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Billet de blog 23 octobre 2024

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Jean-Baptiste Oudry et les Chasses Royales

L’exposition "Oudry, peintre de courre : Les chasses royales de Louis XV", en cours au Château de Fontainebleau jusqu’au 27 janvier 2025, offre une immersion saisissante dans l'univers somptueux de la chasse à courre, symbole de prestige et de pouvoir sous l’Ancien Régime.

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À travers une cinquantaine d’œuvres du maître animalier Jean-Baptiste Oudry, ce parcours met en lumière l’alliance intime entre art, nature et cérémonial royal, une fusion magnifiée sous le règne de Louis XV.

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Affiche de l'exposition © Château de Fontainebleau, 2024
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Portrait de Jean-Baptiste Oudry © Jean-Baptiste Perronneau, 1747-1753, Paris, Musée du Louvre

Dans cette époque où la chasse était bien plus qu'un simple passe-temps, Oudry saisit avec une virtuosité inégalée les scènes épiques de la vénerie, cet art de poursuivre le gibier à cheval avec une meute de chiens. Chaque toile est une ode à la nature maîtrisée, où les chiens royaux, les chevaux et le cerf, figures centrales de ce rituel fastueux, prennent vie sous le pinceau délicat du peintre. Les œuvres exposées dévoilent une technicité saisissante : le mouvement des animaux, la lumière filtrant à travers les feuillages, et la majesté des paysages de chasse transforment ces tableaux en de véritables témoignages d’un art de vivre royal. Fontainebleau, résidence de chasse privilégiée des rois, est ainsi l’écrin idéal pour cette exposition.

Illustration 3
Le Rendez-vous au carrefour du Puits du Roi, dit le Botté du Roi © Jean-Baptiste Oudry, 1735

Les Tapisseries : Un Art en Trois Dimensions

Oudry ne se contenta pas de peindre des scènes de chasse. Il fut également chargé de concevoir les cartons pour les fameuses tapisseries des Gobelins. Initialement commandé pour trois scènes de chasse en 1733, son projet s’étendit à neuf grands cartons, dont six sont aujourd’hui exposés. La restauration méticuleuse de ces pièces, assurée par le Centre de recherche et de restauration des musées de France, révèle la finesse de la palette d’Oudry. Son usage du blanc, comparé par Vincent Cochet, conservateur en chef du château, à l’audace moderniste de Kasimir Malevitch, démontre une sensibilité chromatique remarquable.

Le visiteur pourra admirer ces chefs-d'œuvre au sein de l’appartement des Chasses, un espace d’ordinaire fermé au public, où la délicatesse des tapisseries et leur dimension monumentale rivalisent avec les plus belles créations de l’époque.

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Louis XV tenant le limier, allant au bois au carrefour du Puits solitaire © Jean-Baptiste Oudry, 1739
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Tenture des Chasses Royales. Louis XV tenant le limier, allant aux bois, au carrefour du Puits solitaire, forêt de Compiègne © d'après J.B Oudry, Manufacture royale de tapisserie des Gobelins, 1743-1744, Compiègne, Musée national du Château

Chasser pour Régner : Une Symbolique du Pouvoir

Loin de se réduire à une simple pratique sportive, la chasse pour Louis XV revêtait une dimension politique et symbolique. Héritée des anciens rois, la vénerie royale était l’expression même de l’autorité et de la tradition monarchique. Chasser, c’était gouverner. L’organisation méticuleuse des battues, l’entretien des meutes royales et le faste des cortèges traduisent un ordre rigide où chaque élément, chaque geste, renforce la stature du souverain.

Pour Louis XV, qui chassait presque quotidiennement, ce rituel était un art de vivre mais aussi un outil diplomatique. La chasse permettait de resserrer les alliances et d’affirmer la prééminence du pouvoir royal. Être convié à assister aux chasses du roi, voire à partager le souper à l’issue de la journée, relevait du privilège suprême, réservant cet honneur à une élite triée sur le volet.

Un Rituel Universel

Si la chasse à courre de l’Europe monarchique semble unique, elle trouve des échos dans d’autres cultures royales du monde. Dans la Perse antique, la chasse avec des faucons, appelée qazaq, incarnait également le prestige royal. En Afrique de l’Ouest, les monarques du Dahomey s’adonnaient à la chasse pour démontrer leur pouvoir sur la nature, rappelant les liens étroits entre force physique, sagesse stratégique et autorité. Au Japon, le Takagari, ou chasse au faucon, prisée des samouraïs, symbolisait un équilibre entre la maîtrise de soi et la domination de l'environnement.

À travers ces traditions, on discerne un fil conducteur : la chasse est bien plus qu’un loisir, elle incarne la relation complexe entre l’homme, la nature et le pouvoir. Victor Hugo, dans Les Misérables, illustre ce rapport à travers Jean Valjean : "Il y a un spectacle plus grand que la mer, c'est le ciel; il y a un spectacle plus grand que le ciel, c'est l'intérieur de l'âme." Ici, la chasse devient une métaphore : une quête du contrôle, mais aussi une introspection de la puissance humaine face à l'immensité naturelle.

Oudry, l’Illustrateur des Fables de La Fontaine

Jean-Baptiste Oudry ne fut pas seulement un peintre de la cour, mais aussi un brillant illustrateur des Fables de La Fontaine. Entre 1729 et 1734, il réalisa des dessins captivants qui accompagnèrent une édition prestigieuse des célèbres fables. Ses œuvres, d’une grande précision, donnent vie aux animaux allégoriques, renforçant la portée morale des textes.

Dans "Le Cerf se voyant dans l'eau", Oudry capte la vanité du cerf admirant ses bois avant sa chute, tandis que dans "Le Loup et l'Agneau", il illustre magnifiquement l’injustice du pouvoir. Par ses traits, Oudry sublime la poésie de La Fontaine et crée une symbiose unique entre art visuel et littérature.

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Tome Premier des Fables de Jean de La Fontaine © Illustrations de Jean-Baptiste Oudry

Fontainebleau : Un Écrin de Pouvoir et d’Histoire

Le cadre exceptionnel du Château de Fontainebleau, avec ses 1300 pièces et ses jardins à perte de vue, offre un lieu idéal pour cette plongée dans l’univers des chasses royales. À quelques kilomètres de Paris, ce lieu, riche d’histoire et de majesté, accueillit tous les souverains français depuis François Ier. Son architecture et ses collections d’art reflètent l’évolution des styles et des pouvoirs à travers les siècles, de la galerie François Ier à l’appartement des Chasses. Il est un véritable témoin du dialogue entre art, politique et nature.

En somme, l’exposition "Oudry, peintre de courre" ne se contente pas de présenter des œuvres d’art ; elle invite à une réflexion profonde sur le pouvoir, la tradition et la relation complexe entre l’homme et la nature. Fontainebleau, de son côté, continue de jouer son rôle de gardien d’un héritage vivant, où l’histoire, l’art et la philosophie se rencontrent pour nourrir notre regard contemporain.

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Salle du Trône de Napoléon 1er © Château de Fontainebleau
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Bibliothèque du Château de Fontainebleau © Château de Fontainebleau
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Salle Saint-Louis © Château de Fontainebleau

Infos pratiques :

  • Exposition : "Oudry, peintre de courre : Les chasses royales de Louis XV"
  • Lieu : Château de Fontainebleau, 77300 Fontainebleau
  • Dates : Jusqu'au 27 janvier 2025
  • Horaires : Tous les jours sauf le mardi, de 9h30 à 17h00

Pour plus d'informations et réservations : www.chateaudefontainebleau.fr

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