité. Pharrell Williams, en blazer Louis Vuitton orné de 100 000 perles blanches, apparaissait comme un chef d’orchestre entre tradition et innovation. Colman Domingo, enveloppé d’une cape somptueuse, convoquait les mânes d’André Leon Talley, icône absolue du style et de la verve. Lewis Hamilton, lui, réinterprétait avec classe le smoking blanc de Cab Calloway, symbole des nuits effervescentes du Harlem Renaissance. Teyana Taylor osait une tenue spectaculaire inspirée des zoot suit, ces costumes amples et audacieux portés dans les années 40, synonymes de défi culturel. Et notre “frenchy” national, Omar Sy, défilait dans un costume taillé par l’un des maîtres de la coupe londonienne, Ozwald Boateng, preuve, s’il en fallait, que l’élégance noire s’écrit aussi en français.

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Mais, je pensais aussi aux pagnes commémoratifs de l’Afrique de l’Ouest. Ceux qui portent des messages, le plus souvent politiques, que l’on peut lire comme des tracts textiles. Je pensais au cuir des Black Panthers, à la dégaine de Tupac, au baggy des années 90, au travail de Telfar Clemens ou d’Aurora James aujourd’hui. Le vêtement noir n’a jamais été silencieux. Il dit. Il transmet. Il rêve.
Ce que le Gala du Met de cette année nous a rappelé, c’est que le style noir n’est pas qu’une affaire d’esthétique. C’est une affaire de mémoire. De corps debout. De dignité têtue. Et de liberté cousue main.
Ce soir-là, sur les marches du Metropolitan Museum of Art, la réponse était silencieuse mais éclatante, à l’adresse de ceux qui rêvent d’ordre, de pureté, et d’un monde sans couleur.