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Billet de blog 5 mars 2023

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WTF JKR

Cet article propose une analyse du boycott du jeu Hogwarts Legacy proposé face à la transphobie de JKR, autrice de la saga Harry Potter.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ces derniers jours, les internets se déchirent autour du jeu Hogwarts Legacy (HL), dernier né de l’énorme licence Harry Potter (HP). En effet, un nombre conséquent de militant.es trans et queer appellent à boycotter le jeu, sur l’argument de la transphobie manifeste de JKR, autrice de la saga. D’autres accusations circulent sur le jeu, notamment le rôle des gobelins, antagonistes principaux, dont la représentation reposeraient sur des clichés antisémites. N’étant pas personnellement très documenté sur ce deuxième point, le reste de ma réflexion partira du principe que les accusations d’antisémitisme sont avérées. En réalité, le bien fondé ou non de ces accusations n’aura que peu d’impact sur ce que je souhaite mettre en avant.

Avant toute chose, est ce que JKR est transphobe ? Oui, et ce n’est plus à prouver. Je prendrais pour la suite de ce texte ce fait pour acquis, n’ayant pas pour but ici de décortiquer la rhétorique de JKR, mais d’analyser la stratégie de boycott proposée en réponse. Je vous laisse consulter ces quelques sources pour en juger.

Est ce que son argent sert ses intérêts transphobes ? Oui, probablement. Ma rapide recherche n’a pas confirmé l’accusation que j’ai pu voir circuler, selon laquelle JKR financerait des groupes TERFS. Quoi qu’il en soit, on ne peut pas nier que sa grande notoriété et ses moyens donnent au moindre de ses propos une grande audience. On sait également qu’elle a mené depuis son compte twitter une campagne soutenue contre une loi écossaise visant à simplifier le changement d’état civil des personnes trans, des mineur.es notamment.

Mon intérêt ici se porte sur la stratégie retenue pour critiquer la transphobie de JKR – le boycott –, et surtout la manière dont les militant.es le manie et le justifie. Je m’intéresse aux effets produits par cette stratégie, dans les milieux militants et au delà. Pour me situer rapidement afin de finir de poser le contexte : j’ai été fan d’Harry Potter enfant, je possède quelques goodies issus de cet univers et je garde un souvenir assez chaleureux de la lecture des livres et de la sortie des différents films. Je n’ai aucune intention d’acheter ou de jouer à HL, d’ailleurs je ne possède aucune console capable de le faire tourner. Vous savez tout.

Si je condense les arguments glanés en faveur du boycott, je retrouve deux grandes idées :

- acheter HL enrichit JKR, qui pourra utiliser cet argent à des fins transphobes,

- acheter HL prouve une absence de rejet, voir un soutien à la personne de JKR, donc de ses idées, donc de sa pensée transphobe. Elle a d’ailleurs elle même fait valoir cet argument symbolique en affirmant qu’acheter son jeu revenait à approuver ses propos. J’y reviendrai.

On a donc d’une part un argument matériel ‘privons une penseuse transphobe millionnaire de ses revenus’ et de l’autre un argument symbolique ‘montrons notre désaccord en limitant l’audience de son œuvre’. Je pense qu’en théorie, les deux logiques peuvent se tenir. Je pense qu’en pratique, les choses se complexifient largement, et pour finir de spoiler : je ne pense pas que ce boycott dans cette situation soit une stratégie efficace et/ou pertinente, en tout cas dans la manière dont il est défendu actuellement.

