C'est en écho à ce billet de Sarah Dulaurier titré "Pardon à nos enfants, regardons-nous colons". Mon billet d'hier entre lui aussi en échos sur plusieurs plans.
"Tant que les lapins n'auront pas d'historiens l'Histoire sera celle des chasseurs", on connaît (ou pas) la métaphore.
Regarder en face l'histoire du colonialisme, celle qui ne nous a pas été racontée, celle des lapins dépecés sous les couteaux triomphants des chasseurs qui nous ont gavés de la leur, 20*oui.
Mais de quel tréfond clouté devrions-nous reconnaitre et porter jusque dans un sentiment qui la fonderait, l'appartenance à un "nous" génériquement "occidental blanc" devant assumer comme son nouveau péché originel l'Histoire des chasseurs? N'est-ce pas une construction racialisante aussi idéologiquement abstraite que la généralité des personnes au derme plus nettement pigmenté réduites en esclavage? Si.
Je ne suis évidemment pas le seul dont l'histoire du nom de famille aussi blanc que la peau dans quoi s'abrite l'écorché commun constituant ma vie biologique, est celle des lapins. Aussi l'histoire de ce nom telle que je la porte n'est-elle pas fière d'un égotisme, mais d'être une illustration factuelle parmi d'autres, c'est ainsi que je tiens à nous la conter :
D'abord nous fûmes des commerçants, paraît-il, vers le 15° siècle, des marchands ambulants probablement. Là, au point où l'on a pu saisir notre histoire, ils étaient protestants. Donc persécutés, fuyant des traques et des exactions au sein des possessions territoriales monarchiques que se disputaient des duchés, où ils vivaient. Persécutions qui, un tout petit peu moins loin de nous dans l'Histoire, agies contre d'autres personnes partageant un autre lien culturel constitutif du monothéisme, se sont appelées "pogroms", et plus récemment, contre d'autres encore et pour d'autres motifs pas encore alors tramés au religieux, "ratonnades"*. A quoi je me sens pleinement autorisé en affect et en logique conjoints, c'est à dire en raison, et corrélativement en droit, à assimiler "l'affaire Théo" en tant que plus récent exemple, porté en exergue du plus monstreux de l'humain précisément par qui devrait être en soi symbole et acte d'une exemplarité inverse.
En Suisse romande nous arrivâmes donc un peu comme des Syriens au Liban, réfugiés politiques fuyant la torture publique et la mort, tout simplement si j'ose dire. De là, je ne sais ni au bout de combien de temps ni par quel chemin de cols et de crètes ou repassant par le sud de la France, ou juste parce que se redistribua alors la projection des frontières sur les territoires, devenant paysans nous eûmes durant un assez long moment racines en Italie, exploitant un lopin des terres les plus arides dans les hauteurs accessibles des Alpes au nord d'Aoste.
Devenant donc Italiens ils devinrent également catholiques (depuis mon père nous sommes athées), plus que propablement dans la nécessité d'une intégration sous pression ne serait-ce que du réel social environnemental, un peu à l'instar des Maranes espagnols (sans préjuger ni projeter une répression du protestantisme en Italie dans ces époques, je n'en sais rien, mais je suppose la complexe pression sociale, exercée dans le simple partage de la vie quotidienne, par la majorité native depuis un peu plus de quelques générations qui se retrouve à l'Eglise aux occasions rituelles respectées, sur les très peu qui n'y sont pas, dans des relations de commerce et de simple contact humain d'immédiate proximité).
Nous nous dévoloppâmes sur ces nouveaux enracinement durant quelques générations traçant moins d'une poignée de siècles, avant la fracture d'un autre départ en quête d'une nouvelle terre d'asile. Ce sont probablement les conséquences des guerres européenne napoléonnienne qui conduisirent à une précatisation encore accrue de la petite paysannerie des montagnes, toujours est-il que vers la fin du XIX° siècle nous prîmes le chemin des Amériques, c'est ce qu'on m'a dit en tout cas. Mais peut-être n'avions-nous pour but qu'un peu plus loin, un peu plus loin, un peu plus loin.
