« Le Schneider, le Krupp, le Daudet, le Léon Nailby
Le monsieur des filatures, celui du pétrole
Et celui de l’agence Havas
Se tapent joyeusement sur les cuisses
Quelle bonne plaisanterie…
Mais il y a trop de travailleurs dans le monde
Il faut les expédier dans l’autre.
Et le sourire de la bourgeoisie s’est figé
La prochaine guerre va commencer »
Jacques Prévert, « Il ne faut pas rire avec ces gens-là », extrait (in « Recueil pour le groupe Octobre », Gallimard).
Quand on a aimé ses grands-mères comme j'ai aimé les miennes, qu'on les a beaucoup écoutées raconter leurs vies de femmes qui avaient quinze ans pendant la « Seconde guerre mondiale », elles dont les parents avaient connu « 14-18 » et leurs grands-parents l’invasion des « uhlans », ce qu'on en a retenu, d'abord, c'est que la guerre, c'est une sacrée saleté. C'est moche, c'est dur, c'est violent, c’est généralement inutile, et pas seulement pour ceux qui sont « au front », quand il y en a. Mes grand-mères en ont gardé la terreur des troupes militaires, quelles qu'elles soient , pour avoir vu notamment, jeunes femmes, les soldats « alliés » se comporter avec les femmes comme précédemment les soldats ennemis. La guerre c'est toujours, d'abord, celle des hommes et du masculinisme le plus crasse, toujours. Susan Brownmiller en a très bien parlé dans son ouvrage de 1975 intitulé « Le viol » : la guerre des hommes contre les femmes est permanente, même en temps dit « de paix » (la question de savoir qui est « en paix » méritant toujours d’être posée), mais la guerre la décuple.
« La guerre, un massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas» aurait justement dit Paul Valéry. C’est toujours vrai.
Que des Présidents de la bourgeoisie n’aient de cesse de nous terroriser pour nous faire avancer au pas comme du bétail, qu’ils soient prêts pour cela, comme disait Prévert, à « se payer une pinte de bon sang », qu’ils retrouvent soudain comment on ouvre les cordons de la bourse pour financer « l’économie de guerre », pour abreuver d’argent public les industries de l’armement (industrie informatique, industries « lourde »…) n’a rien de surprenant, même si c’est toujours sidérant, cette facilité, cette légèreté à le faire. Mais bon, il existe bien en France ce que l’on peut appeler le complexe militaro-médiatico-industriel. Des « patrons de presse » détiennent aussi des entreprises d’armement. Voilà.
Que ces gouvernants dénoncent d’emblée comme du « défaitisme » (c’est-à-dire potentiellement, ce qui peut devenir un crime contre les intérêts de l’Etat cf. les articles 413-1 et suivants de notre actuel code pénal) la possibilité de remettre leurs décisions en question, en dit long sur leur brûlant désir de nous jeter enfin dans une « vraie » guerre (M. Macron n’attend que cela depuis longtemps) et devrait inquiéter tous les démocrates sincères (quoi qu’ils pensent des relations internationales).
Car cette dénonciation et cette opposition à ces visées bellicistes sont hautement nécessaires : si on ne voit pas, très vite, ce qu’il y a « derrière », il faut pouvoir le montrer et autoriser les citoyen-nes à réfléchir : le prétexte de « la guerre », c’est toujours d’abord la fin de la démocratie. C’est la fin de la liberté d’expression, c’est la fin des droits d’opposition au Parlement, c’est l’avènement des « pouvoirs exceptionnels » et des « lois d’exception », c’est la rigueur (la spoliation) absolue sur le plan économique et financier en dehors de tout ce qui n’est pas armée et armement, et j’en passe.
C’est surtout, toujours, la fin de la démocratie réelle. Regardez dans le monde entier, cela se vérifie partout. La propagande devient d’Etat. Tous les moyens de l’Etat sont captés et détournés à cette fin. La Justice est mise au pas, les droits sociaux sont suspendus… Cela ressemble à l’enfer.
Ce qui est donc absolument sidérant (révoltant) c’est d’entendre des élu-es, des influenceurs, des activistes … qui se disent « de gauche », qui se disent « écologistes », qui se disent « féministes »… embrasser, presque avec passion, la cause belliciste et militariste dessinée par M. Macron et son club, courir comme des poulets sans tête à sa suite, applaudir au projet d’une « économie de guerre ».
Cela me révolte - et me dégoûte. Comment peut-on se dire communiste, socialiste, féministe, écologiste… et ne pas s’opposer, cette fois frontalement et radicalement, à cette visée guerrière ? Il faut avoir perdu la tête ou être totalement corrompu-e, au moins moralement. Il faut être apeuré comme un lapin dans des phares. Quelle confiance peut-on faire à des « dirigeant-es » qui ne savent pas garder leur sang- froid, qui préfèrent toujours l’autocratie au débat public, à la démocratie ?
