Des années que j’hésite à publier une analyse personnelle sur ce sujet hautement inflammable (et pour lequel je ne suis sans doute pas particulièrement qualifiée pour m’exprimer, ce sera donc un point de vue et rien d’autre).
Autant commencer par-là, les religions et moi, qui suis féministe, occidentale, attachée à la raison et à la science, et plutôt marxiste, on n’est pas « très potes ».
Je les tolère à peu près tant qu’elles restent l’expression d’un folklore, d’un questionnement et d’un décorum « privés ». Parfois même, j’entre encore dans une église (plus facilement que dans une mosquée car c’est une partie de ma culture), j’assiste à un office, cinq minutes, parce qu’il y a toujours un peu de magie dans les chants, la lumière spectrale des candélabres, que j’adore l’odeur de l’encens, la beauté délavée des icônes et que certains principes fondamentaux me parlent encore (aimer son prochain comme soi-même ou secourir les personnes dans le dénuement par exemple…) Je trouve que Jésus était sans doute un sacré camarade mais ce que le christianisme en a fait me dégoûte. Pour moi la religion c’est du même ordre que lire de la poésie, prendre un thé avec mes amies ou aller au hammam, ou même, la masturbation (très bon, mais en privé, consensuellement et pour soi).
En revanche, je ne les supporte particulièrement plus dès qu’elles reprennent leur vigueur d’organisations « proto-politiques » et développent leurs tendances et leurs prétentions à imposer leur foi aux autres, à gouverner le monde laïc, le monde des mécréants, les sociétés des athées, des scientifiques, des agnostiques et j’en passe. A contraindre chacune à s’avilir, à se dénigrer, à avoir honte. A rabaisser les femmes et à les maltraiter.
Et cela, toutes, elles le font toutes. J’insiste, non par couardise mais parce-que cela, c’est la vérité.
Pour autant, ce sont les Eglises et les clergés (sans distinction de « chapelle ») que j’ai surtout envie d’abattre, bien plus que les « fidèles » elleux-mêmes (même si évidemment les prosélytes me sont insupportables et que mon premier mouvement est d’avoir envie de les enfermer dans une cave et de jeter la clef). Je tolère très mal (euphémisme) les persécutions religieuses. Qu’elles soient le fait d’autres chapelles ou le fait de l’Etat (qui peut lui-même devenir une de ces chapelles, nous le savons et le voyons). Je reste attachée à l’analyse de Marx : « La religion est le soupir de la créature opprimée, l'âme d'un monde sans cœur, comme elle est l'esprit de conditions sociales d'où l'esprit est exclu. Elle est l'opium du peuple. L'abolition de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple est l'exigence que formule son bonheur réel. »
Je continue de penser que la meilleure manière de lutter contre les religions (parce que oui, je pense qu’il faut absolument lutter contre les religions et contre le phénomène de la foi et de la croyance – y compris laïques), a fortiori en tant que mouvements politiques, c’est de se battre pour l‘avènement d’une société égalitaire, juste, débarrassée du patriarcat et du racisme, et bien-sûr, du capitalisme qui s’y appuie et de tout ce que cela charrie comme colonialisme intime et international.
Je me suis pourtant (paradoxalement penseront- à tort- certain-es) toujours engagée contre la persécution des femmes musulmanes qui portent le voile en France. Toujours, y compris au sein de mon ordre professionnel où je déplore (pour le dire gentiment) qu’on oblige nos consoeurs croyantes musulmanes à se dévoiler pour plaider. A chaque fois que l’on m’a demandé mon avis, j’ai voté contre ce dévoilement, car pour moi c’est une discrimination, non pas des femmes vis-à-vis des autres femmes, mais des femmes musulmanes vis-à-vis des hommes musulmans et de toutes les autres religions qui ne requièrent pas un signe ostensible.
