Alors que les tensions diplomatiques s’exacerbent et que les tentatives de médiation (Luanda, Nairobi) peinent à contenir l’escalade, Kiboko Fatundu, un parlementaire congolais, livre son analyse sur cette crise qui menace de se transformer en guerre régionale.

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1. Les causes profondes
La guerre au Congo est un secret de polichinelle. Le pays subit une violence indescriptible depuis 30 ans : tueries, massacres, pogroms, génocide... Le calvaire des Congolais débute avec l'accession au pouvoir du président Paul Kagame, qui a entrepris une guerre interminable dans la région des Grands Lacs africains.
Mais le président du Rwanda joue par procuration, dans une conjonction d'intérêts avec des groupes mafieux occidentaux qui fournissent les armes et dont l'objectif est de contrôler les sources d'approvisionnement en matériaux sensibles, nécessaires au développement de la nouvelle économie : le coltan, le lithium, le cobalt, ainsi que les 3T (étain, tungstène, tantale).
Ces groupes d'intérêts cherchent à balkaniser le Congo pour continuer d'obtenir, à vil prix, ces ressources indispensables à leurs industries, tandis que le Rwanda, qui convoite à la fois les ressources et les terres, poursuit un objectif d'expansion territoriale.
Causes lointaines
En 1994, un génocide a eu lieu au Rwanda, perpétré par les Hutus contre les Tutsis. Ces derniers, dirigés par Paul Kagame, luttaient pour prendre le pouvoir. Le renversement du régime de Juvénal Habyarimana, issu de la tribu hutu, s'est alors soldé par le génocide des Tutsis.
Une fois au pouvoir et sous prétexte de poursuivre des génocidaires liés à l'ancien régime réfugiés au Congo (alors appelé Zaïre), le président Paul Kagame a transformé l'est du Congo en un champ de bataille perpétuel. Son armée, appuyée par des supplétifs issus de mouvements rebelles successifs, a mené de nombreuses campagnes militaires avec le soutien de multinationales occidentales, ces campagnes étant marquées par la prédation des richesses du Congo. Ce pillage alimente un cycle continu de violence et de carnages.
En dehors des groupes d'intérêts économiques, des pays de l'OTAN apportent également un soutien indirect aux conquêtes militaires de Paul Kagame, dont le bilan se chiffre à plusieurs millions de morts.
Causes immédiates et résurgence des violences
Il n'y a jamais eu d'accord entre le Rwanda et le Congo. Les dirigeants congolais qui se sont succédé depuis Laurent-Désiré Kabila ont conclu des arrangements avec la rébellion pour calmer le jeu. La rébellion s'est toujours retirée (au Rwanda) sans qu'il y ait de reddition. Et, en se servant des mêmes mobiles, des mêmes arguments, en usant des mêmes méthodes et en étant appuyés par le même mentor, Paul Kagame, des acteurs interchangeables ont toujours su reprendre les hostilités sous de nouvelles appellations : RCD, CNDP, M23, aujourd’hui M23-AFC...
Dans ses objectifs comme dans ses conséquences, les arrangements particuliers conclus entre Joseph Kabila et les dirigeants du CNDP, devenu M23, sont simplement iniques. Longtemps, ces accords, qui maintiennent le pays sous le joug de Paul Kagame, sont restés secrets avant d'être rendus publics. Aucun Congolais ne se résout à les accepter.
En effet, le président Félix Antoine Tshisekedi, qui a succédé à Joseph Kabila, n'a pas voulu les appliquer et a fini par les dénoncer. C'est ce refus d'appliquer ces "accords" qui explique la résurgence actuelle de la violence.
Pour le gouvernement congolais, ces arrangements particuliers consacrent l'infiltration de l'armée nationale, l'affaiblissement de l'État et la perte progressive de la souveraineté nationale du Congo.
