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Billet de blog 15 juillet 2009

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Afghanistan, journal de campagne. Quelles solutions, pour quel avenir?

Jeudi 9 juillet Il est 8h00 du matin, j’essaie par tous les moyens de joindre Ajmal au téléphone car Latif Pedram Chef du congrés national d’Afghanistan doit tenir avec d’autres candidats un meeting important à 9h00 dans un grand Hôtel.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Jeudi 9 juillet

Il est 8h00 du matin, j’essaie par tous les moyens de joindre Ajmal au téléphone car Latif Pedram Chef du congrés national d’Afghanistan doit tenir avec d’autres candidats un meeting important à 9h00 dans un grand Hôtel.

Nous arrivons devant le Grand Hôtel vers 10h00. La police nationale garde l’entrée. L’ambiance est plutôt agitée. La foule est nombreuse et se presse au dernier étage pour assister au meeting qui n’a pas encore commencé. Nous rentrons dans un immense salon. Le maître de cérémonie m’indique l’endroit où se sont placés les journalistes de la télévision nationale. Je suis la seule photographe étrangère. Vu ma position celui ci m’autorise à me déplacer librement pendant le meeting.

Les trois cents sièges recouverts de drapés blancs sont pour l’instant occupés à moitié par des écolières Hazaras qui viennent certainement écouter le discours de leur candidat appartenant lui aussi à la seule communauté Chiite du pays au vue de son portrait qui orne un des mur de la salle de réception.

J’ai beau chercher mais je ne vois aucun portrait de Latif Pedram. Celui ci semble vouloir se démarquer par la non présence de posters affichés un peu partout dans la ville.

Au milieu de l’immense salon les candidats installés sur des sofas semblent attendre péniblement dans le silence que la céremonie débute.

Le protocole officiel d’introduction dure au moins une heure.

Première intervention: lecture du Coran interprétée par un jeune homme à la voix exceptionelle.

Deuxième intervention: les élèves d’une école Hazara chanteront l’hymne nationale sur laquelle déjà les afghans ne parviennent pas à se mettre d’accord. Lorsque la cérémonie du chant commence toute l’assemblée se lève excepté deux candidats dont Latif Pedram. L’hymne nationale interprétée en langue patchtou marque les oppositions idéologiques sur la notion d’unité Afghane en même temps que l’incapacité malgré la bonne volonté affichée de tous les candidats de pouvoir s’entendre sur le concept intellectuel de nation.

Latif Pedram sera le premier à venir sur l’estrade pour prendre la parole. Il s’adressera tout au long de son discours aux jeunes générations majoritairement présentes dans la salle. Il exprimera son désir de mettre en place un gouvernement constitué de jeunes gens dont il s’entourent par ailleurs pour mener sa campagne. Il promet un ministère de la Jeunesse s’il est élu, il rappelle que la majorité absolue de la population de son pays est jeune et que rien de significatif n’a été fait depuis ses sept dernières années dans le domaine de l’éducation, de la formation technique, des sports et des loisirs pour les jeunes de son pays.

La céremonie est très officielle, cette fois ci il n’y aura pas de confrontations avec le public. Seulement des militants déjà convaincus sont présent à cet évènement. Le discours de Latif Pedram scandés par des applaudissements a duré environ 20 minutes

C’est le tour du candidat suivant. Ajmal me propose alors d’aller rencontrer chez eux les nouveaux candidats qui seront prévus pour le prochain débat organisé par la Fondation Armanshahr.

Monsieur Yakobi le chauffeur de la fondation “Armanshahr” nous conduit sur les plateaux de Kaboul. Nous traversons la ville qui n’en finit plus. Les hauteurs de kaboul sont aussi surpeuplées de petits bazars et d’habitations en pisée. Cette n’a pas de centre.

Nous nous rendons en fait chez Monsieur Ashraf Ghani un candidat pachtoune très riche, ancien ministre de Karzai et proche de certains milieux américains qui tentent de mobiliser la base qui a voté Karzai lors des dernières élections .

Ashraf Ghani tient son siège dans la zone de Darelaman sur les hauteurs de Kaboul. C’est une zone aujourd’hui complètement détruite par les bombardements des guerres qui se sont succédé depuis trente ans. Le plateau est pour ainsi dire complètement rasé. Les monuments symbolisant le régime de l’ancien roi comme la Palais royal ou d’autres grands monuments prestigieux sont réduits à l’état de ruine tenant encore debout dans ce paysage plat balayé par la poussière. Il semble que nous arrivons au bout du monde ou à la fin de Kaboul. Cette zone est sous haute surveillance militaire, derrière les hautes murailles de béton surplombés de fil barbelé se trouve le ministère des affaires étrangères, et d’autres résidences officielles inaccessibles. Ajmal tentera de le rencontrer pour l’inviter comme l’un des intervenants au prochain débat public de la Fondation. Ashraf Ghani ne veut rien savoir, il est trop occupé. A l’entrée de sa résidence une foule de pachtounes à juger par les grands turbans certainement venus des provinces du sud sortent d’une visite officielle, d’autres rentrent aussitôt. Les visites se succèdent et notre attente devant l’entrée du “Palais” s’éternise. Le défilé de ces chefs de tributs patchtounes enturbannés suivi de leur femmes en burqa au milieu de tout cette attirail militaire de surveillance hautement sophistiqué me semble hahurissant.

