Au fil d’un parcours retraçant l’histoire de cette famille d’industriels havrais, l’exposition offre un aperçu d’une collection transmise de génération en génération, témoignant de l’engagement familial pour l’art et de la volonté de partager un patrimoine culturel.

Le Havre, Berceau de l’Art Moderne
Le Havre, berceau de l’impressionnisme, est un lieu où passé et présent de l’art moderne se rejoignent. C’est ici que Monet peignit Impression, Soleil Levant en 1872, une œuvre phare du mouvement impressionniste. Aujourd’hui, le Musée d’Art Moderne André Malraux (MuMa) perpétue cet héritage avec sa prestigieuse collection. L’exposition des œuvres d’Olivier Senn au MuMa offre un voyage à travers les grandes révolutions artistiques du XXe siècle, alliant richesse culturelle et modernité audacieuse.
Olivier Senn, Mécène et Collectionneur Visionnaire
Né en 1863 dans une famille de négociants en coton, à une époque où les grandes fortunes bourgeoises se bâtissaient dans les colonies, Olivier Senn grandit au Havre, un port prospère à la fin du XIXe siècle grâce à ses échanges intenses avec l’Amérique et l’importation de produits tropicaux. Comme l’illustre la formule attribuée à Eugène Boudin, « Pas de coton, pas de tableaux », la fortune d’Olivier Senn a permis non seulement de prospérer mais aussi de collectionner des œuvres d’art et de soutenir les artistes.
Dès ses premières acquisitions, il se distingue par un regard avisé et un goût affirmé pour l’innovation. En 1916, il s’intéresse à des artistes comme Paul Sérusier, dont les œuvres, encore sous-estimées à l’époque, occupent une place centrale dans sa collection.
Son mécénat dépasse la sphère privée. Dès 1913, il fait don d’œuvres majeures au musée du Havre, dont une esquisse de Héliodore chassé du temple d’Eugène Delacroix. Ce geste inaugure une série de donations aux collections publiques, notamment au musée du Luxembourg, enrichissant les fonds de chefs-d’œuvre de Matisse, Marquet, et Cross.

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Un Portrait de Famille : Les Membres de l’Illustre Famille Senn
La vocation culturelle d’Olivier Senn s’inscrit dans une dynamique familiale de préservation et de partage de leur patrimoine. Cette transmission franchit les océans avec sa fille Alice, installée aux États-Unis avec son mari Rodolphe Rufenacht avant la Seconde Guerre mondiale, qui reste profondément investie dans l’essor et la sauvegarde de cet héritage. Son fils, Edouard Senn, poursuit cette tradition en magnifiant les collections publiques par ses donations.
En 2004, Hélène Senn-Foulds, petite-fille d’Olivier, perpétue cet élan en offrant au MuMa la collection héritée de son grand-père, la rendant accessible à tous. Son cousin, Christophe Karvelis-Senn, se consacre, pour sa part, à la recherche et à la documentation des œuvres, permettant ainsi une meilleure compréhension de ce corpus d’œuvres d’art.
La mémoire de la famille Senn s’ancre également dans des portraits réalisés par des artistes renommés. Jean Benner (1836-1906) immortalise Hélène Siegfried, future épouse d’Olivier Senn, ainsi qu’Olivier et son frère Maurice. Plus tard, Leslie Giffen Cauldwell (1861-1941) peint Hélène Senn en 1915, ainsi que des portraits d’Edouard et de Jacqueline Rufenacht, âgée de 10 ans. Ces portraits incarnent l’alliance entre histoire familiale et tradition artistique.