Mettant en œuvre ces "accords" en plusieurs vagues successives, le président Joseph Kabila a accepté d'intégrer dans l'armée nationale des bataillons entiers de soldats issus de la rébellion, avec près de 40 % d'officiers issus d'une seule communauté, les Tutsis (rwandophones), par le biais des opérations dites de brassage et/ou de mixage. Ces soldats n'obéissent qu'aux commandements de Paul Kagame.
En vertu de ces fameux "accords", et pendant plus de 15 ans, le gouvernement congolais a laissé libre cours aux hommes de Paul Kagame pour exploiter illégalement les mines du Masisi, de Nyirangongo et de Rutshuru. Dans ces zones minières, les conflits armés sont récurrents : des milices sécurisent les mines, tandis que des officines contrôlées par le Rwanda exportent les minerais de sang.
Dans ce contexte particulier d'insécurité permanente, le Rwanda offre une "paix" précaire et reçoit, en prime, une rente financière annuelle que le Congo lui verse en ponctionnant directement le budget de l'État.
2. Les obstacles au règlement rapide de la crise
L'obstacle majeur au règlement du conflit réside dans l'implication directe et indirecte des puissances censées résoudre le problème.
En effet, ceux que nous considérons comme étant les responsables officiels des instances internationales (ONU, UE, UA...) ne sont que des acteurs apparents. Ces officiels s'arrangent donc, autant qu'ils le peuvent, pour sauver les apparences de leurs vitrines, dont les règles fondamentales (intangibilité des frontières, respect de la souveraineté des États...) ont été maintes fois foulées au pied. Ils se limitent à des incantations et des condamnations, tout en évitant de sanctionner le véritable coupable des attaques et des transgressions au droit international établi. Ce coupable est pourtant connu et désigné. Dans l'ombre, les vrais décideurs travailleraient sur une autre option : la partition du Congo.
La contradiction majeure entre les vrais décideurs et les acteurs apparents maintient la communauté internationale dans l'inaction.
Sur un autre plan, le gouvernement congolais a toujours demandé aux multinationales de traiter directement avec lui pour se procurer les matières premières. Il semble cependant que le coût inhérent à cette stratégie soit supérieur aux conditions offertes par le Rwanda, qui contrôle militairement les mines congolaises. Les multinationales paieraient plus cher au Congo les matières dont elles ont besoin, tandis que Kagame, dont l'armée reçoit des subventions de l'Union européenne et de certains États, offre des services plus avantageux.
Se séparer de Paul Kagame supposerait l'acceptation d'autres charges liées au démantèlement du système et des forces amassées autour de lui, ce qui représente un risque significatif alors que des investissements considérables ont déjà été consentis pour le Rwanda.
3. Les répercussions sur la stabilité politique du pays et l’unité nationale
Il est certain que la guerre a des répercussions sur la stabilité du pays, plusieurs provinces étant touchées et des territoires entiers échappant au contrôle de l’Exécutif national.
Au-delà de l’insécurité pour les populations, il y a une perte de revenus nationaux, qui viennent renflouer les caisses de la rébellion et alimenter encore davantage l’achat et la circulation d’armes illicites.
Toutefois, ce n’est pas la première fois que de grandes villes tombent aux mains de l’ennemi. L’occupation dure déjà depuis plusieurs décennies.
Cette situation a conduit à une forte résilience de la part des Congolais. En 140 ans d’existence, depuis Léopold II et l’État indépendant du Congo, notre pays a su traverser plusieurs transitions sans se disloquer. Certaines évolutions se sont d’ailleurs accomplies dans la conflagration. Et les peuples du Congo, plus de 450 tribus tout de même, ont toujours réaffirmé leur volonté farouche de vivre ensemble. Les Congolais sont unis et vivent en harmonie, sans problème majeur lié aux particularités ethniques. En dehors des manipulations orchestrées par les ennemis du Congo, il n’existe, pour ainsi dire, pas de problème ethnique en RDC.
