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Billet de blog 1 août 2014

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Les Palestiniens ou l'art de résister

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Voici le témoignage d'un étudiant en deuxième année au département de français de l'Université al Aqsa de Gaza. Il s'appelle Montasser Mohammed, il a 21 ans et il habitait à Beit Hanoun. 

Je suis sorti de chez moi, à 8h30 le 22 juillet, sorti de ma maison, de mon quartier, de ma ville Bit Hanoun, dans le nord de Gaza. 
Nous avons passé une nuit noire. Je pense que les forces israéliennes ont utilisé tous les types de bombes disponibles, les avions, les canons et même les balles. 
Une zone industrielle de Beit Hanoun a disparu, on ne peut plus reconnaitre les usines les unes des autres. La zone a été soufflée, des tonnes de bombes sont tombées sur ma ville. 
Ma chambre me manque, mes livres me manquent, un ancien cahier caché sous les livres me manque, un roman que j'ai commencé aux premiers jours de guerre que je l'ai laissé ouvert pour le terminer lorsque je reviendrais, me manque aussi. 
J'ai laissé tous mes rêves, mes souvenirs, mes moments de joie derrière moi et nous avons quitté Beit Hanoun. Nous avons dû marcher sur trois kilomètres à pieds pour trouver une voiture. 
Sur le chemin, l'armée israélienne a envoyé trois missiles sur nous. Chaque missile déclenche un bruit assourdissant avec un nuage de gaz qui détruit tout sur un rayon de sept mètres. 
Je portais mon petit frère, nous avons commencé à courir, moi, mes parents, ma sœur, mon oncle, sa femme et leurs quatre enfants dont un de dix mois. J'ai vu le premier missile tomber, le deuxième était très proche, à peine cinq mètres, et le troisième à trois mètres environ de moi.
Je me suis jeté par terre pour protéger mon petit frère, je l'ai mis sous moi.
J'ai reçu un éclat au genou, ma mère était derrière moi, et elle a pensé que nous étions morts à cause du nuage dégagé par le missile.
Elle a couru vers nous et m'a aidé à me relever avec mon père. Nous avons repris notre course, fuir ! Il fallait quitter la ville rapidement. Derrière nous et devant nous, une foule de gens tentait de fuir les bombes et la mort. 
Après deux kilomètres de marche, j'ai vu une vieille femme supplier un chauffeur de la mettre dans le coffre. La voiture prévue pour quatre passagers en comptait déjà neuf, le chauffeur a refusé. Non pas parce qu'il ne voulait pas l'aider, mais parce qu'il avait du respect pour la veille femme qui avait l'âge de sa mère et qu'il n'osait pas mettre dans le coffre. Il a demandé à l'un de ses collègues de la prendre. 
Mon père a pris par leurs mains les enfants pour les aider à courir et ma mère a pris les mains de ma tante qui n'avait plus la force de courir. 
Un autre missile est tombé devant nous. J'ai regardé à ma droite,où il y avait un parc pour enfants, je dis "il y avait un parc" au passé car maintenant c'est devenu une ruine, il n'en subsiste qu'un palmier. 
Une voiture s'arrête à notre hauteur, on s'y engouffre à onze pour échapper à la mort. Des deux côtés de la rue, je vois des maisons, des tours, des immeubles et des mosquées rasées. 
Désormais je suis au centre de Gaza, j'ai trois heures d'électricité par jour au maximum, de l'eau tous les deux jours. 
Hier, 25 juillet, les blindés ont fait un massacre à Beit Hanoun en visant une école de l'UNRWA. La Croix rouge a demandé aux civils qui fuient les bombardements de se regrouper dans la cour de l'école. L'armée israélienne a ouvert le feu sur ces réfugiés , tuant seize personnes et faisant deux cents blessés.
Un de mes oncles a été gravement blessé. L'armée israélienne essaie d’expulser tous les habitants de Beit Hanoun, et hier soir ils ont bombardé l'hôpital de Bit Hanoun aussi.
Vendredi soir, ils ont annoncé une trêve humanitaire pour le samedi 26 juillet. Mes parents ont décidé d'aller à Beit Hanoun pour vérifier l'état de notre maison. 
Mon père est parti en premier pour vérifier s'il était possible pour ma mère de le rejoindre et s'il pouvait nous prendre des affaires, des vêtements, car nous ne nous sommes pas changés depuis trois jours. Nous sommes partis les mains vides, laissant même nos papiers. 
Mes parents ont eu un choc quand ils sont entrés Beit Hanoun : la plupart des maisons ont été rasées, des quartiers entiers ont disparu, notre maison criblée par les impacts des obus. 
Un missile a touché les escaliers, car les Israéliens savent que c'est l'endroit le plus sûr des maisons où l'on se réfugie au moment des bombardements. Il n'y a plus de fenêtres ni de portes, au plafond il y a un grand trou. Une seule chambre est restée intacte, toutes nos affaires sont hors d'usage, déchiquetées par les balles et les obus. 
J'ai mis du temps à convaincre mes parents de me laisser retourner à Beit Hanoun. Sur le chemin, j'étais impatient, je sentais que la voiture n'avançait pas assez vite.
Quand j'ai posé les pieds à Beit Hanoun, j'ai regretté que mes parents m'aient laissé partir. Je connais ma ville rue par rue, quartier par quartier, maison par maison. Mais là, je n'ai rien reconnu. 
Les maisons de mes amis, de mes proches, tout était pulvérisé, parti en fumée. Comme si cela n'avait jamais existé.
Mais ce qui est sûr c'est que nous allons tout reconstruire, que nous allons revivre malgré toutes ces attaques, que nous allons de nouveau rire en dépit de tous ces chagrins, parce que nous les Palestiniens avons inventé l'art de durer, l'art de résister, l'art de persister, l'art de rêver. 
Montasser Mohammed 

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