La semaine dernière a commencé à Berlin le festival de Character Design & Art « Pictopia ». Au programme : une trentaine d'expos réparties dans plusieurs galeries berlinoises, une monumentale exposition dans la Maison des Cultures du Monde, l'ovni architectonique situé au bord de la Spree à l'orée du Tiergarten, une conférence de trois jours, des projections, des ateliers, des fêtes, du rire, des larmes et des tibias amputés. Le tout organisé par Pictoplasma.

La MCM ou ovni en question
Pictoplasma est un collectif berlinois créé par Lars Denicke et Peter Thaler en 1999. Leur intention première : archiver tout pictogramme élaboré ou, comme explique bienveillamment Lars Denicke aux profanes, tout « personnage de bande-dessinée sans BD c'est à dire sans histoire ». Les initiés désignent communément la chose par l'intraduisible terme anglais de « characters » (phonétiquement : kawakteuwss). Exemple bateau : le chat Hello Kitty, conçu en 1974 par la société japonaise Sanrio, avec ses deux points en guise d'yeux, un rond pour le nez et un noeud rouge sous l'oreille droite pour charmer les consommatrices, est un character.

Installation de Friends With You dans le hall de la MCM
On en trouve entre-temps un peu partout : sous forme de jouets, de graffitis, dans la pub, collés ou imprimés sur les habits, les ordinateurs et les réfrigérateurs des enfants, des ados, des adultes, dans les magazines et les galeries d'art. Subrepticement, ils ont envahi notre quotidien et comme dirait ma grand-mère, il ne leur manque plus que la parole. Lars Denicke et Peter Thaler ont été les premiers à poser le doigt sur ce phénomène d'envergure internationale et à l'extraire de ses différents contextes pour en analyser la portée. En ont résulté plusieurs publications, une première conférence en 2004 et un premier festival du film d'animation en 2005.
Du coup, pour Lucian, mon filleul de sept ans, Hello Kitty, c'est un Pictoplasma. Le personnage nommé Malfi du collectif Friends With You, c'est un Pictoplasma et la poupée Gordo de Doma, c'est un Pictoplasma aussi. Un jour, le petit Robert fera mention du terme en ses pages. En attendant, pour moi, Pictoplasma, c'est Gastón Caba, artiste et illustrateur argentin invité à la conférence de cette année, alors qu'il cite un écrivain français dont le nom restera à jamais un mystère : « Où est ma petite fille adorée? Elle avait pour habitude de donner de l'herbe aux lapins et des lapins aux serpents. »
Les characters répertoriés dans les livres pictoplasmiques ont l'air inoffensif et il arrive qu'ils soient juste vraiment mignons. Mais souvent, ils cachent derrière un sourire enjôleur une machoire acérée, sous des poils roses des poings ultra-griffus, il décapitent ou éventrent à l'occasion leurs congénères dans la joie et la bonne humeur, ou se mutilent eux-mêmes, victimes et bourreaux à la fois, leur sexualité s'avère des plus exubérantes. Hystérie post-pubertaire? Parfois. Reflet plus réel que nature du monde dans lequel nous vivons, voire de nous-mêmes, de nos peurs et nos envies? Oui. Invention d'un univers parallèle où les désirs d'amour comme les élans libidineux s'expriment sans vergogne? Encore oui : les characters qui attirent l'oeil de Pictoplasma sont du genre subversif ou intelligemment incorrect.

François Chalet
Durant la conférence qui s'est tenue dans la Maison des Cultures du Monde (quel nom) du 19 au 21 mars ont déambulé sur scène une douzaine de créateurs de tous bords (illustration, street-art, film...) et de toutes origines, pour parler de leur métier et à l'occasion d'eux-mêmes. A commencer par Boris Hoppek, artiste allemand vivant à Barcelone, qui peint ou confectionne des characters de couleur noire avec deux ovales blancs pour les yeux, un ovale rouge pour la bouche, bref le stéréotype raciste du noir. La provocation stimule la réflexion quant à une Europe en guerre contre l'immigration et à la xénophobie ambiante dans nos contrées occidentales. Le Mexicain Charles Glaubitz, de son côté, propose une version godzillaesque du personnage de Mickey dans ses peintures en guise de critique envers l'impérialisme américain.

Boris Hoppek

Charles Glaubitz
La plupart des Characters sont loin de démontrer un positionnement politique aussi clair. A priori, ils nous lorgnent d'un oeil stupide, c'est tout. D'ailleurs, on a souvent reproché à Pictoplasma une certaine superficialité quant à son sujet de prédilection, s'adressant à un public soi-disant mû par le refus de grandir et de surcroît lui donnant maintes occasions de laisser libre cours à une frénétique envie de dessiner tout l'après-midi ou de s'entrechoquer au volant d'autos-tamponneuses déguisées en lapin ou monstre velu rouge, comme c'est le cas en ce moment-même sur le lieu d'exposition. Si devenir adulte signifie arrêter de jouer, de pleurer quand on est triste ou heureux, ou pire encore de se prendre au sérieux, je n'y vois personnellement aucun intérêt.

Les curateurs Lars Denicke et Peter Thaler
Qui a assisté à la conférence, s'est entendu dire « En fait, c'est pas drôle du tout » ou « C'est joli mais un peu oppressant quand même » une bonne douzaine de fois, a fait la connaissance de créateurs de talent, armés d'un cerveau en mesure de réfléchir à ce qu'il génère, tels l'Américain A.J. Fosik dont les animaux-totems évoquent finalement l'éphémère existence humaine, l'Américain d'origine pakistano-hollandaise Fayaz Jafri dont les faons en silicone remettent en question l'ambiguïté séductrice de Bambi, leur modèle, le Russe Protey Temen ou l'Irlandais David O'Reilly à la recherche de l'ultime réduction graphique capable d'interpeller le contemplateur.

A.J. Fosik

Protey Temen
Certains ont suggéré l'émergence d'une nouvelle mythologie. Folie des grandeurs? Mario Bührmann, chercheur au centre des cultures performatives de l'Université libre de Berlin, rappelle à l'ordre lors du colloque intitulé « Rituals and masquerades – Get into characters » : « Le terme de mythologie est trop religieux », dit-il, « Parlons plus simplement d'une nouvelle forme de narration » ou, ajouterais-je, de communication.
L'exposition « Pictopia » ferme ses portes le 3 mai prochain. D'ici-là, projections de films d'animation, ateliers de dessin et performances. Pour plus d'infos, taper sur son clavier : www.pictoplasma.com ou www.hkw.de.
Allez, petit bonus vidéo pour finir en beauté : le Français Mehdi Hercberg alias Shoboshobo, musicien, illustrateur et dessinateur prolifique, présentant en plus de ses multiples projets, le Pikachu sonore de Kaseo