Couper les vivres de JKR

Quand on cherche à enlever de l’argent à JKR en boycottant le dernier jeu sorti, on part du principe que toute action est bonne à prendre pour ne pas augmenter sa richesse. Encore une fois, dans l’absolu, le raisonnement se tient. Je n’ai aucun soucis avec les personnes qui préfèrent ne pas acheter le jeu, ou y accéder via le piratage pour ne pas participer à l’enrichissement de JKR. Dans les faits, il est très probable que les revenus générés par les droits d’autrice sur HL ne soient qu’une part absolument minime des revenus de JKR. L’empire HP comporte une quantité invraisemblable de goodies, en plus de l’argent qu’elle continue de toucher sur la vente des livres, l’exploitation des films, la pièce de théâtre, le musée, les parcs d’attractions et tous les évènements autour d’HP qui continuent d’être organisés régulièrement à travers le monde. Est ce que ce boycott, même s’il était mené à bien, aura un impact significatif sur les rentrées d’argent que JKR obtient grâce à ses droits d’autrice ? J’en doute. De plus, dans la mesure où elle est déjà millionnaire, il est également très probable que la majorité de ses revenus actuels proviennent de différents placements plutôt que de l’exploitation de sa licence. Elle a atteint un niveau de richesse où le seul boycott d’un de ses produits, même s’il était mené à bien, ne suffirait absolument pas à la faire cesser d’être riche.

De ce point de vue, on peut donc conclure que si renoncer à consommer des produits enrichissant JKR peut tout à fait se comprendre dans une perspective individuelle, parce qu’on ne souhaite pas à titre perso participer à sa richesse, appeler au boycott du jeu n’aura a priori pas les conséquences matérielles prévues.

● Boycott & culpabilisation

D’un point de vue symbolique maintenant : je n’ai pas de doute sur l’opportunité de proposer des actions symboliques et de l’impact qu’elles peuvent avoir sur les imaginaires.

Je ne doute pas non plus de l’importance que peut avoir la médiatisation d’un sujet, en l’occurrence la transphobie de JKR, pour informer et sensibiliser.

De ce que j’ai pu voir, en parcourant rapidement le twitter francophone avec des mots clefs tels que ‘JKR transphobe’ ‘hogwarts legacy trans’, c’est que les arguments premiers utilisés pour justifier le boycott sont avant tout matériels, en créant même souvent une causalité directe entre l’argent qu’on donne à JKR en achetant HL et la mort de personnes trans. Par contre les développements employées ensuite reposent surtout sur de la symbolique, en affirmant que la personne qui achète cautionne et soutient les propos de JKR, donc légitime sa transphobie, donc méprise les personnes trans. Je vais me permettre ici d’utiliser des tweets que j’ai trouvé pour illustrer la manière dont le boycott est manié par les militant.es. Je n’en citerai pas les autaires, parce que mon propos n’est pas de pointer tel.le ou tel.le utilisataire de twitter comme étant ‘un.e mauvais.e militant.e’. Mon propos est vraiment de rendre état du type d’arguments employés dans le cadre de ce boycott.

Petit florilège, donc :

Je demande à ce que les personnes, cis ou non, qui décident d'y jouer, aient conscience qu'acheter le jeu = financer l'extrême droite. Parce que même si JKterf ne l'a pas écrit, elle touchera des droits d'auteurs.’

Assumez alors que votre loisir vaut plus que la vie de personnes trans', et ayez bien conscience de votre achat.’

il fait bo le soleil brille c'est un beau temps pour vous rappeler que si vous achetez Hogwarts legacy vous donnez de l'argent à une transphobe notoire et vous crachez ouvertement à la gueule des prsns trans ^^’

[...]son combat est tel que JKR fait reculer les droits des personnes trans', qu'elle finance des thérapies de conversion. Et que cela, c'est encourager au meurtre de masse de toute une population. Parce que vous savez ce qui arrive avec les thérapies de conversion ? Le suicide. Refuser l'accès au THS, c'est pousser des gens dans un fossé. Et en toute connaissance de cause.’

En soi, les modes d’interactions entre militant.es sur twitter pourraient faire l’objet d’une thèse à eux seuls. Je vais essayer de rester bref et de pointer les ressorts récurrents. Pour ma part, j’en observe deux.