Mais je n’en ai jamais fait une « question de vêtement » (c’est une erreur de prendre le sujet par ce bout et c’est justement dépolitiser la question. Or, il ne faut pas dépolitiser la question sinon le fanatisme gagne). Non, on ne parle pas d'une paire de baskets ou d'un jeans. C'est une question de foi et de soumission aux règles d'une religion. C’est une question politique (et c’est en réalité cela que vient nous dire la loi de 1905 en France). C'est donc du point de vue de la liberté de conscience (la liberté de croire et de pratiquer une foi) que la question se pose ici (ailleurs aussi du reste mais sous une autre forme, que ce soit sous l’angle du voile obligatoire imposé par un régime, celui des mollahs, ou celui de l’interdiction absolue du voile comme à d’autres époques ou dans d’autres pays).
En tant que féministe, je me bats aussi pour que (toutes) les femmes aient le droit, non pas d’être asservies par elles-mêmes comme on l’entend souvent bêtement (ou comme la doxa libertarienne nous y invite « aliénez-vous vous-mêmes librement »), mais pour qu’elles aient le droit d’exprimer leur point de vue politique publiquement et de la manière qui leur convient le mieux, à l’égal des hommes. Et pour que, en conséquence, j’aie moi-même le droit de leur répondre éventuellement sur le même plan politique.
Certaines disent « tu te bats pour qu’on ait le droit d’être aussi bêtes que les hommes qui de toute manière nous oppriment encore davantage dans la religion » ?
Non, bien-sûr. Je n’ai pas perdu espoir que le combat politique féministe se mène aussi dans cette enceinte. Je ne crois pas que nous les féministes blanches laïques nous soyons les uniques gardiennes du temple féministe. Je garde ma confiance aux femmes qui prétendent subvertir leur religion pour en faire un élément d’émancipation (même si, au vu de l’histoire et de la lutte de classe, je suis très sceptique) ou qui prétendent à la foi répondre à un certain dogme et à agir par ailleurs pour l’émancipation (car nulle n’est exempte de contradictions et le féminisme dit radical en charrie aussi sa part).
D’autant plus que personne ne peut ignorer en France que bien des ports de voiles sont aussi une revendication anticoloniale, voire un signe de rébellion politique. Peut-être avec les mauvais outils, peut-être à mauvais escient, mais c’est un fait et il vaut mieux le comprendre.
Car en tant que marxiste qui parle « après Gramsci », j’ai bien conscience également que ce sujet s’inscrit dans un enchevêtrement de représentations et de catégories elles-mêmes politiques. La religion et l’organisation d’une société sur la base de la dichotomie croyants/mécréants est une « proto-politique ». C’est une politique archaïque. Ici aussi. Nombre de nos institutions démocratiques, laïques, en France aussi, viennent encore directement de la religion longtemps dominante dans notre pays : la France, rappelons-le a longtemps été « la fille aînée de l’Eglise ». Moi qui suis avocate et porte une robe de « clerc laïque » pour délivrer une parole codifiée et cérémonialisée devant des tribunaux qui ressemblent encore souvent à des églises, en vertu de codes hérités en droite ligne des premiers grands textes religieux, je ne peux pas l’ignorer. Entre la charia et le code civil, il y a des différences de fonction, de place dans une république, de « personnels administratifs »… mais pas de réelle différence de nature : ce sont des lois (je ne les mets pas sur le même plan mais pour d’autres raisons qui tiennent plutôt à leur conception et à leur application notamment).
De la même manière que je ne peux pas ignorer que la colonisation et le colonialisme ont façonné d’une certaine manière (et façonnent toujours) notre monde tel qu’il est. Qu’il y a une religion des dominant-es, une religion des dominé-es. Que personne ne peut s’attaquer à cette question et se prétendre de gauche en faisant l’économie d’une réflexion intersectionnelle.
Cette liberté est, n'en déplaise à certain-es , une liberté garantie, quelle que soit la religion, quel que soit le sexe, pour toutes et tous ici, dans la limite de certaines lois. En théorie en tout cas. C’est, en France, ce que l’on appelle « liberté de conscience ». Une liberté qui n’a distingué entre aucune religion. Article 1er de la loi de 1905 : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public ». Cette loi de compromis, qui vient d’un moment historique très particulier et qui devrait être davantage enseignée dans sa réalité (et non dans le fantasme qu’elle charrie) est notre réalité politique à ce jour.
Une liberté qui n'est pas non plus absolue et qui est confrontée chaque jour à d'autres, dont la liberté d'expression.