Les revendications injustement exprimées par la communauté rwandophone procèdent d’une aspiration étrangère aux peuples de la RDC. Du reste, les Tutsis n’ont pas de terres au Congo, où, avant d’appartenir à l’État, les terres étaient la propriété des clans.
Les Tutsis tentent de s’implanter dans le Kivu à marche forcée, par le biais de guerres successives. Ils manipulent la communauté internationale en brandissant un argument fallacieux de discrimination, alors qu’ils détiennent, comme l’ont montré les brassages, la moitié des postes de commandement dans l’armée et des postes essentiels au gouvernement.

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4. Les preuves de l'ingérence rwandaise
Cela fait plus de 25 ans que l'ONU a déployé au Congo l'une de ses plus importantes missions au monde, comptant à un moment plus de 20 000 soldats.
Elle a déjà produit plusieurs rapports officiels, débattus et validés au Conseil de sécurité. Ces rapports attestent de l'implication directe des RDF (Forces de Défense du Rwanda) dans le conflit qui ensanglante l’est de la RDC. Le dernier rapport date du 8 novembre 2024.
Lors de la récente attaque ayant conduit à la prise de Goma, l'ONU, dont la base logistique se trouve dans cette ville, a évoqué l’entrée de plus de 4 000 soldats rwandais en plein jour, accompagnés de chars et de diverses armes lourdes, au vu et au su de tous. Le gouvernement congolais, qui s'appuie sur d'autres troupes d'interposition, notamment ses alliés, parle quant à lui de 10 000 soldats rwandais.
Mais il y a aussi, malheureusement, l'Ouganda, qui participe directement à cette guerre aux côtés du Rwanda. Il convient ici de rappeler la guerre de Kisangani, qui a conduit les troupes rwandaises et ougandaises à s'affronter sur le sol congolais en août 1999 et en mai 2000, pour le contrôle des mines, après avoir tiré plus de 10 000 obus.
Interrogé par CNN sur la présence de soldats rwandais sur le sol congolais au lendemain de la prise de Goma, Paul Kagame a répondu qu'il ne savait pas si ses soldats s'y trouvaient. À la suite de cette interview, des journalistes américains ont publié des images satellites montrant des cimetières militaires rwandais remplis de nouvelles sépultures. Ils en ont dénombré plus de 600. Certains estiment même les pertes à plusieurs milliers de morts, en comptant les corps enterrés précipitamment dans des fosses communes au Congo. Une question se pose alors : comment un si petit pays, officiellement en paix, peut-il perdre autant de soldats en seulement 48 heures ?
Les preuves de l'implication rwandaise sont nombreuses. Elles ont toujours été documentées par les services congolais pour étayer leurs accusations répétées. Il s'agit à la fois de matériel militaire et de soldats faits prisonniers lors des nombreux affrontements sur le terrain. À chaque fois, les assaillants viennent du Rwanda et de l'Ouganda. Et, une fois défaits, ils repartent toujours d’où ils sont venus.
Enfin, plusieurs officiers tutsis intégrés dans l'armée congolaise à l'occasion des brassages ont systématiquement refusé de rendre compte de leurs actions passées, se réfugiant au Rwanda. Ils ont fait valoir leur nationalité rwandaise pour échapper à la justice congolaise. Parmi eux, on peut citer Mutebusi, Bosco Ntaganda et Sultani Makenga. Ils vivent tranquillement au Rwanda et reviennent faire la guerre au Congo quand cela leur convient.
5. Ma vision sur l'implication et la posture des forces étrangères dans le conflit congolais
La RDC bénéficie du soutien du Burundi, qui participe directement aux combats pour éviter une dégradation de la situation à sa frontière. Le Rwanda, quant à lui, finance déjà une rébellion contre Bujumbura.