Le premier, c’est l’usage très fréquent de la culpabilisation. Pour convaincre du bien fondé du boycott, on pointe les effets négatifs désastreux de l’achat, les pires conséquences de la pensée transphobe de JKR. On demande au lectaire d’assumer les conséquences de son achat, d’avoir bien conscience de ce qu’iel produit. L’effet souhaité est donc que l’achetaire potentiel.le du jeu se sente mal et renonce. On vise donc un changement de comportement par la menace d’une forme de punition morale. Ça me rappelle nécessairement tout un imaginaire chrétien de l’enfer dans lequel on finira toustes si on se comporte mal. Ou de celui du Père Noël qui n’apportera pas de cadeaux si on est pas sages. Ici, il ne s’agit pas de priver les jouaires d’HL de quoi que ce soit matériellement car les militant.es n’en ont pas le pouvoir, mais plutôt de les inciter à associer l’achat avec une mauvaise action, donc qu’iels se punissent elleux même intérieurement en pensant qu’iels sont de mauvaises personnes d’acheter le jeu.

Étant personnellement assez étanche, voir carrément réfractaire à toute forme d’injonction, quand je suis bombardé de messages me sommant de me comporter d’une certaine manière sinon je SOUTIENS LES THÉRAPIES DE CONVERSION ET FINANCE LE SUICIDE DES PERSONNES TRANS, je n’ai absolument aucune envie de d’adopter le comportement demandé. Voir, ça me pousse vers l’inverse. Et je ne pense pas être une exception, le seul à être câblé dans ce sens. Je ne développerai pas ce point ici, mais il est est également de plus en plus reconnu que la punition n’est pas un vecteur de changement de comportement très efficace.

Je pense que c’est nécessaire, entre autres choses, d’informer sur les conséquences négatives méconnues que peuvent avoir certaines actions. Cela permet aux personnes d’abandonner ou de poursuivre cette action en toute connaissance de cause. Dans certaines situations, c’est le manque d’informations qui peut nous amener à adopter un comportement délétère. Dans ce sens, la visibilisation de la transphobie de JKR peut avoir son intérêt. Pour autant, la dramatisation autour des conséquences de l’achat, le recours unique à ce type d’argument me semble contre productif. On convainc mal en ne pointant que le négatif, ‘si tu fais X, tu causes x dommage’ sans proposer ‘mais si tu fais Y à la place, tu pourras aussi répondre à ton besoin en créant telle conséquence positive’. Les travaux en éthologie montrent par ailleurs que les effets de la punition ne fonctionne qu’en présence de la personne qui punie. En l’occurrence, on voit fleurir les tutoriels pour acheter HL sur Steam et y jouer tout en dissimulant son achat aux autres utilisataires. Puisque c’est mal vu de jouer, j’y jouerais, mais en secret.

Dans le cas où les stratégies de culpabilisation fonctionnent, ça m’amène à une autre question : quelle forme de société nous souhaitons créer ? Une société où on veut que les gens agissent bien par peur d’une sanction ou une société ou les personnes agissent bien parce qu’elle retirent des bénéfices à le faire et sont convaincues d’agir de manière juste ? La question ne se pose sûrement pas en terme aussi binaires. On peut envisager une société qui mélange les deux. Toujours est il que le recours unique à la culpabilisation ne me semble ni sain, ni efficace.

Pour finir sur les logiques de culpabilisation que j’ai pu trouver, il existe des variations encore plus plus mesquine. Des militant.es diffusent des spoils du jeu, révélant la fin de l’intrigue. Certains sont même conçus comme des pièges : par exemple, des fils twitter qui commencent par ‘10 points forts du jeu HL’, et les tweets ensuite comportent des spoils et jeu et du contenu culpabilisant. Là, on est sur une logique unique de vengeance et de ‘faire payer’ leur achat à celleux qui ont choisi d’acheter. Cet article risque de devenir définitivement trop long si je me lance dans une analyse critique des processus de vengeance, mais pour faire court, quelques questions : qu’espère t-on obtenir en punissant les achetaires? Qu’espère t-on comme issue positive à ces actions ? Quelqu’un.e s’est iel déjà dit ‘Olala oui, zut je suis un vilain.e transphobe, je n’irais pas acheter HL 2’ en tombant sur un spoil du jeu crée par des militant.es ? Je ne fais que présumer, mais je ne pense pas.

Ce que montrent ces stratégies punitives et culpabilisantes, c’est que le boycott d’HL n’est que peu organisé dans une logique d’argumentation mais plutôt dans une logique de contrôle. J’ai trouvé peu de contenu disant en gros ‘je n’achète pas et je t’encourage à ne pas le faire pour telle et telle raison’ et bien plus disant ‘Je vérifie si tu as acheté, et si tu l’as fait je te juge impur.e’.

