Sur le site du Checkpoint Charlie à Berlin, l’artiste Khaled Jarrar a offert aux touristes de tamponner leur passeport d’un cachet d’entrée pour la Palestine.Une performance symbolique, destinée à éveiller les consciences sur l’existence d’un peuple.

Khaled Jarrar

Le Checkpoint Charlie dans toute sa splendeur touristique
Du Checkpoint Charlie, ancien poste frontière entre Berlin-Est et Berlin-Ouest, situé en désormais plein centre-ville, il ne reste plus que la guérite. Des acteurs déguisés en soldats américains y jouent à la Guerre Froide et tamponnent volontiers les passeports des touristes d’un cachet d’entrée pour l’ex-RDA – souvenir oblige. Un stand„Visa“ est prévu à cet effet.

Il y a quelques jours de cela, le faux fonctionnaire américain tamponneur n’était pas seul à son stand. Un grand brun à l’accent arabe alpaguait ses clients, proposant le même service, mais gratuitement. Pourtant, rares étaient les touristes à accepter l’offre de l’artiste palestinien Khaled Jarrar.
Ce n’est pas forcément la faute du bonhomme, dont le nez légèrement cabossé lui confère des allures sympathiques de boxeur à la Sylvester Stallone. Mais peut-être bien du tampon lui-même.
Celui-ci représente un passereau palestinien, le „Palestinian Sunbird“, des fleurs et l’inscription en anglais, en arabe et en lettres majuscules : „ÉTAT DE PALESTINE“. Officiellement, l’État de Palestine n’existe pas. Qui souhaite aller faire un tour à Ramallah, doit passer par les autorités israéliennes. Si bien qu’un tel tampon dans le passeport pourrait être ressenti comme une provocation et c’est la fin du voyage. Et puis, le conflit, les enjeux, les idéologies, en discuter ça va. Prendre position s’avère déjà plus délicat.
Pour Khaled Jarrar, c’est simple : „Le peuple palestinien existe. Nous avons une identité, une culture. J’essaie de faire passer le message”. Il tamponne. Puis il tend la main pour serrer celle du détenteur du passeport, sourit de toutes ses dents et dit: “Bienvenue en Palestine”. En plein Checkpoint Charlie, symbole d’une longue séparation des mondes, c’est l’émotion garantie.

Toucher les gens constitue d’ailleurs une des intentions premières de l’artiste, 35 ans, charpentier et photographe de formation : “Laisser tamponner ainsi son passeport, ce n’est pas évident pour tout le monde”, admet-il. “Mais ça ne m’intéresse pas d’exposer une peinture stupide dans une galerie pour le seul plaisir d’une élite”. Et d’ajouter : “Je veux faire de l’art utile à l’humanité, un art qui crée un dialogue, qui conscientise”.
L’idée du tampon lui est venue il y a quelques trois années, alors que des amis du Canada et d’Écosse lui rendaient visite chez lui, à Ramallah. Ceux-ci avaient dû passer un interrogatoire auprès depoliciers israéliens quant à leur intention d’aller en territoire palestinien. Khaled Jarrar a alors commencé à créer de faux tampons, de faux papiers deséjour, de fausses Green Cards pour la Palestine. Action symbolique et thérapeutique à la fois : „Je suis bien conscient du conflit”, dit-il, “mais je ne veux pas qu’il prenne toute la place dans mon esprit”. Et puis un jour en mai dernier, il est allé, armé de son tampon, attendre les bus en provenance del’étranger. Depuis, il a tamponné 48 passeports à Ramallah - des passeports venus du monde entier et aussi d’Israël.

Il documente le projet sur son site Facebook „Live and Work in Palestine“ (Vivre et travailler en Palestine) et conserve l’adresse email de tous ses tamponnés. „J’ai eu des nouvelles de certains que la police frontalière a fouillé des pieds à la tête à cause du tampon“, raconte-t’il. „D’autres n’ont eu aucun problème, ils ont toutefois remarqué la confusion despoliciers à la vue de mon tampon“.
Quelques Berlinois ont fait le déplacement jusqu’au Checkpoint Charlie afin d’assister à la performance de Khaled Jarrar : un jeune Finno-Egyptien, par exemple, qui apprécie l’approche artistique du conflit menée par Jarrar; une Allemande qui n’a pas froid aux yeux : elle part dans deux semaines en Israël. Paula et Ibrahim, tous deux d’origine palestinienne, ont eu vent de l’événement via Facebook. “Cette performance est pour moi comme un début de palestinisation de mon passeport allemand” dit Paula. Quant à Ibrahim, il pense que “c’est une bonne manière de signaler que nous existons et que nous pourrons bientôt peut-être proclamer un Etat de Palestine”. En effet, La Ligue arabe a tout dernièrement annoncé son appui à la décision des Palestiniens de s'adresser à l'Assemblée générale de l'ONU en septembre pour obtenir la reconnaissance de leur Etat.

Ibrahim et Paula, passeport en main
Khaled Jarrar est reparti à Ramallah. Il sera de retour à Berlinl’année prochaine, cette fois-ci dans le cadre de la Biennale d’art à laquelleil a été invité à participer. Et ce, pour un tout nouveau projet.