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Billet de blog 27 septembre 2020

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Au-delà de cette limite, votre billet est nul

Zéro rhino, c'est rosse...

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Je prends la plume à l’altitude approximative de 5000 mètres, dans un avion à hélices comme je croyais qu’il n’en existait plus à part dans les Indiana Jones. Par le hublot, je vois un océan cotonneux figé en une écume blanche s’étirant moelleusement jusqu’à l’horizon. Un horizon où le rose du soleil levant se mêle au bleu pâle d’un ciel qui se débarrasse des derniers lambeaux de sa nuit (ptain ! C’est beau ! On dirait du Baudelaire… enfin, du Raymond Baudelaire, mon voisin de palier, celui qui écrit des poèmes).
Et donc, ce brave vieil astre solaire se lève… attendez, je regarde… oui, c’est bien ça… à l’est. Je sais ça vous paraît évident mais il est bon parfois de pouvoir se raccrocher à des trucs intangibles dans ce monde en perpétuelle agitation.

Un qui ne s’agitera plus, par contre, c’est Otto, un rhinocéros blanc mâle qui vient de mourir à l’âge de quarante cinq ans. Au Kenya. L’info en elle-même, la mort d’un animal dans un parc naturel protégé ou un zoo, n’est pas un scoop sensationnel…
Sauf qu’Otto (en fait je ne sais pas s’il s’appelait « Otto » mais accoler ce prénom nazi allemand à « rhino » me fait marrer), était le dernier mâle de son espèce. Il ne reste plus que deux femelles survivantes (« Ventura » et « Plasty »... je sais, je sais, j’ai des joies simples) et à mon humble avis, ça va être coton pour les faire se reproduire. A moins que la science ne fasse très très vite, de très très gros progrès en matière de reproduction assistée sans spermatozoïdes, c’est mort…

Le rhinocéros blanc a, de fait, rejoint les rangs, appelés à grossir exponentiellement dans les prochaines années, des espèces disparues.

Otto est mort (la prochaine fois je l’appellerai « Bernard »… c’est rigolo aussi). Quand il est né, en 1973, il restait sept cents rhinocéros blancs. Sept cents copains et copines avec qui batifoler dans la savane. Il n’y en a plus que deux et ce sont des filles. C’est aussi con et triste que s’il restait deux gars. Pour la lignée, c’est râpé. Vous allez me dire : « Mais, what the fuck ??? Que s’est-il passé ??? »

Il s’est passé une épidémie de connards. Une maladie qui a terrassé les rhinocéros blancs en quarante-cinq ans. Comme vous le savez sans doute, le connard est un virus à forme humaine qui s’attaque à tout ce qui peut renforcer sa connerie. Croyances, libidos en berne, choix gustatifs, trophées de chasse, marché noir, braconnage. Cette saloperie est multiforme. Et virulente.

Toujours par le hublot, alors que l’avion amorce sa descente sur Paris, se déroule une immense mosaïque aux mille teintes de vert et d’ocre tachée de loin en loin d’amas grisâtres. Petites formes géométriques agglomérées d’où partent des traits plus ou moins rectilignes les reliant entre elles. En direction du soleil, les surfaces humides renvoient leurs éclats comme une rivière de diamants dans la vitrine d’un joailler. (En fait on dirait plutôt du Musset… euh, Jean-Claude Musset, mon facteur, qui fait les rédactions de son fils pendant que celui-ci joue à Mario Kart).

Et il n’y a pas de vaccin. C’est incurable.

Prenons une planète… Un objet céleste solide en forme de boule. Couvrons-la d’océans. Déjà ça commence à avoir de la gueule. Puis, sur les terres émergées que vous aurez aléatoirement mais génialement fait surgir de ces mêmes océans, ajoutez ça et là, des forêts, des cascades, des déserts, des fleuves, des prairies, des glaciers, des toundras, des rivières, des montagnes, des marais, des vallées verdoyantes, des lacs. Dans la mer, du sable, des rochers, des algues et des coraux. Puis regardez le truc et même si vous êtes un dieu, vous vous dites « p’tain, Marcel ! Tu t’es pas foutu d’la gueule du monde… »

Du monde !!! Mais oui c’est ça ! Il faut du monde, maintenant ! Du qui vole, court, nage, rampe, marche, volette, saute… Avec des plumes, de la peau, des poils, des écailles, des exosquelettes. Tu leur fous des ailes, des nageoires, des pattes, des élytres ou alors rien, tu laisses le truc ramper. Et pour finir tu noies tout ça sous des déluges de couleurs. Des tempêtes de bleu, des orages de rouge, des cyclones de vert, des tsunamis de jaune. Du brillant, du mat, de l’argent, de l’or. Du blanc le plus pur au noir le plus profond. Un orgasme de teintes éclatantes. Du pointillisme, du fauvisme, de l’impressionnisme. Ta palette c’est l’arc-en-ciel, régale-toi.

