A Berlin, en ce début de février, tout féru de culture ne saura plus où donner de la tête. Pour n'évoquer que quelques événements de renommée internationale : la Transmediale et la Club Transmediale se sont achevées ce dimanche. La Transmediale, sorte de conférence-expo consacrée aux arts et cultures numériques qui a lieu plutôt le jour et qui a donné naissance à la Club Transmediale, festival de musiques électroniques et expérimentales qui se passe surtout la nuit, descend en droite lignée de la Berlinale, le festival de Cannes allemand. D'ailleurs, celui-ci commence demain. La ville est en ébullition. De quoi vraiment perdre son sang-froid.
Alors, samedi dernier, j'ai cru opportun de couper la poire en deux en allant à une toute petite manifestation qui avait tout l'air de vouloir en devenir une immense. Elle portait le titre prometteur de « A Secret Community », une communauté secrète. Elle était censée se dérouler sur la Chausseestrasse, rue longue de deux kilomètres; « nombre de places illimité » était de surcroît indiqué sur le site-internet de l'organisateur Program, un groupe d'artistes et architectes qui aiment créer et penser à plusieurs.
La communauté secrète en question consistait d'ailleurs en l'une des dernières expérimentations de toute une série, appelée PUBLIC, dont le but suprême était, en l'espace d'une semaine, d'examiner « the potential of latency and open spaces made possible in the relations between individuals and publics », dit le site... oui, bref, chaque journée fut ainsi dédiée à une nouvelle action confrontant le public à l'individu et vice-versa. Le mercredi, on mena une discussion multi-disciplinaire publique entre les murs de Program. Le jeudi, on dîna dans une station de métro, etc.
Au moment où je me mis en route pour aller rejoindre ma communauté secrète, il me manquait encore l'heure du rendez-vous. Elle devait être annoncée sur le site, ce n'était toujours pas le cas. J'ai appelé, laissé des messages sur le répondeur, rien n'y fit. 15 heures sonnaient déjà. Je la reconnaîtrai bien, la communauté, aussi secrète qu'elle soit, pensai-je, en enfilant mes gants.
Il neigeait un peu. La Chausseestrasse était plus ou moins déserte. J'examinais tous les passants. Dans le regard de chacun me semblait briller un éclair de connivence. Etaient-ils au courant que j'étais au courant qu'ils étaient au courant de ce que nous étions en train de vouloir faire exister? Puis j'aperçus un petit groupe qui marchait, nonchalant, l'air de rien, tranquille. Ce sont eux! Forcément.
Je les suivis un moment, de loin, tout en me disant, en fait c'est ça la communauté secrète, c'est la conviction de se sentir proche de chacun, inconnus absolus inclus. Je voyais que devant moi, les membres du groupe n'essayaient en rien d'entrer en contact avec les gens. Ils savaient qu'ils l'étaient. La pensée suffisait.
Comme il neigeait de plus en plus, je bifurquai dans l'Invalidenstrasse rejoindre mon ami Pierre, contente d'avoir vécu un truc. Et ma communauté s'agrandit, au supermarché, dans la Brunnenstrasse, la Torstrasse, etc...
Lundi, je rendis une petite visite au site de Program pour vérifier quand même un peu si j'avais bien compris – chaque événement y est documenté. Dans le tableau n'était plus marquée la Chausseestrasse comme lieu de rencontre mais « location inconnue » – et toujours pas d'heure. Quatre photos montraient un type en imperméable beige, genre détective, aux abords de la Zimmerstrasse, trois bons kilomètres au sud de la Chaussestrasse.
Stupéfaction, gêne. Puis je pensai aux promeneurs dont j'avais impunément abusé de l'intimité et ça me fait rigoler et je me dis que c'était bien quand même, que je recommencerai. En attendant, cette semaine, j'irai faire un tour à la Berlinale, comme tout le monde.
Pour infos sur Program et PUBLIC : http://programonline.de/