Que la lutte des classes ait été remplacée progressivement par la « lutte des croyances », que le mouvement ouvrier ait connu une « marche arrière » terrifiante est depuis longtemps une évidence. Ce n’est pas du proche ou du moyen Orient qu’est venu ce remplacement, mais bien des Etats-Unis. C'est là-bas que le Président élu jure sur la bible "so help me God". Et il n’y a aucune surprise à ce que ce soient les Républicains qui aient embrassé, à chaque élection plus farouchement, le renouveau de la foi évangéliste, qu’ils aient tant œuvré dans le monde à soutenir parfois directement des dictatures religieuses ailleurs que sur leur sol. Les Républicains sont depuis toujours opposés à la forme « Etat » au sens moderne, au centralisme, à la démocratie en tant que régime politique et j’en passe. Leur marotte est l’abolition de tout ce qui ressemble de près ou de loin à un « service public », la création et le développement de « milices », le « localisme » politique dans les instances collectives (conseils d’éducation et autres) et la structuration de la vie politique sur le mode associatif et religieux.
Qui n’a jamais entendu Jerry Falwell, grand soutien de Reagan, à la télé dans les années 80, n’imagine pas à quel point la place politique de ces « télé-évangélistes » est, depuis longtemps (progressivement, depuis les années 30) importante aux USA. L’ouvrage-brûlot de S. Huntington provient en droite ligne de cette époque et de ce fait politico-historique. Pas étonnant non plus que quiconque soutenant le libéralisme soit favorable à ce renouveau du religieux politique : laissons le business faire du business (en puisant dans les rares ressources publiques qui subsistent en termes économiques et militaires) et les Eglises régir la société et la culture. Et c’est encore mieux si ces Eglises sont réactionnaires et fascistes et remettent les femmes sous le joug des hommes, de l’obscurantisme, des grossesses non-désirées et de l’absence d’autonomie financière, bref, à leur statut ancien d’esclaves sexuelles et domestiques. Aucune surprise donc à ce que le triptyque trumpien (contre les personnes racisées – de l’intérieur et de l’extérieur – contre les femmes et pour le libéralisme) soit porté et soutenu par les sectes évangéliques. Aucune surprise que Poutine en Russie ait été « le » grand promoteur du renouveau de l’Eglise orthodoxe, qu’Orban en Hongrie ait fait de même et j’en passe. Il n’est donc pas non plus surprenant que des travailleurs pauvres, racisés ou même des femmes, fanatisés par une quelconque religion, aient voté et soutenu Trump et vu en Harris qui défendait si courageusement le droit à l’avortement et le droit des femmes à disposer de leurs corps, avant tout, l’incarnation contemporaine du diable pour toutes les sectes religieuses américaines de tous bords qui encore une fois, sous différents prétextes ("pas assez de gauche", "pas assez pro-palestinienne" etc), se sont bien retrouvées pour lui faire "la peau".
Il est manifeste que la religion dominante en France, quoi qu'en disent certains, n'est pas (et ne risque pas de devenir) l'islam. Tout nous le dit : pas un-e seul-e musulman-ne (même « d’apparence ») ne détient de média français ou francophone en France (certes, on reçoit Al Jazeera sur notre sol mais ce n’est pas comparable avec ce que Bolloré détient désormais). L’arabe (en tant que langue de l’Islam) est à peine enseigné en France. Pas un-e seul-e musulman-ne « revendiqué-e » dans aucun gouvernement, jamais (seules sont admises les femmes racisées qui font d’abord allégeance au capital et à la laïcité agressive de la bourgeoisie française). De très rares mosquées dignes de ce nom, plutôt d’obscures salles de prières. Pas d’université privée musulmane, et même suppression de subvention ou fermeture des écoles privées musulmanes, fussent-elles respectueuses des règles et pourvoyeuses d’excellent-es élèves (quand on attend toujours la condamnation en règle des établissements privés catholiques qui font promotion d’homophobie et de discours anti-IVG).... Alors que personne n’est choqué par les visites à Rome, mantille sur la tête, de la Première dame, le moindre morceau de foulard dans une visite de mosquée ou de mausolée à l’étranger enflamme les réseaux sociaux. Oui, on peut être racisé-e et réussir en France, mais essentiellement à la condition expresse d’être encore plus laïque que la laïcité elle-même, d’embrasser cette paranoïa prétendument « républicaine » (et de ne surtout pas s’opposer à la folie meurtrière d’Israël, « notre » Etat occidental au Proche Orient, bien-sûr).