Nous repartons déçus. Ajmal s’étonne du refus. Ce candidat a-t-il peur de confronter un public mixte de jeunes citoyens ? Le chargé de campagne a promis de rappeler Ajmal.

Non loin de là se trouve le quartier général d’un autre candidat connu. Un ancien ministre du Plan, venu en Afghanistan en soutenant l’ancien roi déchu, et plus tard démis de sa fonction car trop critique à l’égard des ONG., le Dr Ramzan Bashardost est aujourd’hui député au parlement. Ajmal me propose d’aller lui rendre visite.

Le QG de Bashardost se situe non loin de la résidence fortifiée de Ashraf Ghani. Mais quelle différence ! Il s’est implanté en bordure de la route longeant le quartier peuplé par la modeste communauté Hazara.Une simple tente flanquée du drapeau national et du drapeau de son sigle électorale représentant une colombe sur fond vert. Pour la première fois il n’y a aucun garde à l’entrée. Un jeune homme nous prit d’attendre le candidat sous la modeste tente.

Monsieur Bashardost arrive au bout de 5 minutes. Il parle couramment le français. Il a passé 22 années de sa vie à étudier en France où il a obtenu un doctorat de droit et de sciences politiques. D’origine Hazara il milite pour l’indépendance de l’Afghanistan.

C’est un homme qui se veut modeste et proche du peuple. Il dit être l’un des seuls à effectuer une campagne politique selon le modèle français au milieu de la foule contrairement aux autres.

Il aime dire que certains le surnomme le Gandhi d’Afghanistan. Je me demande si cela ne fait pas partie de sa stratégie de communication électorale. Vêtu d’une chemise traditionnelle et d’un gilet orné du symbole de la colombe, Monsieur Bashardost prétend être le seul à avoir le soutient direct d’une partie de la population. Son programme est constitué de 52 propositions construit sur la base des revendications populaires qu’il a recueillies.

Parmi les priorités de son programme : chasser du pouvoir tous les criminels de guerre et la suspension des hauts fonctionnaires corrompus. Très remonté contre les japonais, Il propose de rayer de la carte les relations avec Tokyo qui voudrait faire de l’Afghanistan un pays de transit comme il l’a toujours été. Il désire mais une nation indépendante fonctionnant grâce à son industrie et ses activités agricoles. Sur tout le territoire seulement 10% des terres cultivables sont exploitées. Pour résoudre les problèmes d’alimentation en eau de ces terres subissant aujourd’hui une désertification, Monsieur Bashardost donne la priorité à la construction de barrages qui permettraient à la population majoritairement paysanne de pouvoir se nourrir et travailler.

Bashardost estime que la campagne électorale menée par les différents candidats n’existe pas. Il estime que ses rivaux ne mènent pas de campagne électorale car hormis le déplacement de leur résidence jusqu’à leur quartier général ceux ci ne prennent jamais l’initiative du discours sur les places publiques.

Bashardost affirme se déplacer dans les provinces du sud les plus dangereuses du pays et à aller faire campagne au sens occidental du terme.

Face à la présence des Américains censés lutter contre les Talibans en Afghanistan, Monsieur Bashardost expose sa propre analyse de la situation. Pour lui les Talibans ne combattent pas directement les puissances alliées. Ils essaient seulement de chasser du pouvoir les anciens chefs de guerre moudjahidins ou communistes qui s’étaient refugiés en Iran et au Pakistan sous l’occupation talibanne dans les années 1995 et qui sont ensuite revenus au sein du pouvoir avec l’appui des forces américaines. Il affirme que chasser les moudjahidins du pouvoir suffirait à faire baisser les armes aux Talibans.

Il paraît clair que l’Afghanistan est une carte en or pour toutes les puissances étrangères qui l’entourent. Pour Bashardost “les américains projettent de s’y installer depuis déjà un siècle en vue d’une troisième guerre mondiale contre la Chine”. Conscient que l’Afghanistan est au centre des tous ces enjeux stratégiques, il accepte de défendre des interêts communs avec les Etats Unis et se dit prêt à accepter leur collaboration à condition qu’ils en payent le prix, comme la récupération de certaines provinces à la frontière iranienne et pakistanaise ou l’éloignement définitif des anciens chefs de guerre moudjahidins du pouvoir.`

Décidemment toutes les thèses et les suppositions sont possibles dans ce pays.

L’Analyse de ce candidat semble cependant un peu légère.

Chasser les moudjahidins du pouvoir, remodeler les contours du pays, laisser les Talibans déposer les armes. Les solutions de paix et de retour à la stabilité du pays proposées par Monsieur Bashardost font un peu l’effet d’une douche froide.

Celui ci nous raccompagne aimablement jusqu’à la sortie de sa modeste demeure.

A ce stade, jour trois de mon séjour que penser de cette campagne électorale? Est-elle bien réelle?

Pour l’instant nous sommes plus dans une campagne d’opinion.

Toutes les solutions politiques envisagées pour sortir ce pays d’une guerre éternelle ne garantira pas que l’Afghanistan, en partie stabilisée dans le nord sombre à nouveau dans un conflit global.

J’attends avec impatience je pouvoir m’entretenir avec Latif Pedram sur la manière dont il compte relever son pays.

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