Une action me semble particulièrement symptomatique de cette logique de contrôle : des sites ont été crées pour recenser les streamers qui jouent à HL. Je n’ai pas trouvé de contenu qui décrivait l’usage qui était fait de ces sites. Existent-ils pour permettre le boycott des streamers en question, leur harcèlement, ou pour inciter des militant.es à se connecter à leur streams pour les interpeler pendant leurs sessions live ? Je ne sais pas. Mais qu’on consacre du temps à les regrouper sur un site internet me pose déjà question.

Ce qui ressort de tout ça, selon moi, c’est l’omniprésence d’une pensée qui met au centre la responsabilité individuelle de l’achat du jeu. Et j’ai aussi l’impression que c’est une logique qui permet de se faire briller soi en tant que militant.e, en rejetant les autres. Je boycott, donc je milite bien, je prouve mon attachement à la cause. Tu joues, donc tu milites mal. Comme s’il était aussi simple de tracer la ligne entre le bon camp et le mauvais, et de s’assurer soi d’être du bon en poussant les autres de l’autre côté.

Acheter, c’est cautionner ?

Quand des militant.es considèrent que les personnes qui achètent HL sont transphobes car JKR l’est, iels déploient une logique que je trouve non seulement contestable mais qui nous met en échec. JKR elle même a affirmé que la réussite commerciale du jeu serait la preuve de l’accord du public avec ses idées réac. Si on appelle au boycott face à cette affirmation, on la rend vraie. On rend réel le fait qu’acheter HL revient à soutenir des idées transphobes. On se met à jouer au jeu selon les règles de JKR : acheter = cautionner, ne pas acheter = rejeter. Et on perd. On perd, car sans surprise, malgré l’appel au boycott, le jeu est un énorme succès, comme tout produit de la franchise HP. A t- vraiment intérêt stratégiquement à valider des logiques qui nous mettent en échec ? Doit on donner du crédit à la pensée simpliste de JKR, qui utilise le succès de son œuvre pour se complaire dans sa transphobie ? J’ai même vu des militant.es défendre que pirater le jeu revenait aussi à cautionner JKR et ses opinions, même si elle n’en retire aucun bénéfice matériel.

Si nous sommes censé.es cautionner les idées portées par tout ce que nous achetons, je pense qu’on va forcément trouver dans notre bibliothèque ou filmothèque un contenu crée ou auquel à participé une personne aux accointances nazis. Donc nous sommes toustes des nazies. J’ai atteint le point Godwin, parfait. Pour ma défense, je ne l’ai pas atteint seul comme le montre ce tweet ‘Ten years ago, Harry Potter fans had a lightning bolt tattoo. These days they have two.’ qu’on peut traduire par ‘Il y a 10 ans, les fans d’Harry Potter avaient un tattouage d’éclair. Maintenant, iels en ont deux.’ Je me permet de vous le citer pour illustrer le niveau du débat en cours.

J’ai évidemment poussé le raisonnement jusqu’à l’absurde. C’est en réalité une vraie grande question : est ce qu’acheter revient à dire qu’on soutient l’intégralité de la pensée des personnes qui ont produit le contenu ? Ça nous renvoi à d’autres actions de boycott passées ou en cours : Roman Polanski, Cantat et j’en oublie. La différence que je peux faire entre cet appel au boycott et le blocage de cinémas diffusant Polanski ou le départ d’Adèle Haenel de la cérémonie des Césars, c’est que ces deux dernières actions étaient aussi des d’actions médiatiques qui ont crée une visibilité des féministes dans l’espace public. Je pense qu’on peut par ailleurs apprécier le contenu crée par Polanski ou Cantat sans approuver l’intégralité de leurs actions. Question encore plus complexe dans le cas de Cantat qui a été condamné : est ce le fait d’avoir commis des actes abusifs graves et que ces faits soient connus du grand public implique que les personnes les ayant commis se retirent définitivement de la vie publique ?

