Nous l’avons fait, ce que MM. Bolloré, Macron et Le Pen, soutenus par des puissances étrangères, juraient que nous ne ferions pas.
Nous l’avons fait, ce que nous, électeurs et électrices de gauche ne pensions plus possible.
Nous l’avons fait, ce que nous, militants et militantes pour les droits humains et la justice sociale réclamions depuis longtemps.
Nous avons fait l’union, d’abord. Rien que cela était incroyable, compte tenu des conditions dans lesquelles nous l’avons faite.
Nous avons fait considérablement baisser le résultat programmé, attendu même, par la bourgeoisie, du RN.
Ce résultat n’aurait jamais été possible sans l’engagement majeur et déterminant des groupes les plus immédiatement concernés par le possible avènement du RN : nos compatriotes racisés, les femmes, les précaires, les jeunes, les personnes LGBT. Cette campagne a été la leur, elle leur a donné bien plus largement la parole et iels ont pris de la visibilité en tant que moteurs politiques, et il était temps. Il faut que cela continue et s’amplifie.
Nous avons également permis aux électeurs et électrices d’envoyer un message à M. Macron : sa politique a été sanctionnée dans les urnes. Et ce n’était pas la moindre des choses à réaliser, car nous étions pris en tenailles entre la lutte nécessaire contre le RN qui a imposé des désistements (dont le bénéfice restera toutefois à analyser en profondeur et sans nous mentir) et le besoin profond de conserver notre unité, malgré les appels du pied des macronistes à l’aile modérée du Front Populaire.
Nous sommes donc sorti-es de la contradiction par le haut, en assumant les antagonismes politiques majeurs qui travaillent actuellement le pays.
Nous nous sommes réjoui-es toute la nuit. Nous avons chanté, dansé, heureux et heureuses d’avoir déjoué les plans du camp réactionnaire. Pour le moment. Il fallait profiter de l’instant. La joie est un art, elle est nécessaire à la lutte. La solidarité, la sororité aussi. Nous avons pris du plaisir en écoutant les méchantes litanies déconfites du parti de l’ordre, du parti de l’argent, nous délectant des réparties pleines d’humour, combattives, mais aussi faites de conscience et d’humilité, de ces femmes incroyables qui ont porté haut le combat du Nouveau Front Populaire.
Rien n’était acquis, rien ne nous a été donné. Cette victoire, car c’en est une, c’est celle de l’union des états-majors qui pour une fois n’ont pas incarné la gauche la plus bête du monde, mais c’est d’abord la nôtre, celle de « la base ».
Nous savions toutes et tous que le plus dur restait à venir.
Une des questions majeures est celle du gouvernement. Ce n’est pas nous qui choisissons. C’est Macron. Nous l’avons toujours rappelé. Une partie des clefs reste entre ses mains.
Gouverner comment, pourquoi, pour qui, s’il faisait ce choix (auquel je ne crois pas) ?
Mais la question qui n’a pas été posée est de savoir si réellement, nous devrions gouverner dans de telles conditions.
Pour moi la réponse a toujours été : compte tenu des conditions, pas sans majorité absolue.
Cette majorité absolue, nous ne l’avons pas.
Hors de question de nous retrouver dans une situation de collaboration de classe, avec un parti d’extrême droite qui a encore progressé, d’un bloc lui, en période de procédure « déficit budgétaire » entamée à Bruxelles avant les élections, alors que les agences de notation ont déjà commencé à dégrader la note de la France, que la crise économique va se déployer prochainement encore plus durement, que la guerre est au centre du jeu sur le plan international et que les médias les plus puissants sont aux mains d’industriels dont le seul parti est depuis longtemps uniquement le leur, et ce alors que selon les sondages, la police et l’armée sont majoritairement opposées au Front Populaire.
Par ailleurs, cette situation qui émerge des urnes nous impose plutôt de continuer à clarifier les choses sur le plan politique. Il y a plus de différences entre Macron et nous, qu’entre Macron et le Rassemblement National. Car ceux-là sont du parti de l’ordre, du parti de l’argent, du parti des puissants. Nous allons devoir faire plus de clarté sur l'idéologie d'extrême-droite qui déborde largement les seules frontières du RN, et en tirer des conséquences.
D’un autre côté, nous aimerions aussi et c’est normal, « faire un peu de bien » à nos compatriotes, à nous. Nous soulager sur le plan financier, matériel, renforcer les services publics, remailler les territoires, remettre de la santé et de la culture, du lien social, dans les zones où les politiques libérales ont tout détruit ces vingt-cinq dernières années. Nous aimerions être « responsables », montrer que « nous pouvons » ! Ce serait aussi l’occasion de retirer quelques leviers à celles et ceux qui saccagent la France et qui construisent des murs, des haines, des incompréhensions, qui attisent le racisme tous les jours. Ce serait bien, de reprendre un peu le contrôle de l’audiovisuel, des comptes sociaux, de l’orientation des dépenses publiques. Oui, c’est vrai.
Mais ce serait un bien pour un mal plus grand. J’en suis persuadée.
Car nous serions probablement rapidement broyés, et par nos divergences internes, et par le rouleau-compresseur libéral, la finance, Bruxelles, qui nous voudraient plus de mal qu’à Orban.
Si nous ne gouvernons pas, nous allons être contraints de poursuivre et d’augmenter la lutte. De la propager partout. D’accompagner la résistance, qui s’impose, des forces productives, des milieux populaires, du camp des droits humains, des droits des femmes aussi, qui auront quand même été la grande invisible de cette campagne, globalement. Nous allons être obligés de continuer à nous unir. De débattre, de ne pas céder aux coups tordus des uns ou des autres.
C’est cela que nous demandons au Nouveau Front Populaire. Pas de s’abaisser à « entendre » les voix des 10 millions d’électeur-ices RN. D’entendre les nôtres d’abord. Sur ce point, je pense que nous devrions faire un grand parlement national de délégués du Nouveau Front Populaire. une espèce d'organe "de la base" qui serait hors des partis mais destinés à remonter à eux.
Car il ne faut pas trahir. Ne pas nous décevoir. Ne pas penser à notre place. Ne pas nous inventer des désirs de « responsabilité ». Ne pas se servir de nous comme excuse pour renoncer. Mais continuer.
Beaucoup d’entre nous ne vont pas avoir le luxe de respirer. Nous savons que la lutte ne fait que commencer. Ce n’est qu’un combat, continuons le début !