Car oui, il faut avoir sombré dans une sacrée paranoïa (celle du « grand remplacement »), ou tout confondre, pour prétendre le contraire.
Bien-sûr, aussi, il y a des situations où la foi ou le dogme sont imposées notamment aux femmes, et à celles-là, quelle que soit la religion (et les hommes) qui les opprime il faut offrir secours, assistance, protection et liberté, quelle que soit leur nationalité. Je suis grandement favorable à ce que les Iraniennes, les Afghanes ou les Américaines qui le souhaitent obtiennent au plus vite le statut de réfugiées. Mais le risque aujourd’hui ici n'est pas que la France devienne une république islamique, que des hordes de fanatiques musulmans déferlent à cheval dans nos contrées, cimeterre à la main, que les églises deviennent des mosquées ou quel autre délire...absolument pas.
Ce ne sont pas les visages de femmes catholiques, bouddhistes ou juives (fussent-elles tout aussi « intégristes ») que Valeurs Actuelles, Le Point ou Charlie Hebdo affichent régulièrement en Une, que l’on voit régulièrement dans les kiosques. Ce ne sont pas elles qu’on accuse de « dissimulation » lorsqu’elles ne portent pas de foulard (qu’on leur interdit au demeurant de porter partout). Ce ne sont pas elles qui sont poursuivies pour séparatisme alors qu’elles sont peut-être tout autant persuadées que la terre est plate ou que le fœtus « est une personne donnée par dieu »…
Pas de risque, vraiment.
Le risque ici aujourd’hui est que la France, à l’instar des Etats-Unis, continue de couler lentement vers un pouvoir réactionnaire, autoritaire, raciste, misogyne, qui interdira l’IVG et maltraitera les femmes (toutes les femmes), avec ou sans religion, à l'instar de ce que vivent désormais les Américaines, les Argentines, les Hongroises, les Russes et j'en passe.
Une réaction bien blanche, bien chrétienne, et quand on entend certains évangélistes américains (chez les orthodoxes, certains moines ou prêtres), quasi talibanesque.
Point n'est besoin, donc, d'être musulman pour désirer opprimer les femmes (les violer, les tuer…), les personnes LGBT, et y parvenir. Point n’est besoin d’être musulmane pour embrasser sa propre oppression non plus. Celles qui s’affament et se charcutent le visage pour se montrer ensuite sur Insta, se ruinent la vie en mecs toxiques et couples oppressifs, qui se soumettent à tous les fantasmes sexuels masculins les plus dégradants, sont si nombreuses à ne pas être musulmanes ! Toute féministe en France qui néglige ce point doit se poser des questions sur son positionnement.
On peut même être en apparence totalement « en guerre » contre l'Islam, « l'islamisme »...et partager pourtant bien des points avec celleux qu’on prétend combattre, et même se retrouver à l'occasion, dans de géantes « Manif pour tous » où l'on fustige l'homosexualité, le droit au mariage pour tous, la théorie du genre, la théorie de l’évolution et j’en passe...entre intégristes de tous poils, dans des termes que ne renieraient pas des ayatollahs. On peut même, par souhait de faire rendre gorge à la démocratie et à « la Gueuse » s’unir, extrême-droite et terroristes islamiques comme dans le cadre de la prise d’otage de l’hyper-cacher : aucun problème. Là où une mère désespérée envoie quelques milliers d’euros à sa fille radicalisée piégée en Syrie est condamnée pour financement du terrorisme , un trafiquant d’armes notoirement d’extrême-droite échappe miraculeusement, parce-que « source », à la qualification terroriste…
C'est cela, le vrai risque actuellement en France : la trumpisation de la vie politique.