Pour en revenir à notre sujet, je crois qu’il est important de contredire l’affirmation de JKR. Non, acheter ne revient pas à la soutenir dans toutes ses idées. Le monde est bien plus complexe que cela. On peut acheter une œuvre à contenu discriminant et/ou crée par des personnes ayant des pensées discriminantes sans y adhérer.

Escalade et diabolisation

Autour de l’accusation principale de transphobie, on reproche aussi à JKR, au jeu et à son œuvre de manière générale d’autres défauts : les opinions politiques du développeur principal du jeu, les conditions de travail déplorables des développeur.euses d’Avalanche, les biais racistes et grossophobes de l’œuvre originales, ect.

Comme toute notre attention est posée sur HL, JKR et l’univers d’HP en général, on peut aller y débusquer tout un tas de travers et de défauts, absolument légitimement. Je ne doute pas que ce fameux Troy Leavitt soit un individu aux opinions peu progressistes, que les conditions de travail aient pu être éprouvantes et je trouve les critiques racistes et grossophobes des livres HP absolument justifiées. Et  ?

Pour tous ces points, des questions me viennent immédiatement en tête : les conditions de travail sur le développement de HL étaient elles différentes de celles du milieu du jeu vidéo en général ? A t-on vérifié les conditions de travail et l’opinion politique des développeur.euses d’Animal Crossing, jeu encensé par la communauté queer ? Nous vivons dans un régime politique nommé le capitalisme où l’immense majorité d’entre nous sommes contraint.es d’échanger nos compétences et notre temps contre un salaire plus ou moins élevé, qui conditionne notre accès à nos besoins de base (logement, vêtements, nourriture, loisirs). Certains emplois proposent des cadres de travail plus ou moins violents, dangereux, exploitants. Mais en pointant les mauvaises conditions des coulisses d’HL, comme si elles étaient un genre de fait exceptionnel qui justifierait un boycott, ne sommes nous pas en train d’oublier que la pression, le rush, les heures interminables sont la norme dans le milieu du jeu vidéo ? Faut il remettre en question cette exploitation, oui évidemment -et le système capitaliste de manière plus générale, mais ne nous égarons pas. Et cela se fera vraisemblablement plutôt par l’organisation des travailleureuses, en syndicat notamment, et par la pression sur leur patron via la grève, que par un boycott. Si les conditions de travail médiocres devaient se solutionner par un boycott, nous ne serions plus en mesure d’acheter grand-chose, à commencer par les ordinateurs et les smartphones grâce auxquels nous nous écharpons sur HL. Et encore, je ne parle pas de la plateforme Twitter en elle même.

Le fait est que tous nos actes de consommation enrichissent in fine les plus riches, encouragent leurs idées nauséabondes et exploitent au passage des milliers de personnes maltraitées par le capitalisme. Je ne dis pas ça quand une logique fataliste, pour inciter à ne rien faire puisque tout est déjà foutu. Je ne pense pas non plus que le boycott et les choix de consommation faits à échelle individuelle soient dénués de sens. Je pense simplement qu’on peut difficilement trancher dans le vif entre les bonnes et les mauvaises personnes en se basant sur leur choix d’acheter ou non un jeu vidéo. On donne finalement à un seul acte de consommation, parmi tous ceux qu’on est amenés à faire, un poids énorme, disproportionné par rapport à son impact réel.