Quand on a eu des grands-mères comme les miennes, avant même de devenir féministe, on ne peut qu’haïr la guerre, la militarisation, les armes.
Quand on a eu un père comme le mien, « enfant de troupe » dès l’âge de 9 ans, dressé à la trique par des militaires jusqu’à ses 17 ans, brisé à vie dans ses ressorts les plus intimes et acculturé à la loi du plus fort, on ne peut pas aimer l’armée, on ne peut pas vouloir la guerre.
Quand on a grandi dans un environnement où la présence des armes de chasse était constante, une menace permanente même lorsqu’elles étaient silencieuses, on ne peut pas trouver qu’engraisser l’industrie de l’armement soit une très bonne idée.
Quand on reçoit quotidiennement dans son cabinet des femmes et des enfants victimes de violences sexuelles ou de discrimination, quand on voit comment les victimes sont traitées, on ne peut pas vouloir cette haine, cette folie.
Quand on a le souvenir de la façon dont nos « démocraties » se sont entraînées à terroriser et mutiler les militant-es "antimondialisation" jusque dans leur sommeil à Gênes (Italie) en 2001, quand on a défendu des militant-es qui s’opposaient au nucléaire ou à l’OTAN…qui prennent tellement « plus cher » et « plus vite » que des pédo-criminels chez qui on trouve des millions de photos de viol d’enfants, on ne peut pas trouver que ce soit le bon chemin.
Quand on aime la nature, qu’on dit vouloir préserver l’environnement, on ne peut pas vouloir tout cela. On ne chante pas la Marseillaise, on fredonne plutôt avec Marlène Dietrich sa magnifique chanson « Sag mir wo die Blumen sind » (« dis-moi où sont passées les fleurs »).
S’aboucher avec le projet du Président Macron et de ses homologues européens, c’est d’abord le signe qu’on est un-e froussard-e, qu’on a probablement eu une enfance très très protégée, ou qu’on n’a pas eu de grand-mère chérie ou qu’on n’a jamais approché, même de loin, ni les armes, ni la guerre, ni rien, qu’on n’a pas subi le service militaire, je ne sais pas, mais aussi, qu’on n’a soit rien compris au film, soit rien à faire des « autres ». C’est qu’on n’aime pas la vie.
La meilleure manière de lutter à la fois contre Poutine et contre Trumpsk, pour la libération du peuple ukrainien (j’inclus le peuple palestinien car cette question est intimement liée à notre sujet, vu qu’Israël est un ressort majeur de l’économie de guerre européenne) pour la paix, c’est d’abord et avant tout de lutter à maintenir et restaurer ici la démocratie la plus absolue. C’est de rester un véritable bastion des libertés et des droits, un phare dans cette nuit de peurs qui n’en finit plus d’avancer. Tous ces milliards dont j’entends parler depuis 72 heures, il est urgent, s’ils existent, de les donner à la Justice, à la lutte contre les violences de genre, à la santé, à la lutte contre les inégalités, à l’Ecole, à la solidarité, à la recherche et à l’environnement. Pas à la guerre, pas à l’armée, pas aux armes.
Face à ces choix que nous imposent M. Macron et ses acolytes si nerveux, si excités, Van der Leyen en tête, la réponse ne peut être que, immédiatement, démocratie, paix et diplomatie. Il faut être radicalement opposé-es, sans aucun compromis, à cet « appel aux armes ».
C’est comme cela que l’on aidera le mieux les Ukrainien-nes. Il y a dix moyens de faire « mal » à la Russie (et aux USA qui les soutiennent) et de renforcer la défense ukrainienne qui ne nécessitent pas ce vers quoi on veut nous emmener, qui n’ont pas été utilisés (c’est exactement le même sujet qu’avec Israël – les conflits que créent ces gouvernements d’extrême-droite ne sont pas traités sérieusement sur le plan diplomatique et sur le plan des sanctions non-létales, notamment économiques).
Enfin, à celles et ceux qui confondent soutien inconditionnel à des résistances populaires et renforcement des armées d’Etat dans des démocraties vacillantes, je vous le dis, reprenez conscience, on ne parle pas de la même chose. Résister aux fascismes, résister au colonialisme, ce n’est pas soutenir le projet européen en cours.
Il est urgent que les personnes censées reprennent le contrôle de la situation, tant que nous le pouvons encore.
Urgent qu’un appel à un antimilitarisme radical, féministe, antiraciste, écologiste et anticapitaliste, soit lancé de la manière la plus large et soutenu par de nombreuses luttes de toutes sortes.
(Vous avez le week-end pour revoir Full metal jacket, Voyage au bout de l’enfer, et j’en passe. Si ça vous excite, mon conseil : allez consulter).