Et il se trouve que cette réaction d'extrême-droite, qui se masque sous la défense de « la laïcité », a eu besoin pour s'établir et se développer réellement ici en France, pays très laïc culturellement parlant, de créer une peur, une paranoïa (que les attentats ont bien aidé à établir) à l’encontre d'une catégorie de notre population, les musulmans, appelés ensuite « islamistes » et disons aujourd’hui plus largement sans nous embarrasser davantage, « les arabes ».
Cette catégorie de la population n'a pas été choisie « par hasard » dans notre ancien pays colonial, dans un pays où des groupuscules et même des élu-es de la République, continuent de se revendiquer de l’OAS. Certain-es digèrent toujours mal l'indépendance algérienne, et il était très aisé de réactiver les préjugés racistes qui ont si longtemps permis que des Francais-es s'arrangent de la colonisation, ferment les yeux, n’y pensent même pas, n'en voient pas, quotidiennement toute l'inhumanité et le déshonneur (tout comme aujourd’hui iels ne voient pas la boucherie palestinienne).
Depuis plusieurs années maintenant, une lame de fond d'un racisme anti-arabe spécifique, sous couvert de lutte contre l'islamisme, a donc lentement travaillé le corps social français pour réinscrire ce racisme à l'agenda.
Bien-sûr, je ne dis pas qu'il n'y a pas une menace de terrorisme islamiste spécifique. Qui pourrait dire le contraire ? Seulement voilà, ce terrorisme-là, certes bien réel, sanglant, qui s'abat tragiquement et dans une geste éminemment dramatique, au sens quasi-théâtral, propre à émouvoir et à révolter, tue moins que le terrorisme patriarcal qui, depuis toujours, souvent tout aussi violemment, tout aussi horriblement , chaque année, ici, nous enlève sans faiblir des dizaines et des dizaines de nos sœurs, indépendamment de toute religion. Point n'est besoin d'être musulman pour étrangler, violer, égorger, abattre, démembrer, brûler...sa femme ou son ex. Le nombre de « mortes du patriarcat » au compteur est hélas abyssal. Sans commune mesure avec celui du terrorisme « politique », même en remontant à 1986.
Massacrées seulement parce-que femmes. Et pourtant, les journaux et la justice les traitent différemment.
Il se trouve aussi que dans cette vindicte folle à l'encontre des musulmans, de manière extrêmement vicieuse (parce-que au prétexte de leur « libération », au prétexte de « leurs droits » et même au prétexte du féminisme), ce sont les femmes musulmanes qui ont été, qui sont toujours ici, particulièrement visées. Elles sont devenues bien malgré elles, LE sujet central, récurrent, quotidien...des discussions, des débats, des crispations, et du racisme. Elles sont devenues le symbole de cette « lutte civilisationnelle » et plus un jour ne se passe sans qu'on leur règle leur compte. Elles seraient soumises, elles seraient fanatiques, elles seraient manipulées, elles seraient contraintes...il faudrait donc les libérer. Et cela justifierait tout. Y compris (on ne s'embarrasse pas de paradoxes) la violence à leur encontre quand elles n'ont pas le bon goût de vouloir être sauvées. Sauvées de quoi ? Pour être projetées dans quoi ? Un pays où de toute manière, aucune femme ne peut sereinement se balader en mini-jupe ou en décolleté sans risquer au minimum des sifflements, des quolibets, des propos obscènes même a 14 ans? Un pays où l’on veut donc finalement même créer une « liberté de conscience » discriminatoire, spécifique pour les femmes musulmanes ? Je ne relativise pas, je ne minimise pas ce que certaines ici peuvent effectivement vivre comme contraintes de nature religieuse. Mais je m’insurge contre une grossière manipulation des esprits.
Alors non, le sujet du « voile » des femmes musulmanes n’est pas un simple sujet de choix d’habillement. Je comprends que certaines camarades le présentent ainsi pour faire un pas de côté par rapport à leur creuset radical d'origine mais soyons plus courageuses et assumons de simplement ne pas vouloir laisser discriminer et stigmatiser d'autres femmes car musulmanes.