Quoiqu'il en fut du vœu d'une destination, un voyage il faut pouvoir se le payer, même quand on ne peut pas envisager de se payer l'avion puisque ça n'existe pas, ni le chemin de fer pas même encore assez développé. Alors c'est à pieds, et il faut vivre donc travailler, ou/et mendier, ou/et voler, tout le long du chemin. Je n'ai récit que du travail, et c'était justement de poser les rails du chemin de fer en construction entre Milan et Mars. On voyage toujours au rythme des moyens de transports qu'on a sous les pieds ou que l'on conduit de ses mains.
"Journalier" comme on disait, aujourd'hui on dit "CDD", variante industrielle en l'occurrence déjà mobile des "serfs" enracinés, qui eurent peut-être par moments historiques, même peut être assez longs, davantage de garantie de protection de leurs vies, en même temps que la certitude contractuelle qu'elle ne leur appartenait pas. "Taillable et corvéable à merci". Soulignons que le "à merci" inclut le pouvoir de l'action de grâce, en réponse à requête justifiée par acte de soumission absolue, reconnue comme chance ultime de vivre (en dire "merci" pour "nous n'en pouvons plus davantage"). Je ne sais quelle clause des contrats El-Khomri y correspond, merci de m'en informer.
Les journaliers venus d'Italie n'étaient pas beaucoup mieux accueillis en France que les réfugiés de Syrie et d'ailleurs, les miens en tant que "migrants économiques" : on voyait couramment en eux comme aujourd'hui des concurrents avides et jaloux, des êtres qui bien que très catholiques ne pouvaient être que mauvais de par leur nature même d'étrangers déferlant pour razzia, une angoissante "menace de l'intérieur" composant un "ILS" sans autre définition que d'être le nom vide de Satan en attente de corps, "ritals", "bougnouls", "nègres", "espinguoins", manouches", "youpins", et même "homosexuels", "altermondialistes", "cultivateurs bio en coop", voire "communistes", pour jouer le rôle du bouc. Des voleurs de poules dignes seulement d'être bastonnés et lynchés par la population légitime, elle-même exploitée sur un territoire qui n'est pas le sien, mais où s'entretient sa perpétuation familiale dans celle du prélèvement de sa plus-value dont elle grapille ce qu'on lui laisse de miettes pour vivre, c'est à dire travailler.
Journaliers des chantiers du chemin de fer donc, jusqu'à Marseille à partir d'où l'on cesse de construire des rails vers les Amériques pour charger et décharger des bateaux. Nous devinmes donc dockers sans cesser d'être en CDD, résidants du quartier de la Belle-de-mai, le premier "quartier nord" historique de la ville de Marseille, avec tout ce que celà sous-entend d'entassement dans l'étroitesse et l'insalubrité, la misère, le mépris dont on est l'objet, l'accusation de sournoisie prédatrice, peut être la perte de repères culturels et le passage à l'exaction pour survivre. J'ai récits de la course au charbon, livré par tombereaux hippotractés à ceux qui pouvaient s'en payer, à laquelle s'adonnaient les enfants : il fallait être deux, l'un qui grimpe au cul du tomberau pour en faire tomber autant qu'il le peut de charbon avant de tomber lui-même sous les coups de fouet jetés par le cocher par-dessus son épaule, tandis que l'autre court derrière avec un sac pour le remplir. J'ai appris aussi que le cuivre se revend bien et que le Vieux-Port est une mine à ciel ouvert tant il y en a à démonter des bateaux de plaisance, mais que c'est très risqué, on peut y gagner de sérieuses blessures, un handicap grave, ou y perdre la vie.
C'est un auteur français de la même origine qui, à ma connaissance, raconte le mieux, depuis l'expérience de "la zone" de Lyon dans les années 50, ce qu'ont pu être (mais sans doute pas tout à fait, du fait de la tradition fondatrice millénairement multi-culturelle du grand port Phocéen), les conditions de vie de ma famille bis-aïeule proche. Avec la différence dans cette temporalité encore raccourcie de l'Histoire des lapins migrants, qu'après la seconde guerre ces lapins Italiens n'étaient certainement dans leur grande majorité ni fascistes en fuite ni ancien résistants ni persistants communistes ni animés de quelque autre intention que de survivre aux conditions de non-vie des pays détruits, innocents vaincus et punis d'être nés au mauvais moment au mauvais endroit, cherchant probablement de meilleures conditions de leur reconstruction sur les territoires non moins détruits des vainqueurs.
