J'ai la plaisante habitude d'assaillir régulièrement mon ami Pierre à coup d'onomatopées guerrières : « Hiiaaa! », « Shaoolin! », « Ffihu! », « Dj! » ou encore « Tsak! ». J'en profite toujours pour illustrer mes cris en lui infligeant des petits coups brefs sur les cuisses, les biceps et le nez. Je sautille aussi, je piétine sur les pointes en agitant les bras à tous vents jusqu'à ce que les jambes s'articulent de même. Hier soir, j'ai retrouvé ce jeu – en version perfectionnée, sur la scène du Radialsystem, dans la chorégraphie « Shock » de David Zambrano.
La réputation de ce chorégraphe vénézuélien est sans frontières. On lui doit la création de nouvelles techniques de danse telles que « Flying Low » ou « Passing Through ». Résidant aujourd'hui à Amsterdam, il a beaucoup voyagé et voyage toujours encore, occasion pour lui de repérer ses danseurs. Grand constructeur de ponts entre cultures et disciplines, son enseignement est recherché.
« Shock », c'est 12 danseurs, tous hommes, vêtus de gris-noir. Souvent, seulement deux d'entre eux se partagent la scène, sur laquelle ils se livrent à une sorte d'affrontement, accompagné par des opéras de Verdi, Mozart et «Love Me Tender » d'Elvis Presley. On reconnaît dans leur gestuelle, des arts martiaux tels le Kung Fu ou le Tai Chi, des mouvements d'escrime aussi, de machines de guerre ou des robots Transformers. Alors, le jeu s'estompe en une valse ou un tango. Soudain un danseur se détache de son partenaire pour décrire de grands cercles en courant sur la scène; un à un, tous finissent par le suivre. Fluide, l'ensemble s'épaissit en une masse dense qui gonfle et se dégonfle, roule vers le public. Je pense aux monstres gluants, rampants et gémissants, animés par Hayao Miyazaki. Puis c'est tempête.
Les associations sont nombreuses et ne peuvent que diverger d'un spectateur à l'autre. On voit une cour d'école, la flore et la faune terrestres, une image synthétique. On appréhende la mort, la régénération énergétique de l'être, un électro-choc fantastique. L'amour complice.
Photos : Emilie Delugeau