Les ouvrièr·es, les femmes, les personnes queer, lesbiennes, gays et trans (LGBTQ+), les personnes handicapées et les personnes racisées ont, en tant que classes (classe, c'est-à-dire, pour le dire vite, groupe de personnes ayant une expérience sociale, un vécu, des pratiques, des problématiques...en commun), une chose au moins en partage : pour leur subsistance, pour leur survie, iels dépendant largement de leurs exploiteurs, et face aux violences qu’iels subissent (des micro-violences quotidiennes, jusqu’à la mort pour certain-es) iels sont poussé-es avant tout à s’adapter tant qu'iels peuvent plutôt qu’à combattre (c'est une "loi de nature": pour la survie, l'adaptation est spontanément jugée plus efficace que la guerre, en tout cas à court terme).
Ce mécanisme d’adaptation au système et à la pensée des dominants (des dominateurs ?) est bien connu en psychologie sociale et se retrouve dans une formule lapidaire de K. Marx dans L’idéologie allemande : « À toute époque, les idées de la classe dominante sont les idées dominantes; autrement dit, la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est en même temps la puissance spirituelle dominante. La classe qui dispose des moyens de la production matérielle dispose en même temps, de ce fait, des moyens de la production intellectuelle, si bien qu'en général, elle exerce son pouvoir sur les idées de ceux à qui ces moyens font défaut. » {NB: oui, je sais que cette formule ne veut pas exactement dire ce que je dis, mais elle y contribue] C’est aussi un constat qu’amorçait Delphy dans L’ennemi principal, constat que faisait aussi A. Dworkin.
Ainsi voit-on des femmes qui adoptent les pensées et les propos de leurs maris jusque dans leur sexisme crasse, des personnes racisées qui adoptent les propos de dirigeants racistes et votent pour eux, les personnes handicapées soumises à la doxa validiste, et j'en passe.
Les oppresseurs sont les mêmes, ils sont communs même s’ils changent de visages en fonction des « points de vue » (ou des époques). Ce sont tous des suppôts du Capital. Avec les mêmes désirs de profits, de super-profits même, au centre de cette « toile » !
Les « étrangers » « les chômeurs » et « les femmes » sont utiles pour « faire pression » sur les salaires. Les violences sont utiles pour tenir les opprimé-es tranquilles. Le racisme et le sexisme sont utiles pour tenir les « étrangers » et les « femmes » tranquilles. Les violences contre les lesbiennes sont utiles pour exciter les misogynes, contre les trans pour réconforter les réacs cisgenre, contre les gays pour rassurer les mâles hétéros. La guerre de chacun contre tous est utile pour que tous ne s’unissent pas pour faire la guerre à la guerre et au capital…Le patronat est sans vergogne, il se sert de tout, partout.
C’est la force des études et des réflexions intersectionnelles d’avoir mis en lumière ce « cœur commun » et d’avoir ainsi désigné l’ennemi, à la croisée de ces oppressions. C’est la raison pour laquelle les réactionnaires et les défenseurs du Capital sont rendus fous/folles par ce qu’ils appellent désormais « le houoquisme » (« wokisme » dans le texte).
Leur trouille de voir non seulement une union des luttes mais surtout une union des objectifs de ces luttes est intense, et à juste titre, dirais-je, car nous avons désormais une force immense entre nos mains.
C’est la raison aussi pour laquelle tout ce qui parle Dé-Croissance et sauvegarde de l’environnement rencontre chez ces mêmes réactionnaires les rictus les plus haineux. On en est quand même à invectiver les « terroristes verts » (sic). Le niveau.
Penser en tant que classe(s) dont les oppressions se recoupent est la seule manière de lutter efficacement contre le coup d’Etat que le capitalisme nous concocte encore avec M. Macron (il a essayé Mme Le Pen : ça n'est pas passé loin mais pour l’heure ça n’a pas fonctionné - il retentera car vous comprenez, il faut ce qu’il faut). Ce n’est pas « seulement » un problème de « démocratie » : ici démocratie veut dire simplement « possibilités de la lutte des classes ». Possibilité de combattre pacifiquement (pour le moment) la barbarie que le Capital nous impose.
La barbarie est là depuis toujours en réalité, mais elle est tellement quotidienne et si peu spectaculaire, et la société du spectacle est si prompte à absorber et à banaliser les évènements insupportables, indignes, mais pourtant oui elle est là depuis toujours au quotidien : celleux qui se noient dans la Méditerranée, celleux qui dorment avec des petits enfants dans des logements insalubres, celleux qui crèvent de froid dehors, celleux qui subissent le quasi-esclavage des « boulots de merde » mal traités, mal payés mais sans lesquels on n’a vraiment plus rien, celleux qui subissent le racisme « de tous les jours », celleux qui ramassent là-bas sous les coups de fouet les minerais qui garniront nos smartphone ici…
N'oublions pas non plus celles qui (n’en déplaisent à ceux qui pensent que tout ce qui n’est pas taliban est égal à la liberté des femmes), celles qui subissent quotidiennement sexisme, harcèlement, violences, discriminations… (et souvent en plus d’autres formes d’oppression – mes sœurs je mesure votre courage, votre force).
On leur dit « mais réjouissez-vous quand-même, bandes d’ingrates, vous n’êtes pas en Iran, vous n’êtes pas en Afghanistan » comme si ne pas être une femme iranienne ou afghane signifiait nécessairement l’apogée d’une vie de femme, et était égal à jouir de tous les biens dans le meilleur des mondes possibles.
