“ Allez ma petite, prépare toi, aujourd’hui c’est la délivrance, on sort " me dit maman. J'ai senti qu’un roc tombait sur moi, ses mots étaient assez lourds pour que mon esprit ait été brouillé « On sort, mais où ?
À la plage qui est bombardée à chaque fois que les soldats le décident, dont les cafétérias sont anéanties, où l’air porte l’odeur du sang.
Ou bien on fait le tour des nouveaux monuments de Gaza, comme par exemple les quartiers entièrement démolis et rayés de la carte ou bien les écoles remplies de réfugiés.
Je n’avais pas peur de la violation habituelle de la trêve, cette fois-ci j’avais peur que ma mémoire, mes traits, mon visage me trahissent.
Je me souviens de Gaza. Est-ce qu’elle possède encore les même traits ou est-elle déformée à cause des bombardements ?
J’avais peur de passer dans une rue où j’avais l’habitude de jouer à la marelle et de ne plus la reconnaître, de passer devant une maison où j’avais l’habitude de jouer dans son jardin et de ne plus la trouver, j’avais peur de passer devant mon école et de la trouver transformée en un abri.
Et si Gaza ne se souvient pas d’elle-même comment le puis-je ? À ce moment-là, j’étais inquiète, stressée, perdue, mais comment redessiner les traits de joie sur ma bouille, ces traits qu’à chaque fois que je me regarde devant le miroir je ne vois pas.
Et quelle couleur porter ? Peut être le noir !! Il va très bien avec la tristesse, non ? Peut-être le rouge qui exprime la rivière de sang coulé pendant cette guerre mais encore non ! J'ai l’habitude de porter du rose, de porter l’espoir et oui, finalement ce serait le rose.
La question la plus dure, ce n’était pas les couleurs, c’était la sortie elle-même, après un mois d’isolement. Comment faire finalement pour communiquer avec d’autres gens face à face.
J'ai l'impression d'être un enfant qui apprend à marcher, il hésite, il a peur, mais à la fin il réussit, sinon il ne s’intègre pas à la société et c’était mon cas. Merci à cette guerre qui m’a fait ressentir un sentiment enfantin.
Après une longue hésitation et une vraie envie de rester à la maison, j’étais finalement forcée de sortir, les regards innocents de mes deux neveux, leur forte envie de reprendre leur vie, de courir, de jouer comme les autres enfants du monde ont eu raison de moi. J’avais pitié d'eux, et malgré moi je suis sortie de chez moi et vous n’imaginez pas la surprise.
J'ai vu la volonté, la force et la détermination incroyable d'un peuple qui vit dans un enfer, capable de transformer cet enfer en lieu de vie, par amour et attachement à leur patrie.
Tous les marchés étaient ouverts, il y avait un monde fou, je n’avais pas imaginé voir le sourire de quiconque mais heureusement j’avais tort. J'ai vu le sourire des enfants au parc, de ceux qui jouent au foot, des autres qui font du théâtre, mais un autre théâtre, celui entre la résistance et l’ennemi en utilisant des armes en bois fabriquées manuellement.
J'ai observé des femmes et leurs maris qui passaient leur temps à discuter et à prévoir leur avenir, celui qui pense que la trêve sera permanente et celle qui prie Dieu que cela finisse bientôt et qu’elle puisse revenir dans sa maison et beaucoup d’autres qui s’en fichent de la guerre car pour eux la vie et la mort ont le même goût.
Et moi, j’ai donné libre cours à mon esprit pour qu’il croie ce qu’il voyait, ce qu’il entendait.
J’ai fermé mes yeux plusieurs fois, peut être que la guerre est un cauchemar et que c’est ça la réalité, peut être que cette foule s’amuse comme ça depuis le début des vacances, peut être que cette joie n’est pas née durant la guerre...
Mais non, les drones m’obligent à me réveiller me disant c’est toujours la guerre : on ne quitte jamais votre ciel.
Là j’ai compris que tout le monde voulait profiter de cette trêve, de cette pause pour faire tout ce dont il avait envie, tout ce qu’il aime, sortir pour respirer un air pur, pour voir la mer, pour voir le sourire des enfants et quand je dis « tout le monde » je parle des réfugiés dans les écoles, des habitants des quartiers anéantis aussi.
