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Billet de blog 20 février 2023

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Les oiseaux, victimes oubliées de la pêche

C’est un albatros qui plonge à la poursuite d’un appât dans l’Atlantique Sud. C’est un guillemot qui se prend au piège d’un trémail dans le Golfe de Gascogne. C’est un puffin qui se noient dans un chalut en mer Méditerranée. Chaque jour, aux quatre coins du monde, des oiseaux de mer sont victimes des engins de pêche. Que sait-on du problème ? Et comment stopper le carnage ?

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Illustration 1
© Stipe Surac

Piège(s) en haute mer 

Difficile de connaître précisément l’étendue du désastre ; cependant la communauté scientifique s’accorde sur une estimation à plus d’un million d’oiseaux marins morts chaque année pour cause de capture accidentelle (ou « bycatch » en anglais). Rien qu’en Europe, ils seraient près de 200 000, soit 23 toutes les heures, et 20 000 chaque année pour le seul état de l’Alaska aux USA. 
Par définition, une capture accidentelle est exactement ce qu’elle indique : la prise ou capture d’un animal qui n’était pas la cible de l’engin de pêche - qu’il s’agisse d’un filet maillant, d’une palangre, d’un chalut, etc. Les volatiles n’en sont bien entendu pas les seules victimes, loin s’en faut ; les requins, cétacés, pinnipèdes et tortues payent également un lourd tribu à l’industrie de la pêche. Les captures d’oiseaux marins sont cependant plus rarement évoquées. Pourquoi ? Peut-être parce que l’agonie d’un volatile émeut moins le grand public que celle d’une baleine. Par ailleurs, les oiseaux marins sont si nombreux sur nos littoraux qu’il est difficile de les imaginer en danger. Et pourtant. 

D’après le dernier rapport annuel de Birdlife International, près de 30% des espèces d’oiseaux marins sont aujourd’hui menacées, et 57% sont en déclin. Les albatros sont de loin les plus affectés par l’essor de la pêche.  Parmi les 22 espèces connues, 15 sont menacées d’extinction. Les 3 grandes espèces représentées dans l’Atlantique Sud - dont l’albatros hurleur Diomedea Exulans, le plus grand oiseau volant actuel - ont vu leurs populations s’effondrer de 40% au cours des 35 dernières années. Les albatros sont sévèrement touchés pour plusieurs raisons ; tout d’abord parce qu’ils parcourent de très longues distances pour se nourrir, visitant ainsi plusieurs pêcheries et donc s’exposant à des engins de pêche de différentes natures. Ensuite, parce que ces animaux ont, comme nous, des rythmes « lents ». Ils vivent vieux, se reproduisent tard, et ne donnent naissance qu’à un seul poussin tous les ans, voire tous les deux ans. La perte d’un seul individu adulte est ainsi lourde de conséquences pour une espèce. 

Illustration 2
Albatros hurleur en Atlantique Sud © Salomé Tordjman

En France, l’espèce plus représentée dans les chiffres de captures accidentelles est le guillemot de Troïl Uria Aalge, classé « en danger » sur la liste rouge de l’UICN. Formidables nageurs, les guillemots de Troïl peuvent plonger jusqu’à 100 mètres de profondeur à la poursuite de petits poissons, ce qui les conduit fréquemment dans le piège des filets maillant et trémails - cette dernière technique étant la plus meurtrière pour les oiseaux. Parmi les autres espèces touchées, il y a également le puffin des Baléares Puffinus Mauretanicus, splendide oiseau pélagique dont les effectifs baissent de 7% chaque année - principalement du fait de captures accidentelles - et dont la disparition est déjà prophétisée. 

Illustration 3
Guillemot de Troïl dans un filet, Golfe dez Gascogne © Sea Shepherd France

Des mesures proposées, mais peu appliquées  

Que faire pour endiguer cette hécatombe ? De nombreuses organisations se posent déjà la question. 
L’approche privilégiée par les pêcheries est de tenter de « sécuriser » les engins de pêche. De nombreuses tactiques sont à l’étude notamment pour les palangres ; il peut s’agir par exemple de lester davantage les lignes afin que les appâts disparaissent plus vite sous la surface, ou encore d’installer des zones de protection au dessus des appâts afin d’empêcher les oiseaux d’y avoir accès en amont de la ligne. D’autres solutions envisagées consisteraient à prendre le problème d’un peu plus haut en tenant à distance les oiseaux des navires de pêche. Pour cela, un large panel d’outils sont à l’essai : des répulsifs sonores ou magnétiques, en passant par les canons à eau. 