La mauvaise pub n’existe pas

En parcourant les contenus francophones et anglophones sur ce boycott, sur Twitter ou ailleurs, j’ai été interpellé par un autre aspect. Quel est l’impact sur l’opinion publique de l’étalage des idées transphobes de JKR ? Il y a quelques années, quand sa transphobie a commencé à être visible, j’ai l’impression que c’était une information qui circulait seulement dans les réseaux queers et féministes. Maintenant, cette information est diffusée plus largement vers le grand public, qui découvre à l’occasion du boycott la polémique autour des positionnements de JKR. Est ce que cette médiatisation diffuse ses idées réactionnaires ou est ce qu’elle montre leur caractère oppressif ? Globalement, les articles de presse que j’ai consulté expliquent que JKR est considérée comme transphobe par des activistes trans, sans citer ses propos ou actions. Dans le cas où les propos sont cités, ils ne sont jamais accompagnés d’analyse pour comprendre leur caractère transphobe. Pour le grand public, non sensibilisé à la cause trans et qui, soyons honnête, ne voit pas le problème à dire que les personnes qui ont leur règles sont des femmes, JKR est comme une victime. Rien n’est fait pour aider des néophytes à saisir l’impact négatif de sa pensée. Iels risquent plutôt d’éprouver de la sympathie pour JKR et de se trouver en accord avec ses visions. Par ailleurs, les utilisataires de twitter adeptes du boycott se contentent souvent de relayer lesdits articles sans plus d’explications. Iels enjoignent les personnes qui ne comprennent pas la transphobie de JKR à aller chercher la ressource par elleux même, affirment que tous les outils pour comprendre sont disponibles sur Google. Par exemple, ce tweet ‘Toutes les personnes qui demandent d'expliquer en quoi JKR est transphobe, je vous vois comme les gens qui en 2013 demandaient d'expliquer en quoi la Manif pour tous est homophobe (vous êtes probablement les deux)’ Pour l’autaire, demander des explications sur les propos de JKR, c’est être de mauvaise foi et transphobe. Mais les outils pour comprendre sont ils aussi accessibles que le prétendent ces militant.es ?

Est ce qu’en définitive, qu’on lui fait pas de la pub, à cette réac ? En se contentant de diffuser ses idées, assorties d’une condamnation, mais sans développer un contre-discours ou permettre aux personnes qui le souhaitent d’affiner leur pensée sur le genre et le cis-sexisme, est ce qu’on fait vraiment avancer notre cause ?

QUEERS et HP, une lutte fratricide

Je n’ai pas de chiffre, mais je constate dans mon entourage que nombre de personnes queers ont été marquées par l’univers d’HP. Beaucoup ont gardé cette attachement à HP à l’âge adulte. J’imagine que je suis biaisé, et que globalement beaucoup de personnes de ma génération ont grandi avec cet univers, queers ou non. Quoi qu’il en soit, parmi elles se trouvent des queers. Qui ont légitimement été hyper déçu.es et impacté.es par le virage TERF de JKR. La chasse aux transphobes qui jouent à HL, dans nos milieux, peut vite virer à la chasse aux sorcières fratricide entre militant.es trans et queers pour savoir qui joue, qui ne joue pas, qui est un.e bon.ne allié.e et qui trahit la cause. Convaincre qu’il ne faut pas acheter HL, juger parce que le jeu a été acheté, vouloir convaincre de rendre le jeu -peut on rendre un jeu démat acheté sur Steam ? Je suis trop boomer pour le savoir - ça repose encore une fois sur des mécanismes de contrôle. De plus, mener cette lutte entre militant.es queers et trans crée un énième morcellement du milieu entre celleux qui ont boycotté et celleux qui jouent. Je crois que nous n’avons pas vraiment besoin de ça. Je crois globalement que les stratégies qui ont pour conséquence de nous diviser, de nous empêcher de nous soutenir et de nous organiser ensemble sont mauvaises.

Je finirais cette section par ce tweet, qui je crois résume assez bien ce que j’essaie de dire depuis le début

‘If you buy #HogwartsLegacy because you're excited to play it, you aren't transphobic. If you boycott the game, you're not a bad person. If you call someone transphobic for buying the game, you're an asshole. If you say you're buying to "piss off the libs" you're an asshole too.’

Qu’on peut traduire par :

‘Si tu achètes Hogwarts Legacy parce que tu es impatient.e d’y jouer, tu n’es pas transphobe. Si tu boycott le jeu, tu n’es pas une mauvaise personne. Si tu dis qu’une personne est transphobe parce qu’elle a acheté le jeu, tu es un trou du cul. Si tu dis que tu vas l’acheter pour ‘faire chier les libérauxes’, tu es un trou du cul aussi.’

Et du coup, on fait quoi ?

