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Billet de blog 17 mai 2025

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Procès Sean "Diddy" Combs : Sexe, Pouvoir et Silence

Il y a quelque chose de pourri au royaume des bonnes mœurs. À chaque nouvelle affaire d’abus sexuel, un même ballet funèbre recommence : la victime monte sur le banc des accusés, pendant que l’agresseur est souvent protégé par un épais brouillard d’excuses publiques et d’indulgence collective.

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L’affaire Sean « Diddy » Combs, poursuivi pour trafic sexuel, manipulation et violences, en est la nouvelle illustration. Au cœur de l’enquête : Cassandra « Cassie » Ventura, son ex-compagne et témoin clé. Celle qui, pendant dix ans, a vécu sous la coupe d’un homme deux fois plus âgé, architecte de sa carrière, de son quotidien, de ses silences.

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Sean 'Diddy' Combs et Cassie Ventura le 7 mai 2018 à NYC © Dia Dipasupil / WireImage
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Cassie Ventura et Sean 'Diddy' Combs le 27 janvier 2018 à New York © Steve Granitz / Getty Images
Illustration 3
Sean 'Diddy' Combs et Cassie Ventura le 29 août 2006 à New York © Carley Margolis / FilmMagic

Elle avait 19 ans. Lui, le monde à ses pieds. Très vite, elle entre dans une relation où la peur devient routine. Cassie raconte des « freak offs », ces orgies imposées, filmées, où elle avait des relations sexuelles avec des escortes sous les yeux de Diddy. Sous l’emprise de drogues, elle perd peu à peu sa volonté. Tout était enregistré. Et ces vidéos devenaient autant de chaînes invisibles, utilisées comme menaces : si elle parlait, si elle partait, si elle aimait ailleurs, tout serait révélé. Menace ultime pour une femme dont la carrière publique reposait sur le contrôle de son image.

Elle ne pouvait voir personne, ni même entretenir une relation sans risquer la colère ou la vengeance. Combs contrôlait son image, son corps, ses mots. Ce n’était pas une histoire d’amour. C’était une cage tapissée de luxe, d’illusions et de violences. Et pourtant, aujourd’hui encore, ce n’est pas lui qu’on regarde de travers. C’est elle.

Dans nos sociétés, croire une victime reste un acte suspect. Surtout quand l’accusé est un magnat du hip-hop. Il suffit qu’une femme célèbre prenne la parole pour que la meute se déchaîne. La justice populaire s’inverse : le prédateur devient une victime de son époque, de ses “ex jalouses”. Tandis que la femme, elle, devient un problème. Un scandale vivant. Une gêne.

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La chanteuse Cassie Ventura a témoigné mardi 13 mai au procès pénal fédéral de Sean Combs © Jane Rosenberg/Reuters

Souvenons-nous de Marie Trintignant, morte sous les coups de son compagnon. Elle n’a pas survécu pour raconter. Et pourtant, même dans la mort, on ne lui a pas foutu la paix. Certaines voix se sont élevées pour dire qu’elle était trop intense, trop libre, trop amoureuse, trop instable. Comme si aimer passionnément méritait qu’on vous fracasse le crâne contre un mur d’hôtel. Comme si sa mort était la conséquence logique de son tempérament. Voilà à quoi ressemble le procès posthume réservé aux femmes : une condamnation sans défense possible, une relecture cruelle de leur vie à l’aune de leur mort.

Pourquoi cette réaction si primitive ? Pourquoi ce besoin urgent de démolir celles qui disent “j’ai été brisée”, ou celles qui ne sont plus là pour s’expliquer ?

Peut-être parce que le témoignage d’une survivante nous tend un miroir. Et que dans ce miroir, on voit nos propres silences, nos complicités passives, nos regards détournés.  

Les figures de Cassie se répètent, sous d’autres noms, d’autres visages. Les femmes qui disent trop tôt, ou trop tard, et qu’on fait taire à coups de “pourquoi elle n’est pas partie ?”, “elle savait”, “elle en a profité”. Comme si la souffrance ne pouvait cohabiter avec la notoriété. Comme si être célèbre vous immunisait contre l’emprise.

Mais que sait-on réellement des chaînes invisibles ? De ce qu’on appelle le trauma bonding, ce lien empoisonné qui attache la victime à son bourreau ? Ce pacte tacite de survie, construit sur la peur, la dépendance, la répétition ? Il ne suffit pas de dire “pars” pour s’évader d’une prison mentale.

Et puis il y a le plus troublant, le plus dérangeant sans doute : ce sont souvent les femmes qui jettent les premières pierres. Qui soupçonnent, qui jalousent, qui accusent. Pourquoi ? Peut-être parce que la victime est une traîtresse symbolique. Elle fait vaciller le pacte social du silence. Elle brise l’illusion que tout va bien tant qu’on ne dit rien. Elle rappelle à chacune que ça pourrait arriver. Et ça, c’est insupportable.

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Le procès de Sean Diddy Combs © NewsX World
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Sean « Diddy » Combs regarde son ancienne petite amie Cassie Ventura témoigner lors de son procès pour trafic sexuel cette semaine © Jane Rosenberg/Reuters
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Cassie Ventura au procès de Sean Diddy Combs © Jane Rosenberg/Reuters

Alors on préfère la punir. La tenir à distance. Pour ne pas avoir à se regarder en face. Pour ne pas rouvrir ses propres plaies. Comme le dit une phrase tirée d’un vieux roman noir : “Les femmes ne pardonnent pas à celles qui ont été blessées pour de vrai. Ça rend les autres blessures moins héroïques.”

Croire une victime ne devrait pas être un acte militant. Ça devrait être un réflexe humain. Mais tant que la société préférera sauver les trônes plutôt que les âmes, les Cassie continueront de tomber seules, pendant que les Combs tombent de moins haut. 

Car au fond, le vrai scandale dans l’affaire Ventura-Combs n’est peut-être pas que Cassie ait parlé mais qu’elle ait osé survivre. Et pire encore : se reconstruire.

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