Ils voulaient vivre chaque minute comme si c'était la dernière, tant qu’ils sont vivants, tant qu’ils peuvent en profiter au maximum malgré le fait que chacun cache dans son cœur des souvenirs douloureux. Mais c’est la vie qui survit et c’est le cas de tous les Gazaouis.
On met un bandage sur notre blessure et on continue. On est vivant pour continuer le chemin de ceux qu'on aimait et qui sont morts. On ne les oubliera jamais mais on ne faiblira jamais.
Après trois heures passées dans le parc, maman a proposé d’aller chez nos amis qui habitent pas très loin du parc et on a accepté tout de suite « c’était normal, après un enfermement de 40 jours » On y est allé, l’ambiance était un peu bizarre, mélangée de joie et de tristesse. Notre amie était affligée par la mort de la famille de son frère et elle n’a pas cessé de pleurer, et durant toute la soirée maman a essayé de la consoler, de changer de sujet, de l’aider à s’adapter à la réalité.
Moi j’ai décidé de changer de place, loin de cette ambiance chamboulée pour tenir la main de sa fille moins âgée que moi et on est allé au salon. J'avais raison, on a oublié un peu la tristesse et on a passé ensemble une super soirée, en parlant de nos projets, de son lycée, de mon université et de ses histoires d’amour. Oui l’amour est toujours présent même pendant la guerre et je trouve qu’il est la seule chose magique qui nous fait oublier nos peurs.
Pour profiter au maximum du temps « on n’est pas sûr de rester vivant jusqu’à demain » on a donc décidé de continuer notre trajet par la maison de ma tante pour féliciter mon cousin de sa réussite au bac.
On est resté chez eux jusqu’à minuit, trois heures encore, pleines de rires, de souvenirs et de moqueries de mon cousin qui se comporte déjà comme un étudiant d’université, comme un homme responsable malgré la guerre.
Son enthousiasme pour commencer l’université ravive en moi l’espoir que ce qu’on vit maintenant est un brouillon et qu'il sera une feuille pliée du passé.
Les enfants ont passé leur soirée à regarder une bande dessinée, ça fait longtemps qu’ils n’ont pas regardé quelque chose d'amusant, loin des voix assourdissantes.
En fin de soirée, cousin ainé est rentré de son travail, et malgré ma forte envie de le voir, une envie insatisfaite depuis 7 ans, je n’ai pas osé même lever la tête pour le saluer, il s’est dirigé immédiatement vers le balcon où se trouvait le reste de la famille, sans électricité.
Il y est allé et mon cœur endormi s'est réveillé en entendant sa voix.
J'étais avec les filles dans la chambre tandis que mon cœur et mon esprit étaient avec lui pendant que les filles parlaient. Je cherchais sa voix parmi les leurs et à chaque mot qu’il prononçait je souriais spontanément.
Je voulais l’épier seulement mais je n’ai pas pu, sa voix fait rougir mes joues, que ferai-je si je le vois ? À minuit, il était temps de partir, et pour nous rassurer, il a insisté pour nous accompagner jusqu’à notre maison.
Quand on est arrivé, il a été trop rapide pour que j'ai la chance de lui voler un regard.
Si j’avais pu tuer ma timidité et si j’avais pu flâner à côté de toi, si mes mains avaient accroché les tiennes et si la rue avait été interminable pour que je sois près de toi et si j’avais tourné la tête avant que tu tournes le dos, si seulement tu avais donné à mes yeux une chance pour qu’ils se noient dans les tiens. Ensemble on vainc la guerre par nos cœurs pleins d’amour.
Ensemble notre volonté ne sera jamais brisée, ensemble nos âmes deviennent une et notre mort devient une seule mort.
Tu sais, ta présence disperse mon désespoir, mon inquiétude, ma peur, tu sais qu’en ta présence j’oublie la guerre tout simplement, ta présence me ressuscite de nouveau.
Si seulement l’amour avait envahit le monde et la haine reculé.
Rien ne fait naître la guerre, rien.
Si l’amour de chacun construit son nid dans le cœur, l’amour vaincra et la guerre perdra.
Ce sont seulement des « SI » et avec le temps, mes « SI » grandiront et deviendront une réalité absolue.
Ce jour là, et pour la première fois, je me suis endormie souriante sans penser à la guerre ou même aux bombardements, sans deviner si la trêve finira ou pas, et là j’ai découvert que l’amour vainc, vainc la guerre.
HUDA ABDELRAHMAN - GAZA