Tongue Tongue Hong Kong est une entreprise qui recycle de la littérature pour en faire de la littérature et dont l'attribut « Tongue » se prononce « Tongué ». Fondée en 1993 à Berlin, son siège se trouve à Hong Kong. Elle possède deux délégations, l'une à Vienne depuis 1995, l'autre à Zurich depuis 1998. Ses scribes portent des numéros. A en croire les signatures de certains textes, Tongue Tongue Hong Kong emploie plusieurs centaines d'auteurs. Mais peut-être ne s'agit-il que d'une dizaine. En tout cas, Petra Coronato, auteure, photographe et historienne pour la radio, y a un CDI depuis dix ans. Récemment, elle a présenté le concept de Tongue Tongue Hong Kong dans sa chambre à l'hôtel Marienbad.
L'hôtel Marienbad, situé dans l'Auguststrasse, est un hôtel plus que particulier. Seuls des artistes ou des intellectuels invités par l'Institut d'art contemporain des Kunst-Werke Berlin peuvent y dormir. Et ce, à condition d'y développer un projet nouveau qu'ils présenteront au public à la fin de leur séjour d'un maximum de deux semaines, dans leur chambre. Les visiteurs ont le droit de s'asseoir sur le lit et parfois de fumer.
La chambre, comble, je n'ai pu, tout en pensant à Morel, photographier que les murs...

C'est donc dans une ambiance détendue et un brin rock'n'roll que Petra Coronato, qui, lorsqu'elle rit, le menton pointant vers le haut, les commissures des lèvres vers le bas, la bouche ouverte mais dont ne sort aucun son, ressemble à un personnage du Muppet Show, a expliqué comment recycler de la littérature sans risquer d'être confronté à la justice.
Le public sait désormais faire la différence entre les formes de recyclage punissables et celles non-punissables. La copie traditionnelle ou machinelle, le plagiat et la contrefaçon sont punissables. L'épigonie, la citation, l'interprétation, le pseudo-plagiat, la cryptomnésie et, à un certain degré, la parodie, la caricature et la satire sont non-punissables. Reste ensuite à délibérer si une même phrase a été plagiée ou épigonisée. La clef du succès se trouve dans l'argumentation de sa bonne volonté.
Le recyclage sous toutes ses formes a existé bien avant la création du terme. On ne jette pas l'or, par exemple. Quand on en trouve, en vole ou en recueille, on le fait fondre pour fabriquer un nouvel objet. Dans de nombreuses disciplines artistiques, comme la peinture ou le cinéma, la pratique est depuis longtemps courante et a rarement dérangé qui que ce soit. Dali, Duchamp et Warhol ont bien une Joconde à leur actif. D'autre part, étant donné la masse de livres qu'une vie humaine ne saurait dévorer, il semble tout à fait raisonnable qu'on s'adonne au montage, collage et recyclage de grandes oeuvres littéraires ou philosophiques. Dans un seul ouvrage de Tongue Tongue Hong Kong, on peut ainsi lire Kafka, Goethe, Platon et le slogan d'un légendaire spot publicitaire des années 1980 à la fois - faut-il seulement s'en apercevoir.
... et le plafond.

Pour parfaire son exposé, Petra Coronato a d'ailleurs proposé au public de tester ses connaissances. A chaque volontaire, elle a tendu une feuille de papier sur laquelle étaient dactylographiées quatre citations issues de la plume de Hegel et de Heidegger. Il fallait ensuite deviner s'il s'agissait de citations originelles ou recyclées par Tongue Tongue Hong Kong. Ma voisine, érudite, m'épaula. J'usai pour ma part d'une tactique psychologique des plus raffinées : les citations au contenu farfelu sont vraies, les sérieuses, recyclées. A nous deux : un zéro faute! Comme j'étais la plus jeune et la plus démunie, j'ai eu droit au prix : le livre « Ex.ex. formula » de Tongue Tongue Hong Kong paru aux éditions Gegensätze. J'en ai commencé la lecture. Du recyclage de maître. Un chef d'oeuvre.