Oui on a le droit de vote (merci vu ce qui en est fait), oui on peut porter une mini-jupe (pas un hijab ou une abaya en revanche attention), oui on peut passer son permis et conduire (enfin si on a des sous et qu’on ne se fait pas agresser par le moniteur), oui on peut exercer une profession, avoir un emploi (mais faut bien supporter les 16% de salaire en moins, les mains aux fesses du collègue et le placard quand tu rentres de congé mat’), oui on a la contraception (enfin faut le savoir vu qu’on n’en parle plus jamais) oui on a l’IVG (enfin faut trouver un centre et un médecin qui accepte de les pratiquer) oui on peut se promener seule dans la rue (mais attention pas trop tard pas trop seule sinon gare) oui on peut porter plainte contre un mari violent (mais faut pas trop espérer de poursuites) oui on peut même écrire publiquement sur un blog Mediapart…BREF ça vaaaaaa quoi, on n’est pas en Afghanistan merde !
Mais où vivent-ils vraiment, celles et ceux qui ne voient pas que les talibans ne sont que l’extrême de l’arc des violences faites aux femmes, le pire de ce que pourrait devenir toute société, n’importe-laquelle, plongée dans la même situation, le pire prolongement de nous-mêmes ? Comme si nous n’avions aucune responsabilité dans le patriarcat, comme si lui, il n’était pas VRAIMENT universel. C’est l’intensité qui varie en fonction de la place du pays dans le monde, de son histoire, de sa situation…
Mais il y a bien un lien intense entre Robert en France qui mange du saucisson, boit du pinard, tabasse son chien ses gosses sa femme et finit par la tuer au fusil de chasse quand elle essaie enfin de le quitter, et Mouloud le taliban qui la lapide si elle n’a pas mis sa burqa. L’excellent ouvrage dirigé par Christelle Taraud « Féminicides : une histoire mondiale » a l’immense mérite (entre autre) de montrer ce continuum à travers les âges et à travers le monde.
Donc ce n’est pas tellement « sur le fond » qu’il y a des changements, des différences, mais c’est sur la forme et sur le nombre. L'étendue. Jusqu’à présent, le déni de démocratie quotidienne était réservé à certain-es : les noirs, les arabes, les pauvres. Les blancs bourgeois (y compris « de gauche », pas la peine de se mentir) regardaient leurs chaussures sans se sentir vraiment concerné-es. Ok, mais ça, c’est fini mes petits amis, c’était « avant ». Maintenant, comme chantait Dominique Grange « Chacun de nous est concerné ». Et va l’être d’autant plus que l’économie que nous concocte le Capital est majoritairement une économie de la guerre et de la dévastation (la Serbie veut des Rafale et Macron va les lui vendre. Israël signe des contrats mirobolants avec l’Allemagne, et j’en passe. Allo, allo, la guerre est là).
Tout ce qui s’oppose à cette barbarie va être taxé de « terrorisme » à plus ou moins brève échéance. L’est déjà régulièrement d’ailleurs. Et ne parlons pas des yeux crevés et des mains amputés, des morts même.
Face à ce désastre que faire ? Continuer à nous « adapter » ? Mais jusqu’à quand ? Mme Braun-Pivet pérorait doctement aux journées d’été du Medef qu’on avait le droit (sic) de trouver un travail mais (re sic) le DEVOIR de travailler.
Non mais vous vous rendez compte de l’ampleur du délire ? Mais pourquoi s’adapter en fait à quelque-chose d’aussi néfaste à très court terme ? Pourquoi continuer à subir ? Ce que nous devons trouver, ce sont des moyens d’être solidaires pour lutter efficacement. Ce que nous devons trouver, ce sont des stratégies et des organisations. Pas la peine de cliver entre ceux qui font comme ci celles qui font comme ça : tant qu’on reste du même côté de la barricade, tout est acceptable, et il faudra de tout.
Ce que l’assistance aux victimes de violences m’a appris c’est que souvent ce qui leur fait défaut pour s’en sortir, pour briser le cercle, pour quitter le père abusif, le cousin violeur, le mari violent, le patron harceleur… c’est de l’aide pour parer aux effets que produisent leur rébellion. C’est de l’aide pour atténuer/empêcher les coups pris en retour quand on veut reprendre sa liberté. C’est une perspective de changement réel. Un vrai soutien concret.
La gauche unie fait partie de ces moyens (ça ne suffit pas mais ça compte). Les syndicats unis aussi.
C’est pareil pour nous. Pour celles et ceux qui luttent. La première chose à faire d’urgence, c’est de nous donner les moyens de nous protéger quand nous allons 1° mettre un terme à cette ridicule délégation de nos vies à des politicien·nes (oh eh deux mois sans "gouvernement" et toujours vivants!), et 2° nous rebeller contre la barbarie, le bourrage de crâne de « l’extrême-droite » (qu’elle crèche chez LR ou même dans des poches « minoritaires » du PS) .
Donc, il nous faut un parti unique de gauche, finaliser la fusion du Nouveau Front Populaire autour du programme des législatives. Ensuite ce que nous voulons, c’est de la clarté, de la cohérence et de la détermination sur les lignes politiques et sur les objectifs. On arrête de bidouiller, de mentir. On se dit les choses.
Par exemple : non, on ne veut pas gouverner pour le patronat avec M. Macron. On ne doit pas. D’ailleurs on n’a pas voté pour ça. Par exemple encore : il faut cesser de délimiter la réaction et l’extrême-droite au seul RN. C’est une vérole qui touche tous les partis qui ne luttent pas contre le libéralisme.
Enfin, il va falloir penser aux moyens.
La grève me semble inévitable.
Alors ?
Alors, il y a des « bases » à construire et à tenir. Reparlons-en !