Et là, tu regardes…
Et tu pleures…

Tu pleures parce que tu n’as jamais rien vu d’aussi beau. Même lui là, le cuirassé à quatre pattes, avec sa corne posée sur son pif et son armure blanche. S’il n’était pas là, il manquerait à l’ensemble.

Ben ça y est… Il manque… Définitivement.

Pendant ce temps, mon avion à hélices touche le tarmac, rebondit de travers comme sur un trampoline mal fixé, retouche la piste, re rebondit en se penchant vers la droite ce qui a pour conséquence d’ouvrir dans de multiples claquements mécaniques les coffres à bagages du côté gauche et de balancer leur contenu dans la tronche des passagers des travées côté droit. L’aile droite laboure sur cinquante mètres un des terrains vagues qui séparent les pistes et l’hélice entre en contact avec le sol. C’est le sol qui gagne et l’énorme ventilateur d’acier se tord en une explosion rageuse qui donne fort heureusement une impulsion vers la gauche à l’appareil qui du coup retrouve une assiette à peu près équilibrée. Le pilote qu’une bonne partie des voyageurs insultent en français et en breton (je vous rappelle qu’on est sur la ligne Quimper Paris) et qui jusque-là, surtout à l’atterrissage, ne nous avait pas convaincu de la réalité de ses diplômes, a la présence d’esprit de solliciter les freins d’une façon péremptoire (j’entends, car son micro n’était pas coupé, un truc du genre : « mais tu vas freiner espèce d’enculé de pourriture de ta race maudite d’avion à hélices de merde !!! » et de fait, le coucou de l’arche perdue se met à ralentir sensiblement pour atteindre au bout de quelques éternités une vitesse de père peinard. Tous flanqués d’un masque à oxygène qui se balance devant nos yeux exorbités, nous cessons de hurler, nous recommençons prudemment à respirer et c’est l’explosion de joie.

Nous acclamons le pilote, l’applaudissons, le célébrons. Quelques-uns parlent de légion d’honneur. Les passagères lui hurlent qu’elles le kiffent à mort, que c’est quand il veut, où il veut. Certains trépignent pour faire un selfie avec lui dans le cockpit, veulent lui laver les pieds, se prosterner, lui apporter des offrandes, le porter en triomphe dans tous les terminaux de l’aéroport et au-delà. Ils exigent son nom pour le foutre dans leurs prières. D’autres veulent l’adopter, l’épouser, le coucher sur leur testament et dans leur plumard, lui offrir leurs « miles », lui faire un chèque, l’inviter au prochain barbecue, donner son prénom à leurs enfants y compris à ceux qui en ont déjà un, quitte à faire le siège de l’Etat Civil. Un groupe de chinois (ça devait être eux les insultes que je n’ai pas captées) veut lui faire des dons d’organes : un œil, un rein, un testicule, un foie… Bref, c’est la joie, le soulagement, la liesse… le bonheur.

Un bonheur atténué par les douze heures pendant lesquelles il nous a fallu rester dans le zinc, le temps que le bus navette ait l’autorisation de la tour de contrôle, en grève, de venir nous chercher.

Naaann… Je déconne. En vrai l’atterrissage s’est super bien passé.

Mais pour en revenir à nos rhinos disparus et par extension, à nos errements méprisables d’humains complètement cons, nous sommes face à deux immenses ratages. Celui de la migration des miséreux, victimes de guerres et celui de l’écologie. L’un par égoïsme forcené et l’autre par fatalisme criminel. Nous allons le payer très cher. C’est écrit dans nos actes et nos reniements. Nous avons tout vérolé sur cette planète, par avidité, par aveuglement et nous n’en avons pas une autre de rechange. L’extinction des rhinocéros blancs n’est qu’un signe supplémentaire indiquant notre incapacité à penser la globalité des interactions mortifères induites par ce qui demeurera le plus grand suicide collectif de l’histoire de la Terre. Même les dinosaures ont eu l’excuse d’un élément extérieur qui a causé leur disparition. L’Homme sera, lui et seulement lui, comptable de la sienne.

Au fait… Est-ce que je vous ai parlé de la diminution drastique des effectifs d’oiseaux des champs ? Trente pour cent en quinze ans. Non ?... Ben ce sera le sujet d’une prochaine histoire parce que là je fatigue et faut que j’aille me moucher.

Soyez bons.

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