D’autres dispositifs « anti-bycatch » sont d’ordre opérationnel. Il s’agit par exemple d’encourager la pêche de nuit dans les zones à risque, ou bien encore de récompenser les navires qui font l’effort de mettre en place les dispositifs techniques décrits plus haut. 
Malheureusement, la réalité du terrain tend à contredire l’optimisme affiché des fédérations et des gouvernements. Dans de nombreuses pêcheries à travers le monde, ces mesures sont encore déployées sur la base du volontariat, sans réel levier d’incitation pour les pêcheurs. 
Dans les cas où des mesures sont imposées, on est tout aussi loin du compte. De nouvelles technologies permettent aujourd’hui d’analyser les comportements des navires et d’en déterminer l’activité, notamment grâce au système AIS (Automatic Identification System). Les résultats sont  pour le moins décevants : là où la législation exige des pêcheurs que les lignes soient déployées de nuit, on estime à plus de 85% les cas où la loi est ignorée. D’autant plus inquiétant lorsque l’on sait que les états avancent le même chiffre, mais pour les cas contraires. 

Illustration 4
Lignes d'effarouchement sur un navire au large de la Namibie © J. Paterson

Parmi les recommandations de BirdLife International figurent aussi une réflexion sur la gestion des déchets de poissons et le rejet immédiat des captures accidentelles. Un rejet différé pourrait en effet réduire de manière significative la présence d’oiseaux autour des navires de pêche, et ainsi limiter les accidents pour les oiseaux, en particulier avec les chalutiers. Des mesures allant dans ce sens sont toutefois présentées comme des solutions « long termes » car leur mise en place nécessiteraient des investissements afin de réaménager les bateaux de pêche. 

Et maintenant ?

De même que pour les tortues et le cétacés, la situation est urgente pour les oiseaux pélagiques, en particulier les albatros et les alcidés. Bien que des études soient toujours en cours afin de mieux qualifier la situation globale, nous en savons suffisamment aujourd’hui pour ne plus pouvoir contourner une vérité : l’industrie de la pêche est devenue un monstre. Elle est la première cause de mortalité des requins, des cétacés, des tortues et des grands oiseaux de mer, non contente d’être également responsable de la présence de macro-déchets plastiques dans les mers du globe. Les scientifiques ont fait leur travail, il est temps à présent pour tous les acteurs concernés - L’ONU, les fédération de pêches, les ministères, les établissement publics - de se saisir du sujet et de poser de nouveaux objectifs, plus ambitieux. Aux commandes du deuxième plus vaste espace maritime au monde, la France a un rôle déterminant à jouer ; en montrant l’exemple, elle pourrait créer une tendance et inspirer d’autres nations à légiférer pour durcir les contrôles sur les mesures de réductions de captures accidentelles.

Pour sauver les habitants des océans, il est plus que jamais nécessaire de remettre en question notre alimentation. A-t-on besoin d’une telle abondance de poissons ? Connaissons-nous le véritable prix que payent les créatures marines pour notre appétit insatiable ? 


Sources:

https://www.fisheries.noaa.gov/national/science-data/seabirds
https://seabirdbycatch.com/
https://www.bmis-bycatch.org/bycatch-species-groups/seabirds
https://www.birdlife.org/news/2022/01/20/troubled-waters-fishing-bycatch-is-decimating-europes-seabirds/
https://oiseaux-marins.org/upload/iedit/1/pj/366_1890_202005_Note_bilan_donneesObsmer_oiseauxmarins_2017_2019.pdf
https://www.noaa.gov/gc-international-section/seabirds-international-seabird-bycatch-mitigation-efforts
https://www.fao.org/3/X3170E/x3170e02.htm

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