Rétrospective d'un court périple de film en génériques.
Tapis rouge avant le film :

L'avantage de la Berlinale, c'est que tout le monde peut y aller. Il suffit d'acheter une carte. Le problème, c'est que tout le monde veut y aller. Dans la queue, élément du coup incontournable, on élabore des stratégies de conquête des salles. Derrière moi, à l'entrée du CinéStar où passe ce soir-là un film allemand, deux filles complotent: « Cours vite à l'Arsenal (un autre ciné) si tu peux nous avoir des cartes pour le film d'après. J'attends ici au cas où ça se débloque ». L'emmissionnée fonce. A ce moment, deux grands garçons s'inscrutent en tête de queue. Comme ils sont très beaux, on leur pardonne leur insolence. La fille revient, bredouille. « Le guichet n'ouvre qu'une heure avant la projection », dit-elle. « Ah », répond l'autre. « Si le film est nul, tu sortiras avant la fin pour attraper les cartes? » L'autre, bonne copine, acquiesce.
Soudain surgit une femme avec une carte à la main pour le film de maintenant. Elle veut la revendre. Un garçon bondit hors de la file, tend la somme requise à la dame, lui arrache la carte des mains et galope en direction de la salle, laissant derrière lui sa copine. Les gens dans la queue gloussent, le teint de la délaissée s'empourpre. Ce doit être un très bon film. D'ailleurs, on nous annonce dans la seconde que la séance est complète, ça ne sert à rien d'attendre.
Alors, je rejoins la file d'à côté, pour un film qui commence dans une heure. Je demande à la personne devant moi duquel il s'agit. Ses yeux bleus s'agrandissent. Là-dessus, elle bafouille : « Je ne sais pas. Je suis venue de façon spontanée ». C'est bien dit, alors moi aussi.
Une heure plus tard, nous apprenons : même scénario, plus de cartes. Je décide de rentrer. Demain, je me lèverai tôt pour aller me mettre sous la dent un film jeune public qui commence à 9 heures – ça y est, j'ai la fièvre du festival. J'imagine qu'il y aura moins de prétendants. Sur le chemin, je m'achète une saucisse, habitude culinaire très répandue en Allemagne. Le stand au coin de la Potsdamer Platz est tenu par Angela. Je le sais, car tout festivalier américain qui passe, lui lance un « Hello Angela, how are you? » Ils doivent penser que ça fait bien, genre j'aime les gens. Angela, elle s'en fout, elle sue, elle est fatiguée, elle en a marre des saucisses, elle veut rentrer chez elle.
Finalement, le lendemain, je ne me lève pas pour aller voir un documentaire de 156 minutes sur la sexualité et la consommation de drogues des ados en Allemagne, mais le surlendemain pour une fiction sur le suicide annoncé d'un jeune américain. Le film s'appelle « My Suicide » et passe au Babylon. J'obtiens une carte comme prévu sans difficulté, m'offre gaiement un café dans un gobelet en plastique brun et m'asseois au milieu d'une nuée d'ados surexcités. Si tôt dans la journée, mais comment font-ils? Au début du film, ils ricanent. Puis, sur l'écran, un de leurs congénères meurt.
A la sortie, les ados ont les yeux gonflés, ils trébuchent dans la neige. Je décide de continuer mon périple vers un autre cinéma, le Colosseum, dans la Schönhauser Allee. Le documentaire qui m'y attend, est intitulé « Wir sind schon mittendrin » (traduit par « Génération indécise »; littéralement ça veut dire « Nous sommes déjà en plein milieu » - de la vie). Ce film me concerne.
Le réalisateur, Elmar Szücs, jeune papa, a l'impression de n'avoir encore rien fait de sa vie. Il décide alors de rendre visite à ses trois vieux copains d'enfance pour voir où ils en sont – et à l'occasion, les filmer. Tout comme lui, ceux-ci sont presque trentenaires, originaires de Hambourg et issus de classe moyenne. Leurs parents ont beaucoup travaillé pour leur offrir une enfance pas trop chiche, des activités culturelles, artistiques et sportives. Et ils leur disaient : « Sois critique, mon fils. Ne te fie à aucune autorité ».
Résultat : ces messieurs ne sont pas devenus le trompettiste de jazz ou le sportif de haut niveau comme ils en rêvaient petits et ce dont personne ne les aura a priori jamais empêchés. Face à une multitude d'opportunités, ils ont préféré glander, certains ont carrément sombré dans la drogue ou la dépression. Actuellement, ils émergent, ils reprennent leur vie en main à grands coups de pied dans le derrière et c'est non sans humour et une certaine sérénité qu'ils font l'état des lieux : « Nous n'avons rien, nous ne faisons rien, nous ne sommes rien ». Pause. « Pour l'instant, on ne peut pas dire que nous ayions beaucoup contribué au PNB ».
Dans la salle, occupée par une majorité de spectateurs en état de s'identifier avec nos quatre personnages, forcément, on rigole. On sait de quoi il en retourne. La tête pleine d'idées qu'il faut encore réaliser. C'est difficile quand on est paresseux et qu'on a les poches piteusement vides. Comme quoi l'éducation et l'indépendance ne seraient pas les uniques clefs du succès? Reste à savoir si l'échec est lié au manque de talent, de volonté ou de cuillères en argent en guise de biberon. S'il s'agit d'échec.
Bref, « Wir sind schon mittendrin » offre à partir d'un échantillon, le tableau d'une génération, celle des gens nés dans les années 1970, dont les parents n'ont pas forcément fait 68 mais transmis les idéaux à leur progéniture : liberté de soi, de ses décisions – et sans s'en apercevoir un certain non-matérialisme. Ils aiment leurs enfants, ils sont fiers d'eux, ils leur font confiance. Quand ils se font du souci quant à leur avenir, ils gardent ça pour eux. Pour éviter de mettre la pression. L'important c'est d'être heureux, pas d'être riche et célèbre, non? Mais quand même, ils ne comprennent pas toujours leurs rejetons. Leur flegme les effraient un peu.
Mais ne vous inquiétez pas, chers parents, nous sommes juste un peu plus lents que les autres. La liberté, les bonnes paroles, vue la réalité capitaliste dure dans laquelle nous évoluons et dont nous profitons plus que nous en souffrons, quand on les a plus ou moins bien intégrées, ça paralyse.
Voilà, la Berlinale, c'est plein de bons et de mauvais films. Surtout plein de films qu'on ne reverra probablement jamais et qui donnent à réfléchir.
Discussion après le film :

Pour tous ceux qui n'étaient pas à Berlin pendant le festival mais le seront peut-être dans les prochaines semaines, l'exposition « Vorspannkino » qui sévit actuellement jusqu'au 19 avril dans l'Institut d'art contemporain Kunst-Werke, s'impose. On peut y voir une sélection de plus de 50 génériques de films ayant marqué l'histoire du cinéma, génériques réalisés par de grands noms trop peu connus tels Saul Bass, Wayne Fitzgerald et Maurice Binder, pour ne citer que les précurseurs d'un métier fatalement en marge.
Comme dans tout cinéma qui se respecte, il y a une salle réservée aux adultes tout en haut où ne sont diffusés que des génériques de films d'horreur parfois pornographiques. Le sol de cette salle plus obscure que les autres a été recouvert d'un tapis de mousse noire, ce qui donne le vertige. Bien vu.
L'expo frustre car elle donne l'eau à la bouche sans jamais assouvir la curiosité. Aux visiteurs d'aller louer les films complets en vidéothèque. La bonne nouvelle : il n'y a pas de queue à l'entrée.