Il serait évidemment assez détestable de ma part d’écrire aussi longtemps une critique des tactiques employées et de vous laisser là. Ce que je pense avoir montré, jusqu’ici c’est qu’il ne suffit pas de lutter pour une cause juste pour se comporter de manière juste. On peut faire le pire au nom des bonnes intentions. Et pour chacune de nos actions, il me semble nécessaire de se poser la question du but, ce qu’on veut obtenir comme effet, et des moyens, ce que nous allons faire pour obtenir cet effet.

La question que nous pose la transphobie de JKR, c’est : que faire contre les riches personnes influentes aux idées rétrogrades ? Ma première réponse sera : connaissez vous beaucoup de riches personnes aux idées progressistes ? Ensuite , on met le doigt sur le dénominateur commun de toutes les oppressions : la différence de pouvoir absurde entre celleux qui possèdent, celleux qui dirigent nos existences et nous autres. Personne n’a de stratégie idéale, sinon on en serait sûrement pas là. Au moins, nous pouvons nous questionner sur la pertinence de stratégies qui produisent de nombreux effets négatifs en n’atteignant peu ou pas leur but.

Ensuite, voici quelques idées d’actions en réponse à la transphobie de JKR. En premier, cette initiative Trans Witches are Witches too, qui propose, pour le même montant qu’HL, d’acheter un pack de jeux, fanzines, musiques, ect créent par des artistes trans sur le thème de la magie. Elle peut permettre de répondre à l’envie des fans d’HP d’accéder à du contenu à leur goût tout en finançant des artistes issues de la minorité visée par JKR. Un très bon retournement positif de sa pensée nauséabonde.

Ensuite, profiter de l’attention crée par la sortie d’un jeu aussi populaire peut être une excellent moyen de mettre des thématiques queers à l’ordre du jour. Le boycott a fait parler de lui dans des médias mainstreams, ce qui en soit est une réussite assez intéressante. J’aurais dévié de stratégie du boycott pour proposer à la place des contenus pédagogique sur les transidentités. Ils peuvent être spécifiques au contexte, en analysant les propos tenus par JKR ou son opposition à la loi qui vise à faciliter les transitions. Ils peuvent se présenter sous forme de tribunes, ‘Nous boycottons et voilà pourquoi’, avec des arguments étayés. Ils peuvent aussi être plus généraux, comme cet outil qui n’a pas été spécifiquement conçu par rapport à JKR : la FAQ du collectif Toutes des Femmes. Des propositions de ce genre gagneraient à être partagées en masse à chaque fait d’actualité sur les personnes trans. On pourrait également en imaginer des déclinaisons en formats vidéos, podcasts, visuels, pour maximiser leur impact. Autre possibilité, des actions concrètes tels que des zaps pourraient être organisés lors d’évènements publics qui invitent JKR pour étaler sa pensée transphobe.

Pour finir, j’ai conscience qu’en écrivant ce papier on pourra m’accuser de tirer contre mon camp. J’ai omis un ou deux éléments de contexte en commençant : j’écris ce texte parce que je suis affligé par le niveau du débat, et je me suis personnellement désabonné d’un certains nombres de comptes qui diffusaient des messages culpabilisants ou des spoils. Je le répète, je n’ai pas d’intérêt pour ce jeu. Je suis par ailleurs au fait des agissements de JKR et de leur caractère transphobe. Donc, pour résumer : en étant d’accord avec le fond, en sachant comprendre en quoi la pensée de JKR est transphobe et en pensant qu’il est important de lutter contre, je suis suffisamment hérissé face aux modes opératoires déployés en ce moment pour avoir envie de renoncer à des contenus, dont certains que je suivais depuis des années. Si, de ma place, les stratégies culpabilisantes ont cet effet, je vous laisse imaginer leur impact sur des personnes pas ou peu informées des enjeux des discriminations transphobes, des personnes qui ne voient pas le cissexisme de JKR, des personnes qui sont attachées à ce jeu et à l’univers HP. Je n’écris pas pour le plaisir de dire du mal, je m’adresse à celleux qui partagent mon envie d’un monde moins oppressif pour leur partager mon analyse : je crois que nous faisons fausse route. Et je nous crois largement capables de faire mieux.

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