Qu'est ce que le HPI ? HPI veut dire « Haut Potentiel Intellectuel ». La catégorie HPI désigne les personnes qui scorent à plus de 130 aux échelles de QI proposées par Weschler et qui font donc parti des 1% de la population qui réussissent le mieux les différentes tâches proposées. Et c'est tout. J'insiste sur ce point : c'est tout. Il s'agit donc d'une mesure relative. On a pas 130 de QI 'dans l'absolu' comme on aurait 19/20 en maths, on a 130 de QI car on est meilleur.es -à ce test- que 99% des autres personnes sur qui il a été calibré. Quand les échelles de Weschler sont ré-actualisées et re-testées sur de nouveaux groupes, on peut donc changer de score, selon l'évolution des compétences de la population.
On pourrait aussi et plein de gens l'ont fait, se poser la question de la pertinence de cette échelle et de qu'elle mesure. Si elles restent mondialement utilisées, les échelles de weschler sont évidemment critiquées et critiquables. Pour rappel, les premiers tests visant à mesurer l'intelligence ont été commandées par l'état français dans le but de trier les élèves aptes à une scolarité « normale » et celleux qu'on devaient envoyer en institutions « spécialisées ». La mesure de l'intelligence est depuis le départ associée à des projets validistes, mais aussi racistes voir eugénistes puisqu'elles ont été utilisées, entre autres, pour « prouver » l'infériorité de l'intelligence des personnes noires par rapport aux personnes blanches. Je ne vais pas m'étendre sur toute l'épopée de la mesure de l'intelligence et sur tous les problèmes qu’elle soulève, mais je donne ces quelques repères qui ne me semblent pas inutiles à mon propos.
Nous avons donc un terme, HPI, qui désigne le pourcentage de la population qui réussi le mieux à une tâche précise. Qui disent les études concernant cette population ?
- qu'il est mieux payé que les autres
- qu'il fait plus d'études
- qu'il occupe des postes plus "qualifiés"
ect ect ect
On a donc devant nous un outil qui sert à déterminer à quel point vous avez à votre disposition les compétences psychiques qui vont faire de vous une personne employable et intéressante sur le marché de l'emploi. Être HPI est un prédicteur de réussite, au sens normé et capitaliste du terme.
Pourtant, je vois se multiplier les contenus qui font le lien entre souffrance psychique, inadaptation sociale et HPI. Les personnes HPI seraient, en vrac : hypersensibles, rejetées socialement, en difficulté pour comprendre les attentes professionnelles ou scolaires, envahies par leurs émotions, dotées d'un sens aïgu et particulier de la justice, capables plus que quiconques d'analyser en profondeur une situation et d'en tirer les conclusions les plus rationnelles...
Pire encore : des personnes de mon entourage me rapportent régulièrement que leurs psy leur tiennent ce genre de propos. Si je peux comprendre et excuser des discours pseudo-scientifiques de la part de personnes lambdas, les même discours sont inexcusables quand ils viennent de professionnel.les.
Comment expliquer ce contraste ? Comment expliquer la différence entre les études faites sur les personnes HPI et cette cohorte de personnes en souffrance ?
Je souscris à la proposition que fait Alistair dans cette vidéo, qui considère que le diagnostic d'HPI est un « mauvais outils » souvent utilisé par des pros de la santé mentale peu scupuleux.es ou peu formé.es pour expliquer toutes les difficultés / fonctionnements de personnes en réalité neuroatypiques donc handicapées, les laissant sans solution concrète. Par ce que quand mon problème, c’est d’être « trop intelligent », c’est un peu compliqué de se forcer à être plus bête.
Qu'est ce qui est le plus glorifiant pour une personne ? Reconnaître qu'on est psychiquement handicapé.e parce qu'ayant un fonctionnement différent de la norme qui organise la société, ou penser que notre intelligence nous rend plus sensible, intuitix et donc incomprix par 'les autres' ? je ne vais pas redévelopper l'argumentaire d'Alistair : dans de nombreux cas, les personnes se jettent sur ce « diagnostic » et lui attribue la cause de toutes leurs difficultés, faute de meilleure explication à leur disposition ou en rejetant d'autres étiquettes plus stigmatisantes que 'supérieurement intelligent.e' au mépris de l'absence totale de base scientifique de ces affirmations.
Voilà pour mon propos introductif. Ce dont j'ai envie de parler, c'est du discours que finissent par développer les personnes HPI qui adhèrent à une vision de cette étiquette comme d'un fonctionnement émotionnel, social et moral « à part » et surtout, meilleur.
Entre dire qu'on est plus sensibles et donc plus attentix aux émotions des autres, plus rationnel.les et plus rigoureuxes dans le traitement des informations donc plus justes, incapables de mentir donc plus honnêtes, et dire qu'on est intrinsèquement un.e meilleur.e humain.e, y a t'il vraiment une différence ? Le tout sur une base neurologico-cognitivo-essentialiste, on nait plus ou moins comme ça, on l'est ou on ne l'est pas.