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Les Grands Courants de l’Art Moderne : Une Collection Diversifiée
La collection Senn offre un vaste panorama des grands courants de l’art moderne, du fauvisme à l’abstraction, en passant par l’expressionnisme, le cubisme et le surréalisme. Elle reflète les ruptures et innovations qui redéfinissent l’art au XXe siècle. Chaque œuvre incarne la vitalité des mouvements de cette époque.
Le fauvisme se distingue par sa recherche de couleurs vives et de contrastes intenses, magnifiquement illustrée par des œuvres issues du Salon des Indépendants de 1905. Dans Le Vieil Arbre d’André Derain et Les Bords de Seine à Nanterre de Maurice de Vlaminck, on ressent toute la vitalité de la scène parisienne, exprimée dans des tonalités qui bouleversent les conventions du réalisme. La Nature Morte au Pichet d’Henri Matisse manifeste la liberté chromatique propre au fauvisme, chaque coup de pinceau traduisant une vision profondément personnelle.
Le surréalisme naissant se révèle à travers des œuvres acquises lors du Salon d’Automne de Paris en 1913, dont La Tour Rouge de Giorgio de Chirico, qui plonge le spectateur dans des paysages urbains énigmatiques. Paysage de Diego Rivera, avec sa composition classique, mêle effets de couleurs et formes géométriques, illustrant un équilibre subtil entre tradition et modernité.
Les dons d’Olivier Senn au Musée du Luxembourg révèlent également son intérêt pour l’impressionnisme et le post-impressionnisme. Arbres au Bord de la Mer d’Henri-Edmond Cross évoque une lumière vibrante et méditative, tandis que La Rue des Saules à Montmartre de Léon-Alphonse Guizet invite à une flânerie poétique dans les rues de Paris. La Femme Blonde d’Albert Marquet, pièce maîtresse de l’exposition, rappelle l’Olympia de Manet par sa composition intime et son jeu de tons clairs, mais y ajoute la douceur et la spontanéité propres à Marquet.
Olivier Senn ne se contente pas de suivre les tendances de son époque. En co-fondant le Cercle de l’Art moderne du Havre en 1906, il s’engage dans une démarche de préservation et d’étude. Sa collection comprend des œuvres du mouvement Nabi, comme Les Licornes de Paul Sérusier, riche en symbolisme et en couleurs, ainsi que des études de maîtres comme Degas, avec son Étude de Mains, et Boudin, dont les Études de Ciel saisissent l’âme changeante des paysages normands.
La collection embrasse également l’abstraction naissante, représentée par l’œuvre de Picasso, Le Mendiant de sa période bleue, qui témoigne de la sensibilité du peintre face à la condition humaine.
Enfin, des œuvres de Pierre Bonnard, comme Paysage d’Automne, et de James Abbott McNeill Whistler, avec son Projet de Mosaïque, explorent une vision plus contemplative de la nature et de l’espace.
Ainsi, la collection Senn invite à un voyage à travers l’histoire de l’art moderne, révélant les ruptures et continuités d’une époque fascinée par la couleur, l’émotion et l’expérimentation.
L’ampleur de la collection Senn repose aussi sur le rôle essentiel des marchands d’art qu’Olivier Senn fréquente et comprend. En étroite relation avec des figures emblématiques comme Ambroise Vollard, Paul Durand-Ruel et Alexandre Bernheim, il accède à des œuvres fondamentales, ce qui façonne son goût et oriente ses choix. Grâce à ces échanges, il enrichit sa collection d’œuvres novatrices et contribue à la valorisation et à la diffusion de l’art moderne en France.

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L’Art : Un Héritage à Transmettre
L’exposition de la collection Senn au MuMa du Havre est bien plus qu’une simple présentation d’œuvres d’art ; elle incarne un acte de transmission. Loin de toute logique de spéculation, cette démarche reflète une aspiration de faire de l’art un patrimoine vivant et pérenne, porteur d’un héritage culturel transcendant les limites du temps et de l’appartenance.
Informations pratiques :
Lieu : Musée d’Art Moderne André Malraux (MuMa), Le Havre
Dates : Du 16 novembre 2024 au 16 février 2025
Pour plus d’informations : https://www.muma-lehavre.fr/fr