En Allemagne, qui achète une bouteille, paie généralement une consigne. Qui ramène la bouteille au magasin, récupère la somme. Pour accélérer les passages en caisse, on trouve dans beaucoup de supermarchés des automates dans lesquels les clients déposent les bouteilles consignées; en sort ensuite un ticket dont le montant sera soustrait de celui des achats effectués en magasin.
Le 22 janvier 2008, Barbara E., caissière dans un supermarché berlinois de la chaîne Kaiser's, dérobe deux de ces tickets, perdus par un client et jusqu'ici conservés dans un bureau, pour en empocher le montant - d'une valeur globale de 1,30 euro. Du moins, c'est ce dont la direction du magasin dans lequel la caissière a travaillé pendant 31 ans, la soupçonne. Barbara E., 50 ans, mère de trois enfants et doublement grand-mère, se fait alors licencier.
Sûre de son innocence, elle porte plainte devant le Landesarbeitsgericht, les Prud'hommes de la région. Faute de preuves en sa faveur, elle perd un premier procès en août dernier. Hier matin, le deuxième se solde par son licenciement cette fois-ci sans préavis. La décision de la juge Daniela Reber est formelle : Barbara E. a abusé de la confiance de son employeur, son cas ne sera pas révisé.
Son cas n'est pourtant pas une exception. Les méthodes douteuses pour expulser des employés gênants, soient-ils membres du comité d'entreprise ou détenteurs d'un contrat de travail à durée indéterminée, ont de plus en plus tendance à faire la une des journaux; au plus tard depuis la publication en décembre 2004 du Livre noir de Lidl signé par les journalistes Andreas Hamann et Gudrun Giese.
Hier, Barbara E. n'est du coup pas seule au tribunal : de nombreux activistes l'accompagnent, dont quatre femmes de la Fédération des Migrantes. Elles arborent des pancartes aux slogans dénonciateurs : « Pas de répression contre les collègues syndiquées actives! » ou encore « A bas le licenciement pour présomption de faute! ». Le comité de soutien « Solidarität mit Emmely » s'est d'ailleurs formé autour de Barbara E. dès la première heure de son combat – Emmely est son surnom.

Fédération des Migrantes
Lors de la conférence de presse organisée par deux de ses membres, Jörg Nowak et Gregor Zattler, après le procès dont l'issue déçoit Barbara E. jusqu'aux larmes, celle-ci continue de clamer son innocence. Elle explique que pour elle, la raison de son licenciement est lié à son engagement syndical. Fin 2007, elle prend part avec sept autres collègues à trois grèves. Elles auraient toutes été priées par la suite de se présenter individuellement auprès de la managère de district et du gérant de la succursale. « Il faut bien réfléchir du côté de qui l'on se tient », se serait-elle alors entendue dire. On aurait invité les briseurs de grève au bowling. A l'occasion, on leur aurait aussi demandé de bien ouvrir yeux et oreilles quant à toute irrégularité au sein du personnel. Une collègue informe alors Barbara E. que son nom a été inscrit tout en haut d'une liste noire. Et pour finir d'alimenter la théorie de la conspiration, il faut noter que Barbara E. a été confrontée à son délit trois jours après l'avoir commis. Au bout de trois jours, les enregistrements vidéo des allées et venues dans le supermarché sont effacés.

Barbara E. aux côtés de son avocat Benedikt Hopmann (à gauche) et des membres du comité de soutien lors de la conférence de presse
Mais la juge reste formelle. Ce ne sont pas les activités syndicales de Barbara E. qui lui ont fait perdre son travail. Qui vole un oeuf, vole un boeuf, même au bout de 31 ans de service. Quoi qu'il en soit, Barbara E. ne risque pas de retrouver un emploi de sitôt. Car qui va vouloir engager une prétendue voleuse à la langue bien pendue quant à la défense de ses droits?
Barbara E. n'a d'ailleurs pas encore l'intention de se taire. Assistée de son avocat Benedikt Hopmann, elle compte faire recours devant la Cour constitutionnelle allemande et s'il le faut, devant la Cour européenne des droits de l'homme. En attendant, on ne sait plus à quel supermarché vouer ses bouteilles vides.