Elise Naccarato

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Billet de blog 21 octobre 2024

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Combats féministe et écologique : quelle place pour la justice après le procès Mazan?

Alors que le procès de Mazan secoue la France entière, la question de la place de la justice dans les stratégies de combats progressistes peut se poser. Il est alors éclairant de dresser un parallèle entre l’utilisation de l’outil judiciaire dans les luttes féministes et dans les luttes écologistes.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

A l’occasion du Climat Libé Tour de Marseille, le journal m’a invité à répondre à la question « le droit peut-il sauver la nature ? ». Si l’ensemble des personnes concernées par le sujet (juristes, activistes, associations, victimes, etc.) s’accordent sur le fait que le droit est un outil efficace lorsqu’il est intégré dans des stratégies globales associant d’autres actions (campagnes, plaidoyer, mobilisation…) il devient alors intéressant de s’interroger sur la place de l’action juridique dans les stratégies de changements sociétaux.

En ce sens, il est pertinent de faire un parallèle entre les combats écologistes et les combats féministes.

Les féministes ont su, depuis les années 70, utiliser l’arme juridique pour lutter contre les violences masculines. En 1972, le Procès de Bobigny pose la question de l’avortement dans le débat public et pave la voie vers la légalisation de l’IVG quelques années plus tard. En 1978, le procès d’Aix retourne, pour la première fois, non sans difficulté, la culpabilité de la victime vers celle de l’auteur des faits. Cinquante ans plus tard, le procès de Mazan qui secoue actuellement la France interroge la responsabilité du système patriarcal qui protège les auteurs de violences masculines.

Ces actions juridiques sont-elles suffisantes ? Evidement que non! Si c’était le cas, les activistes féministes ne seraient pas tous les samedi devant les tribunaux de France en soutient à Gisèle Pelicot, ce procès n’aurait pas lieu car les violences auraient cessées. Ces actions juridiques sont-elles indispensables ? Absolument ! Dans le cas contraire ce procès n’aurait, non plus, pas lieu car la victime n’aurait pas été crue et les auteurs seraient encore plus protégés. Si aujourd’hui le procès de Mazan est rendu possible, c’est parce que depuis des décennies les féministes se mobilisent dans la rue, devant les tribunaux, réalisent des actions de désobéissance, des campagnes de sensibilisation, des mobilisations coup de poing, du lobbying, des campagnes institutionnelles, etc. Les féministes développent des stratégies multi-action pour faire bouger le système patriarcal, qui autorise des personne à s’accaparer le corps des femmes, l’utiliser dans leur propre intérêt et le jeter ensuite sans conséquences pour eux.

C’est ce même système, patriarcal, colonialiste, capitaliste, qui est à l’œuvre dans les violences environnementales. Un système qui autorise des entreprises capitalistes, des états coloniaux, ou encore des milliardaires, à s’accaparer une ressource dite « naturelle » (une forêt, une nappe phréatique, un savoir d'un peuple autochtone…), à l’utiliser dans leur intérêt personnel au détriment de la majorité de la population, et notamment des plus vulnérables, et se laver les mains des conséquences.

Même système, même solutions ! La justice a donc son rôle dans les combats environnementaux parmi une multitude de moyens de pression. Elle permet de cranter des avancées.

En 2012, après des années de procédures Total est reconnu coupable dans le procès de la marée noire de l’Erika, posant la question de la responsabilité des entreprises dont les model économique détruit le vivant. En 2019, le procès Urganda aux Pays-Bas met au centre des débat la responsabilité d’un Etat. En 2021, l’Affaire du Siècle en France, reconnait la carence fautive de l’Etat Français en matière d’émission de gaz à effet de serre et l’enjoint à prendre toutes les mesures utiles pour réparer ce préjudice écologique.

Ces actions juridiques sont-elles suffisantes ? Non. Nous avons atteint sept des neuf limites planétaires. Le monde ne s’est jamais réchauffé aussi vite. Ces actions juridiques sont-elles indispensables ? indubitablement ! Combien d’entreprises ont renoncé à des projets invivables par simple peur du procès ou d’écorner leur image de marque ? Combien d’institutions ont mis en place des politiques supplémentaires en regardant ce qui se jouaient dans les tribunaux ? L’action en justice est une arme indispensable dans le combat pour une justice écologique et sociale.

On pourrait se demander si l’urgence de la situation, tant écologique, que celle des violences masculines, nous autorise à utiliser le temps long de la justice. Or au-delà du temps qui s’étire et jouerait contre les progressistes, j’observe plutôt une accélération de la contre-attaque, une montée en puissance du backlash tant dans le combat écologique que dans le combat féministe. La condamnation de l’Etat néerlandais a été instrumentalisée par l’Extrême Droite locale qui a explosé électoralement dans les dernières années. Les très rares procès post MeToo ont servi d’élément fédérateur à une mouvance réactionnaire agissant de manière concertée et puissante à l’encontre des avancées sociétales en terme d’égalité de genre.

Plutôt que se demander si le temps du droit est le temps de combats sociétaux, il serait alors intéressant de s’organiser et à faire converger les forces et les luttes, face au backlash réactionnaire qui, lui, ne perd pas de temps.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.