(Les mauvaises langues pourraient dire ici que je ne suis qu'un rageux jaloux de la supériorité du fonctionnement d'autrui, ce à quoi je peux répondre :
- ça me va parfaitement bien d'être un rustre imparfait dénue de la faculté de trancher avec la plus grande des justices dans toutes les situations ;
- vous ne savez pas à combien je score sur les échelles de QI ;-) )
Nous avons donc un discours qui vise à :
- se définir comme membre d'un groupe particulier qui partage des caractéristiques liées à une essence biologique, cognitive en l'occurrence
- s'attribuer exclusivement des caractéristiques morales positives (justice, sensibilité, altruisme...)
- définir en reflet un exogroupe qui ne possède pas ou moins les caractéristiques en question
Vous avez lu le titre de mon papier, donc vous savez où je veux en venir
Ce qui est en train de se passer coche selon moi toutes les cases d'une sorte de pensée suprémaciste, non pas basée sur la race mais sur le fonctionnement intellectuel. En utilisant le terme suprémaciste, je ne fais pas de parallèle en terme de gravité et de conséquences réelles entre ce que je décris et le suprémacisme blanc. Je compare uniquement des mécaniques de pensée. Les personne HPI adeptes de cette pensée ont une possibilité de nuisance très largement inférieure aux discours suprémacistes basés sur la supériorité des blanc.hes.
Ces contenus alternent entre supériorité psychique des HPI et haine des neurotypiques, haine souvent légitimée par les exclusions et brimades validistes vécues par des personnes certes HPI mais surtout par ailleurs autistes, TDAH, schizophrènes donc handicapées. Ce discours échoue à identifier la violence validiste pour ce qu’elle est et remplace cette analyse par un sentiment de supériorité sur un autre groupe. On y retrouve aussi, sans que le mot ne soit jamais prononcé, toute une pensée autour de la pureté psychique des individus HPI qui seraient incapables de manipulation, naïx, en difficulté pour repérer les mauvaises intentions et les déjouer... et s'il y a bien un concept qui est toujours sous-jacents dans les idéologies suprémacistes voir fascisantes, c'est bien celui là.
En passant : se croire incapable de mentir ou de manipuler, c'est s'exempter d'office d'une vigilance que nous devons toustes avoir sur notre manière de nous comporter, pour traiter justement les autres. Comment reconnaître et prévenir mes propres comportements abusifs, manipulateurs si je me suis persuadé moi même que je suis incapable d'en avoir ? Ces idéologies dédouanent par avance les personnes HPI qui y adhèrent de ce qu'elles pourraient faire. Je crois que les plus grandes violences sont commises par les personnes qui s'en estiment incapables.
Les conséquences de toutes ces affirmations fantasques autour du HPI sont doubles. À la fois, on empêche des personnes handicapées d'accéder à de vrais diagnostics donc à de vrais étayages pour compenser le validisme de la société, en plus on leur fournit une 'vengeance' basée sur le dénigrement de l'autre groupe qui ne peut que créer une dissonance toujours plus grande entre les difficultés au quotidien et la sensation de fonctionner « mieux que les autres ».
Je tiens à rappeler qu'à l'autre bout du spectre, les personnes dites 'déficientes intellectuelles' vivent des situations d'oppressions importantes où elles sont instutionnalisées et privées d'une partie de leurs droits.
Quoi qu'il arrive, peu importe les difficultés et discriminations vécues, créer une pensée qui vise à pointer que le fonctionnement d’un groupe est meilleur, sur des bases biologiques, que celui de l'autre nous éloigne toustes de l'avancée vers une société égalitaire. Pas une société où les ancien.nes opprimé.es auraient pris le pouvoir pour imposer leurs règles et leur normes. Une société où le pouvoir serait plus justement distribué et où le fonctionnement de chacun.e serait accueilli et considéré.
Par ailleurs, les discours valorisants l'hyper-intuition, l'hyper-empathie décrivent souvent des phénomènes délirants ou pré-délirants. Avoir des certitudes sur l'avenir, interpréter des évènements comme des signes, s'enfermer dans prophéties auto-réalisatrices sont autant de signe d'un processus délirant en court qu'il est essentiel de nommer pour ce qu'il est afin d'éviter une perte de contact trop grave avec la réalité. C'est encore une fois plus valorisant de se penser hyper-intuitif plutôt que délirant. Les conséquences ne sont malheureusement pas du tout les même. Il est dangereux de décrire ainsi des évènements psychiques qui devraient être des signaux d'alerte sur la santé mentale de la personne qui les traverse.
Pour conclure : je suis inquiet. Des contenus populaires sur réseaux sociaux, et pire, des professionnel.les de la santé mentale diffusent ce genre de parole. Je n'ai aucun moyen d'estimer le nombre de personnes qui adhèrent à ces idées, mais ça ne présage rien de bon pour les mouvements de lutte contre les discriminations psychophobes et validistes.