C’est un sujet absolument et éminemment, politique, à la croisée de multiples oppressions complexes. Et c’est pour cette raison (et sur ces bases claires) que les féministes françaises devraient ici à la fois se tenir à leurs côtés pour que leur soient reconnus les mêmes droits politiques qu’aux hommes et qu’à toute autre religion en France, tout en signifiant bien, si elles le souhaitent, ce qu’elles pensent de toutes les religions (en continuant par ailleurs le combat pour une laïcité réelle ici et le soutien aux femmes opprimées par des pouvoirs religieux partout dans le monde, à Téhéran comme à Dallas, à Cracovie comme à Kaboul).
Non ce n’est pas être « une conne » que de dire soutenir le mouvement Femmes Vie Liberté en Iran et de s’opposer ici à la stigmatisation constante des musulmanes de France. C’est au contraire une tentative bienvenue de faire à la fois la part des choses et de soutenir des opprimées ici et là-bas. C'est la seule position à peu près tenable pour ne pas être récupérée par le camp réactionnaire et colonial.
En revanche, c’est bien servir la soupe à l’extrême-droite que de traiter publiquement et de façon répétée une députée française, féministe, déjà harcelée et insultée du matin au soir, de conne.
Mais probablement que lorsque l’on vient d’un milieu bourgeois, d’un pays puissant qui n’a jamais été colonisé par une puissance occidentale (malgré de nombreuses tentatives de déstabilisations par ex. sous Mossadegh, malgré l’aide apportée à Khomeyni…), où la diaspora n’a jamais été essentiellement économique mais politique ou religieuse, où (à de rares exceptions) on n’a jamais été traités comme « les arabes » en France, c’est-à-dire comme des « sous-hommes », des pouilleux, des incultes, des inférieurs…on ne peut pas comprendre tout ça, et comme nombre d’entre nous, on ne voit que « midi à sa porte ».
C’est d’autant plus regrettable que le mouvement « Femme Vie Liberté » est en réalité un mouvement que celleux qui applaudissent aujourd’hui ici aux injures contre la députée qualifieraient probablement de « wokiste » - si seulement on disait ici la vérité sur ce qui se passe en Iran et que l’on montrait l’étendue et la complexité de ce mouvement.
Il est faux de faire croire que ce mouvement n’appartiendrait qu’aux femmes et qu’aux féministes occidentalisées. C’est sûrement un objectif politique pour certaines mais actuellement, ce n’est pas la réalité. D'après ce que nous pouvons lire, « Femme Vie Liberté » n’appartient (pour l’heure) encore à personne : ni aux féministes bourgeoises, ni aux nationalistes, ni aux partisans de la monarchie, ni aux collectifs queer et LGBT, ni aux marxistes, ni aux « syndicats » ouvriers, ni aux musulmans modérés, ni aux moudjahidines, ni aux groupes qui se battent contre la peine de mort et les brutalités policières, ni aux libéraux qui ne rêvent que de fêtes et de mode, ni aux écologistes…mais à tous ceux-là en même temps pour l’heure, et en cela, c’est bien un mouvement profondément révolutionnaire, qui n’a pas pour prétention d’interdire absolument le port du voile mais bien d’abord de faire advenir la plus grande liberté pour toustes, pour que les Iraniens et Iraniennes se libèrent elleux-mêmes de l’oppression du régime des mollahs, pour obtenir la fin de la République islamique, si possible avant que les Etats-Unis ou d’autres, prétendant « les délivrer » et leur apporter « la démocratie » viennent mettre la main sur leur grand et beau pays, ravageant à coups de canon, de bombes et de fétiches marchands, comme ils l’ont fait partout ailleurs dans le monde depuis qu’ils se mêlent de politique étrangère, des siècles d’une culture qui les contemple du haut des portes de Persépolis (521 av. JC) ou de la Grande mosquée d’Ispahan (Xè S.).
Il est évident qu'un des meilleurs moyens de tuer cette contestation est qu'Israël attaque l'Iran. C'est la raison pour laquelle, si nous voulons vraiment soutenir le mouvement démocratique iranien en Iran (la diaspora c'est une autre affaire), nous devons également interdire à Israël de poursuivre sa course folle et tout faire pour que ce pays cesse ses massacres et son envahissement territorial. Il n'y aura pas de Femme Vie Liberté sans paix dans la zone. Et il n'y aura pas de paix si l'extrême-droite et les paranoïaques gagnent partout, aux USA, en Israël et en France.