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Billet de blog 22 octobre 2024

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Déportation de migrants vers l’Albanie : l’accord entre Rome et Tirana trébuche

À peine inauguré, le centre de détention pour migrants financé par l'Italie sur le sol Albanais fait face à un nouvel écueil, cette fois judiciaire. Pourvu que ça dure.

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“Les centres d’accueil sont à présent opérationnels et prêts à recevoir les premiers arrivants.”. C’est ce que déclarait en grande pompe Fabrizio Bucci, ambassadeur Italien à Tirana, Albanie, lors d’une conférence de presse début Octobre. Les dits centres d’accueil, qui font la fierté du diplomate transalpin, sont le fruit d’un accord pour le moins controversé entre l’Italie et l’Albanie. Officiellement, l’objectif est de pouvoir accueillir dans des conditions “optimales” (comprenez similaires à celles vécues sur le sol Italien)  des personnes en provenance de pays considérés comme sûrs pendant le traitement de leur demande d’asile, et ainsi "soulager" les camps Italiens. Un dispositif pour le moment uniquement limité aux hommes jugés non vulnérables - ce qui exclut les mineurs. 

À Gjader, ancienne base aérienne du nord de l’Albanie, 3 structures ont vu le jour ; un camp de 880 places pour les personnes ayant effectué une demande d’asile, un plus petit (capacité 144 personnes) pour les personnes dans l’attente d’un rapatriement, et enfin un pénitencier de 20 places. Les personnes secourues en mer y seront transférées après leur arrivée au port de Shengjin, où elles seront d’abord soumises à des contrôles d’identités et sanitaires. 

En somme ? Un dispositif dangereux, à rebours de tout ce que le droit international et la dignité humaine requiert. 

Illustration 1
Nouveau centre d'accueil et de contrôle à Schengjin, Albanie © Vlasov Sulaj

“OBJECTION !”

C’était sans compter un récent (et heureux) rebondissement. L’annonce de Monsieur Buzzi a été abattue en plein vol par la décision de la cour de justice de Rome qui, le 17 octobre dernier, rendait publique sa décision d’invalider la détention des 12 premières personnes qui venaient tout juste d’y être transférées. Le motif invoqué par les juges : l’impossibilité de s’assurer avec suffisamment de rigueur que les personnes transférées en Albanie arrivent en effet de pays “sûrs”. Une nouvelle qui survient quelques jours après une autre décision majeure de la même cour, qui reconnaissait enfin qu’un pays où des citoyens encourent des risques de persécutions et de discrimination ne peut être considéré comme sûr - comme c’est le cas du Bangladesh et de l’Egypte. 

Dès le lendemain, un navire militaire était donc chargé de rapatrier les malheureux vers le sol Italien. Une réelle violence pour ces personnes qui n’ont besoin que de sécurité et de repos, doublé d’une perte de temps et d’un gâchis d’argent public. 

La première ministre Italienne n’a pas caché sa colère ni sa frustration à l’égard des magistrats, en déclarant que “ces institutions travaillent contre” son gouvernement. D’autres ministres ont pris la parole et taxé les juges d’activisme politique. 

De son côté, le ministre de l’Intérieur Matteo Piantedosi affirmait lors d’une conférence de presse à Vintimille qu’il y aurait pourvoi en cassation, et qu’il entendait même - tenez vous bien - à ce que le dispositif Albanais s’inscrive dans le droit européen d’ici 2026. Il nous fait rêver, Matteo. 

UN GOUFFRE FINANCIER ? 

Et puis il y a le coup du dit dispositif, lui aussi ahurissant : pas moins de 670 millions d’euros débloqués sur 5 ans, pour l’opération, la maintenance, mais aussi et surtout pour payer le personnel Italien sur place. Pourtant, d'après la première ministre Giorgia Meloni, cette enveloppe ne représenterait pas un coup additionnel, mais bien une épargne ; le gouvernement Italien tablerait ainsi sur une économie de 136 millions d’euros sur ces mêmes cinq années. Les 3 mois de retard qu’accusait déjà le projet en octobre, ajouté à ce nouveau revers judiciaire, font planer le doute. 

“CRÉATIVITÉ” NAUSÉABONDE

Il est normal de s’étouffer lorsque l’on entend Ursula von der Leyen, présidente de la Commission Européenne, saluer la “créativité” de l’entreprise Italienne en Albanie. Tout d’abord parce que cette nouvelle fulgurance de Meloni n’a rien d’innovant sinon son cynisme. La stratégie de l’Italie et de l'Union Européenne en matière d’accueil des personnes exilées restent toujours la même, et tient en trois mots : violence, détention et dissuasion. Car si l’Italie pose la garantie de conditions de vie égales à celles des camps sur son sol, il n’y a pas de quoi applaudir des deux mains. D’autant qu’il sera bien difficile pour des observateur·ices neutres de s’assurer qu’en substance la promesse sera tenue : nous parlons d’un camp de détention situé hors du sol UE, dont la sécurité extérieure sera assurée par l’Albanie. 

Meloni promet également que ce dispositif ne concernera pas les personnes “vulnérables” - mais d’après qui et quels critères ? Et à quelle étape du processus de transfert sera-t-il décidé qu’une personne est vulnérable et pas une autre ? Là encore la question reste ouverte. 

L’accord crée par ailleurs un précédent, une fissure du droit dans laquelle d’autres pays membres de l’UE pourraient se faufiler ; notamment la Hongrie et son premier ministre Viktor Orban, qui n’a guère dissimulé son enthousiasme vis-à-vis du projet Italien. 

La demande d’asile est un droit fondamental, et ne peut en aucun cas être un motif de détention. Les personnes ayant traversé des déserts, affronté la torture et risqué leur vie sur la mer devraient avoir le droit à un accueil digne sur le sol Européen, et ne sauraient être expédiées sans autre procès vers un pays voisin pour faire de la place. 

Cet accord pourrait également avoir pour conséquence de pousser des personnes en exil à s’aventurer sur de nouvelles routes terrestres, et se mettre encore davantage en danger. Rappelons qu’à l’heure actuelle, la route de Méditerranée Centrale demeure la voie migratoire la plus meurtrière du monde. En l’espace de 10, plus de 30 500 personnes y ont perdu la vie, en essayant de la sauver. 

#NOONEISILLEGAL

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