La RDC peut compter sur ses partenaires traditionnels : l'Angola et l'Afrique du Sud. Ces deux pays font partie de la SADC, l'organisation sous-régionale des États d'Afrique australe, à laquelle le Congo adhère. D'autres partenaires d'Afrique centrale ont exprimé leur soutien en annonçant leur disponibilité à envoyer des troupes, notamment le Tchad, un pays avec lequel le Congo entretient une longue coopération militaire, ayant mené ensemble plusieurs campagnes et opérations au fil des décennies.
Le Rwanda, qui a fabriqué le M23, le soutient donc naturellement. Il bénéficie également du soutien de l'Ouganda, discrètement présent sur le terrain des opérations, ainsi que de celui de la communauté internationale, qui lui fournit l'essentiel de son équipement militaire. Il compte aussi sur l'aide indirecte du Congo-Brazzaville et sur le soutien direct du Kenya, qui préside l’EAC (Communauté des États d'Afrique de l'Est), où Kagame se positionne comme leader attitré.
Il semble donc que le tableau d'une guerre fratricide régionale africaine soit déjà planté.
Les puissances tutélaires, regroupées au sein de l'OTAN, n'entendent pas lâcher le Rwanda, malgré la flagrante violation des règles du droit international. Si, comme le souhaite la majorité des Congolais, désireux d’en finir avec les humiliations, la RDC est poussée à s'inscrire dans les BRICS – en structuration dans le Sud global –, son implication face à l'OTAN risquerait de nous projeter brutalement à l'aube d'une catastrophe : une troisième guerre mondiale.
C'est cette guerre larvée qui se profile actuellement au Congo.
6. Qu'attend le Congo, de manière concrète, de la part de la communauté internationale ?
Le Congo ne demande qu'une chose : le retrait des troupes étrangères, notamment rwandaises, de son territoire. La décision de l'UE de boycotter les minerais estampillés du logo rwandais ne constitue en rien une avancée, car les minerais volés peuvent toujours être écoulés sous l’étiquette d’un autre pays allié au Rwanda, comme l’Ouganda ou le Kenya.
La RDC attend de la communauté internationale qu'elle prenne des sanctions concrètes contre le Rwanda. Il s'agit notamment de l'annulation :
- des contrats de fourniture d'armes ;
- des contrats d'achat de minerais passés avec l'UE (le Rwanda ne possédant pas de mines) ;
- des financements de guerre déguisés, octroyés sous couvert d’aides au développement.
7. Que va faire le gouvernement congolais face à l'urgence humanitaire ?
Le problème du Congo n'est pas humanitaire. Le peuple congolais n'a pas réellement besoin d'aides humanitaires pour survivre. Ce dont les populations ont besoin, c'est de paix, afin de pouvoir vaquer librement à leurs occupations. C'est en travaillant, notamment en cultivant leurs champs, que les Congolais pourront subvenir à leurs besoins.
Bien entendu, il y a de nombreux déplacés internes. Les organisations humanitaires internationales ont toujours eu accès aux populations à secourir dans les territoires contrôlés par les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC). La chute de Goma n'a donc rien changé aux dispositions existantes. C'est plutôt dans les zones contrôlées par la rébellion que les efforts doivent être concentrés, en veillant également au respect des droits humains, alors que plusieurs exactions y sont signalées.

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8. Que faire pour éviter que la crise actuelle ne dégénère en conflits communautaires et interethniques ?
Il n'y a pas de problème interethnique au Congo. Seule la communauté tutsie rwandophone pose problème en raison de son instrumentalisation par le président Kagame. Ce dernier utilise les Tutsis comme boucs émissaires pour justifier ses interventions militaires au Congo et poursuivre son œuvre de prédation. Autrement, en RDC, les Tutsis ont les mêmes droits que les Congolais.
Nous sommes bien en présence d'une guerre économique. Ce qui se passe est un génocide perpétré par des groupes d'intérêts mafieux. En Occident, la population n'en est pas informée, car ces groupes, puissants et occultes, contrôlent les médias et refusent de se retrouver en porte-à-faux par rapport aux valeurs et principes qui fondent la civilisation occidentale.
Et cela dure depuis 30 ans.