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Billet de blog 26 novembre 2023

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Maintenant, nous allons pouvoir écouter, compatir et pleurer

Enfin, nous allons pouvoir cesser de retenir notre souffle et écouter, et compatir et pleurer pour les femmes et jeunes filles tuées, violées, agressées, mutilées le 7 octobre, maintenant qu’enfin s’estompent les manipulations de l’internationale d’extrême droite pour désigner les féministes comme « complices ». Des décennies que nous luttons sans vous. Des décennies que nous survivons sans vous. Pour elles toutes, nous, sommes révoltées du lever du soleil jusqu’à son coucher.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Maintenant que les charognards du « mouvement antiwoke » (sic) ont fini leur répugnant petit numéro de claquettes sur le corps des femmes mortes ou violées le 7 octobre.

Maintenant qu’enfin retombe l’engouement pour des pétitions ou des tribunes signées avec des fascistes ou des va-t-en-guerre qui ne voient aucun inconvénient à massacrer des femmes civiles « ailleurs », des pétitions signées avec des représentants réactionnaires qui traditionnellement n’en ont absolument rien à faire de ce qui arrive aux femmes « de leurs pays » par temps de paix (et pensent plutôt d’ordinaire que les rave parties sont des repaires de drogués aux cheveux longs qu’il faut criminaliser).

Maintenant qu’enfin s’estompent les manipulations de l’internationale d’extrême-droite pour agresser les féministes françaises en les désignant comme « des complices » du djihad islamique et ainsi régler leurs comptes, par des amalgames immondes, avec celles qui, éventuellement, auraient demandé ici que cesse le harcèlement quotidien et la discrimination dont sont victimes nos compatriotes musulmanes depuis trop d’années, ou celles qui luttent contre le patriarcat, le droit de cuissage, ou pour l’avortement, ou tout simplement, celles qui ont le mauvais goût de protester aussi contre le traitement infligé à la population gazaouie. 

Maintenant que les instances en charge de faire des enquêtes, maintenant que les journalistes, maintenant que certaines victimes vont pouvoir parler.

ENFIN, nous allons pouvoir cesser de retenir notre souffle et écouter, et compatir et pleurer et nous révolter sans retenue pour les femmes et jeunes filles tuées, violées, agressées, mutilées le 7 octobre.

Comme nous compatissons et pleurons et nous révoltons chaque jour pour chaque femme violée, assassinée, torturée, aux quatre coins du monde, qu’elle soit ukrainienne, russe, iranienne, rwandaise, israélienne, palestinienne, congolaise, thaïlandaise, française, américaine, brésilienne.

Qu’elle soit assassinée par le père de ses enfants ou par un combattant étranger.

Qu’elle soit violée par son collègue ou par un combattant étranger.

Qu’elle soit torturée par des proxénètes ou des pornographes (dont vous, les donneurs de leçons, vous rendrez ensuite complices en visionnant un porno ou en achetant une passe puisque, rappelons-le certaines de ces "belles âmes" ont aussi signé le manifeste du « droit à sa pute ») ou par un combattant étranger.

Aucun uniforme d'aucune armée ne prémunit d'aucune exaction. Aucune nationalité. Aucune religion.

Cette indignation très, très sélective qui ne surgit qu’à la faveur de situations qui présentent un intérêt politique nauséabond mais qui se moque bien en réalité de la cause des femmes, et qui l’instrumentalise, pour faire croire que seuls des hommes de telle nationalité, de telle couleur, de telle classe sociale, de tel âge ou telle religion peuvent violer, massacrer, assassiner, torturer des femmes.

Parce que les viols de guerre correspondent en tous points aux stéréotypes de la culture du viol (la violence, l’inconnu), vous les présentez comme plus abjectes.

Mais quelle différence véritable y a-t-il entre le viol de l’une et le viol de l’autre par des hordes sauvages, ici déchaînées par l’alcool et la drogue (la manada) et là-bas fanatisées par une cause (7 octobre) ?

Quelle différence y-a-t-il avec une femme tabassée ou poignardée de dizaine de coups de couteau puis découpée ou brûlée par son conjoint sur votre sol « en temps de paix » ?

Où était votre indignation en 2001 quand des policiers italiens, à la faveur d’un sommet international, ont tabassé à mort des jeunes européennes altermondialistes dans leur sommeil, puis les ont traînées et retenues plusieurs jours, ensanglantées et meurtries, dans une caserne, privées de soins et de leurs droits élémentaires ? Certaines ont eu le crâne enfoncé. Certaines ont subi des fouilles qui étaient des agressions sexuelles. Certaines avaient leurs règles et pendant trois jours, ont été privées de protections et d’hygiène.

Où était votre indignation quand récemment, des jeunes manifestantes se plaignaient ici d’agressions sexuelles  et d'insultes sexistes lors de contrôles?

Vous qui acceptez par principe la torture de prisonnières politiques, les prisons secrètes, les lois d’exception qui autorisent tous les débordements, nous devrions vraiment nous fier à votre empathie ?

Car il faut dire que nos "civilisations" en savent long sur le massacre des femmes. Elles se sont régulièrement entraînées sur les femmes autochtones, indigènes, les femmes déportées, en Algérie, au Mozambique, en Angola, au Vietnam, aux Etats-Unis. Nous en avons, de ce triste savoir-faire, de cette tragique pratique. L'exemple vient d'en haut. L'exemple vient de loin.

Pour nous, il n’y a pas de différence. Pour nous, il n’y a toujours que trop de silence.

Des décennies que nous luttons sans vous. Des décennies que nous survivons sans vous. Des décennies que nous luttons même contre vous. Nous continuerons. Vous n'êtes pas nos alliés. Nous ne sommes pas les vôtres.

Pour elles TOUTES, nous, chaque jour, nous pleurons des larmes de sang, nous arrachons nos cheveux, nous déchirons nos poitrines, nous griffons nos visages.

Nous sommes révoltées du lever du soleil jusqu’à son coucher.

Le corps des femmes est perpétuellement.

Quotidiennement.

Terriblement toujours.

Un champ de bataille, par temps de paix comme par temps de guerre.

Pour nous, la paix n’existe jamais.

Vivre quotidiennement cette guerre ancestrale et permanente contre les femmes nous use, nous abime, nous épuise, nous enrage.

Nous ne divisons pas. Nous ne trions pas nos mortes selon qui les tue, qui les massacre, qui les viole.

Notre seule patrie, c’est celle des femmes du monde entier.

Vous n’aurez pas notre colère ni notre rage.

Que la terre leur soit légère à toutes...

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

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