Je parle de Louis Calaferte. Je n'aime pas dire "il faut", mais je pense qu'il est essentiel à notre santé mentale, surtout lorqu'elle est assaillie de ce sentiment de cupabilité d'être d'un "nous" dans lequel notre "je" ne se reconnaît que pour raison de la couleur de son enveloppe dermique inversement axée en morale, de lire comme je l'ai fait au moins le "Requiem des Innocents" et "Le partage du vivant". Et non moins lorsqu'on n'est pas porteur de la responsabilité d'un nom de famille italien, en écho universel de cette je l'espère célèbre sentence de Frantz Fanon : Quand vous entendez dire du mal des juifs, dressez l'oreille, on parle de vous (je tiens à préciser que je n'ai pas lu l'article du Monde, je le lie par facilité pour l'information qu'il contient nécessairement, je ne sais pas si l'on peut y lire un "axe" ou un autre).
Pour ma part je ne porte aucune culpabilité raciale ni d'aucune autre nature quand au colonialisme, au commerce triangulaire et à leurs chaines conséquentielles contemporaines. A l'inverse je partage une accusation, que l'on peut qualifier "de classe". Ou portée par les lapins aux chasseurs si l'on préfère, c'est en effet plus joli et peut être bien plus juste en réalité, depuis cette histoire de mon nom qui en tant que telle ne saurait être davantage "nationale", en aucune façon. Et je tiens aussi à rapporter que la majorité des lapins parmi lesquels je vis l'essentiel de mon aujourd'hui, dont le pelage n'est pas blanc, sont davantage en état spirituel de pardon et de volonté ouverte et praxéologique de développements d'une autre Histoire, que d'accusation.
Ceci non pour adresser quelque reproche à ceux qui éprouvent ce sentiment de culpabilité, je sais votre émotion d'horreur, sincère comme toute émotion, c'est celle que je partage, mais j'espère vous avoir un peu aidés à la vivre mieux, d'abord avec davantage de justesse quand à notre information et nos identifications. L'histoire des chasseurs n'est pas la nôtre et les enfants ne sont pas coupables de croire que les histoire qu'on leur raconte ne peuvent être autre chose que de la vérité. Les adultes par contre peuvent être parresseux, même à lever les mensonges qui contiennent et exacerbent leurs propres hantises, au lieu de les soigner. Maintenant si vous considérez que l'histoire de votre nom de famille comporte en ces affaires une part de responsabilité assez écrasante pour que vous vous sentiez en devoir de demander ce pardon, je trouve que vous avez raison de le faire. A chacun de connaître les parts de responsabilité historique de sa lignée et d'en tirer ses propres enseignements et développements personnels.
* Ces exactions de nature proche de "pogroms" ou "ratonnades", sont continues à Marseille au quotidien, par vagues de plus ou moins grande amplitudes sans doute de micro-évènements que l'on pourait dire oméopathiques et portés par des processus qualifiables de capilaires. Les couvertures médiatiques sont épaisses, elles cherchent à s'empiler sur de justes hauteurs pour dé-chiffrer des domaines de cohérence et des tendances à des échelles de généralités statistiques et plus particulièrement en cette pédiode de campagne maintenant achevée qui ne fait que commencer un nouveau tour de ses inlassables manivelles pour atteindre le prochain. Mais sous ces couvertures, les grouillement acariens restent au chaud, il faut hélas qu'un Théo se la prenne pour qu'on en ait un aperçu, dont alors se trouve immédiatement déniée par les chasseurs la portée générale, ce qui ne saurait davantage induire en moi le moindre sentiment de culpabilité. On a moins d'apperçus lorsque ces exactions relèvent du fait divers, que les petits groupes d'individus qui s'y adonnent n'offrent pas une visibilité organisationnelle susceptible de porter l'appellation de "milice", et que n'y sont pas impliqués, ou pas directement, des membres de forces "de l'Ordre" en exercice de leur mission.