"Faire mâle à tout prix : la discrimination politique des femmes en France par l'exercice de violences de genre"
Pouvoir participer librement à la vie politique de son pays est un des attributs majeurs de la citoyenneté dans une démocratie.
Cela implique de pouvoir voter, de pouvoir se présenter à des élections et de pouvoir être élue, mais également, nonobstant le mépris actuel affiché par les gouvernements successifs pour les corps intermédiaires, de pouvoir adhérer et militer dans des syndicats ou dans des partis politiques.
C’est un droit constitutionnel. C'est une liberté politique.
Ces droits et libertés sont, en théorie, protégés par le droit interne et par le droit européen et international.
En droit européen, les violences de genre sont notamment traitées sous l'angle de la discrimination et de l'atteinte à l'égalité entre les hommes et les femmes mais pas seulement.
En Septembre 2021, à 427 voix (140 abstentions 119 contre) le Parlement européen a demandé à ce que la violence fondée sur le genre en ligne et hors ligne soit traitée comme une "criminalité particulièrement grave revêtant une dimension transfrontière", appelant la Commission européenne à inscrire la violence fondée sur le genre comme un nouveau domaine de criminalité au titre de l'article 83, paragraphe 1, du TFUE.
Cette reconnaissance juridique des violences de genre qui avance en Europe est une avancée politique importante car elle inscrit dans les tables de la loi une vérité démontrée sociologiquement, historiquement, judiciairement : dans les violences sexuelles et sexistes, les victimes, majeures et mineures, sont essentiellement du genre féminin (et les auteurs essentiellement du genre masculin, même en tenant compte des correctifs désormais habituels).
Or la France refuse à ce jour de reconnaître les féminicides, de modifier sa législation sur le viol pour bannir la présomption de disponibilité sexuelle qui l’innerve, de reconnaître le caractère systémique des violences dites conjugales ou d’envisager l'inceste comme un dysfonctionnement inhérent au modèle de la famille patriarcale (même lorsque les auteures sont des femmes). Elle refuse donc fermement de reconnaître les violences de genre.
Si l'Espagne a pu se sortir de ce cercle infernal et afficher aujourd'hui l'un des corpus législatifs parmi les plus protecteurs des femmes et l’un des systèmes judiciaires les plus progressistes au monde, ce n'est pas le fait du hasard.
En raison du régionalisme et de la structure parlementaire caractéristiques de ce pays, toutes les femmes qui se sont rassemblées localement pour se battre politiquement pour l'amélioration des conditions de vie (autour de mouvements comme Toma la Calle, Indignados puis Podemos....) ont pu développer une véritable "carrière politique" et prendre leur part à la vie publique. Car dans une société où l’essentiel des obligations domestiques repose encore sur les femmes, l’implantation locale est une arme politique importante pour elles. Seul cet engagement sur le lieu de vie et en proximité permet l'exercice correct de nos droits politiques. En effet, tout ce qui est central, national, vertical...comme dans notre modèle jacobin (auquel la décentralisation n’a pas changé l’essentiel sur le plan régalien) et implique longs voyages, longs séjours, éloignement...rend encore la représentation nationale souvent inaccessible aux femmes.
Les Espagnoles ont pu accéder plus nombreuses aux lieux où se décidaient les grandes lois qui protègent le patriarcat, et commencer à les défaire[1].
Ici, malgré la loi sur la parité, nous avons sur le papier des droits que nous ne pouvons pas exercer complètement dans la réalité. Des droits qui ne sont pas effectifs.
Mais une autre constatation importante porte sur l'attitude des partis et des syndicats à l'égard des violences de genre.
Le militantisme doit être à la portée des femmes, et pour cela il faut qu'elles puissent s'investir dans des structures qui leur offrent une réelle sécurité face aux violences de genre, puisque celles-ci se retrouvent dans toutes les strates de la société.
Dès que partis ou syndicats tolèrent dans leurs rangs des hommes mis en cause, poursuivis ou condamnés pour des violences de genre et leur conservent leur position de pouvoir, ils font le choix d'adopter en interne des positions contraires à celles que devraient induire leurs textes, leurs règlements et leurs programmes. Ils luttent contre la parité.
La peur, les représailles, les campagnes de haine, l’ostracisation... que l'on fait régner sur les femmes qui ont le courage de dénoncer violences, dysfonctionnements, discriminations et comportements toxiques, la solitude dans laquelle on les laisse se débattre, les moyens dont on les prive...sont autant de verrous à l'exercice effectif de leurs droits politiques fondamentaux.
"Covenants, without the sword, are but words and of no strength to secure a man at all[2]" disait Thomas Hobbes.
C'est bien ce dont il s'agit pour nous, les femmes. Des promesses mais pas de moyens. Empêcher un plein exercice politique en faisant le black-out sur les violences de genre, ne conférer de droits que très encadrés, de participation que très conforme au modèle masculin dominant, et qui butent toujours, toujours, toujours sur la question des violences.
Dans un pays comme la France où il n'y a pas de réels changements de société qui ne passe par le régalien, où il faut donc aussi atteindre les strapontins du Parlement (ou d'un gouvernement) au plan national, les violences de genre et leur banalisation sont donc un autre moyen très efficace de nous reconduire fermement à la porte des partis.
Se (dé)battre contre les violences de genre internes, contre leur minimisation ou leur instrumentalisation, en plus de "tout le reste ", demande souvent une énergie et une force que l'on aimerait mieux mettre ailleurs : défense de l'écologie, défense de l'assurance chômage, du régime de retraite ...une force qu’un jour on n’a plus. Combien sommes-nous à avoir rencontré cette violence dans nos organisations ? A avoir demandé de l’aide et à ne l’avoir pas reçue ? A s’être plainte et à avoir été moquée ? Ou bien plus simplement, à l’avoir subie et à être partie sans rien dire ?
Combien sommes-nous à avoir voulu nous engager ou militer pour changer le monde dans lequel nous vivons et à avoir été étouffées vives par ces violences ? Et comment changerons-nous la loi des hommes qui s’abat sur les femmes si nous ne pouvons pas accéder aussi librement qu’eux aux plus hautes fonctions politiques, si nous sommes éternellement contraintes à la figuration ou à ne pouvoir que reproduire des stéréotypes imposés ?
Nous sommes une citoyenne sur deux.
Ne rien faire de concret contre les violences de genre internes aux organisations politiques, c'est les favoriser.
Les favoriser c’est nous discriminer.
Cette discrimination ne peut plus durer.
[1] Classement Parline UIP 2022 : L’Espagne est en 19ème position avec 43%, la France est 38ème (derrière l’Equateur) avec 37,3% .
[2] « Les engagements sans l’épée ne sont que des mots et n’ont aucune force pour protéger un homme »