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Billet de blog 15 octobre 2020

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«Accompagnant», le nouveau nom de papa à l’ère du coronavirus

Nous attendons un bébé pour février 2021, et comme nous sommes un couple moderne et amoureux, nous préparons l'accouchement ensemble. Mais c'est sans compter les nouvelles mesures contre le coronavirus que viennent de prendre les maternités. Les dirigeants n'ont trouvé qu'une seule solution : laisser papa à la porte.

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Cela fait 12 ans que nous sommes ensemble, 12 ans d’amour, de rire, de partage. Cette année on a décidé d’avoir un bébé, c’est notre premier. Depuis cinq mois maintenant nous l’attendons en lisant des livres et en demandant des conseils à nos amis et à nos familles. Comme beaucoup de futurs parents, nous sommes excités, heureux, et bien sûr un peu anxieux. Mais ça tombe bien, aujourd’hui nous avons rendez-vous à la maternité pour notre « entretien prénatal précoce » (EPP pour les intimes) pendant lequel une sage-femme va nous donner toutes les informations importantes sur la grossesse et l’accouchement.  On est très sérieux, on s’est bien préparés. Sur nos téléphones, on a noté une foule de questions qu’on révise ensemble dans le bus. « Est-ce que la maman peut manger pendant l’accouchement ? Comment ça se passe, l’expulsion du placenta ? C’est vrai que la sécu va nous fournir un tire-lait ? Dites, on peut voir à quoi ça ressemble, une salle de travail ? ». Et si on a le temps, on demandera aussi si c’est vrai qu’on peut faire caca en poussant, c’est mieux d’être prévenus.

Il y a un joli rayon de soleil automnal lorsqu’on passe la porte de la maternité. On arrive en souriant à l’accueil, on se présente. Et là, le couperet tombe :  « Vous venez pour un EPP ? Le monsieur ne peut pas rester. » Nous nous regardons, nous avons du mal à comprendre. « C’est à cause de la crise du COVID, les accompagnants ne sont pas autorisés, sauf pour les accouchements et les échographies ». Pour nous, cela n’a pas de sens, nous sommes venus à deux, parce que ce bébé, c’est un désir commun, une responsabilité commune, on l’a fabriqué ensemble, et on le veut ensemble. Brusquement, on veut nous séparer, nous ne sommes plus reconnus comme un couple mais comme un homme qui accompagne une femme qui a un bébé dans le ventre. D’ailleurs c’est bien marqué sur la porte d’entrée : l’homme est un « accompagnant ». Il a donc le même statut, aux yeux de la maternité, que cet étudiant éméché qui emmène aux urgences un copain qui s’est ouvert la main en ouvrant sa bière. Ou bien que la sympathique voisine d’en face qui dépose la mamie du cinquième à l’hôpital pour son opération de la cataracte sur le chemin du travail. Après tout, qu’est-ce qui nous dit que cette personne a un lien avec la mère ? La dame de l’accueil ne le qualifie ni de « papa », ni de « coparent », elle l’appelle « monsieur ». C’est vrai, il n’a pas un gros ventre qui dépasse de sous son manteau, il n’y a pas de manifestation physique observable de sa joie, de sa tendresse, de son désir farouche de protéger ce bébé auquel il parle amoureusement tous les jours.  Alors monsieur va attendre sagement dehors pendant que la maman a son rendez-vous.

Mais la maman n’est pas d’accord. Parce qu’elle a lu des articles sur internet, elle sait ce qui s’est passé six mois plus tôt pendant la première vague du coronavirus : non seulement les papas n’ont pas pu venir aux ateliers de préparation à la naissance, mais certains n’ont même pas pu assister à l’accouchement. D’autres ont pu rester deux heures seulement après la naissance avant d’être intimés de rentrer chez eux, avec le sentiment déchirant d’abandonner leur conjointe épuisée et ce nouveau-né qu’ils attendaient depuis des mois, avec qui ils venaient de faire connaissance. Alors la maman a terriblement peur, brusquement. Elle s’imagine déjà le jour de son accouchement, arrachée aux bras de celui qu’elle aime pour se retrouver seule entourée de visages inconnus. Rien qu’à cette idée, elle a du mal à respirer. « Remettez votre masque madame, il faut porter un masque dans l’hôpital ». Et la maman a l’impression d’étouffer et le bébé proteste en lui donnant de grands coups dans le ventre. « Ne vous inquiétez pas, le coparent est autorisé pendant les accouchements ». Aha, à d’autres ! Toutes les deux semaines, en fonction de l’évolution de l’épidémie, le gouvernement prend de nouvelles mesures. Pourquoi en serait-il autrement pour la maternité ? Ne vous réunissez-vous pas pour une cellule de crise toutes les semaines ? Qu’en sera-t-il dans 3 longs mois ?

Nous, futurs parents, nous ne sommes pas inconscients, nous comprenons bien que le coronavirus (ou la COVID, comme vous préférez) est une maladie grave, qu’il faut à tout prix enrayer pour sauver des vies, pour contrer la mort. Si l’un de nous deux devait subir une opération aujourd’hui, il puiserait dans tout son courage pour s’y rendre tout seul, en citoyen responsable, et l’autre se contenterait de lui envoyer de doux textos de réconfort. Mais nous ne sommes pas malades. Nous sommes en train de créer une vie humaine, et nous voulons que cela se passe dans les meilleures conditions possibles. Nous n’y connaissions pas grand-chose en mise au monde, mais en cinq mois nous avons eu le temps de nous renseigner. Le temps du papa qui fume nerveusement devant une porte close est révolu, archaïque, et même contre-productif. Tiens, par exemple, il y a une étude américaine de 2011 qui démontre que « le soutien physique, moral, émotionnel par le père pendant l’accouchement (ou par une personne en qui la maman a confiance) diminue toutes les interventions obstétricales et améliore la satisfaction ainsi que la santé de la mère et de l’enfant »[1].  Nous avons lu et vu de nombreux témoignages de femmes qui racontent comment à un moment difficile comme un palier dans la dilatation du col ou des contractions trop intenses, un massage, un mot doux ou un geste d’amour de leur partenaire leur ont permis de retrouver courage et de relancer le travail sans intervention médicale. Oui c’est ça qui est à souligner : sans intervention médicale ! Nous espérons que les personnels de maternité sont d’accord avec nous : un accouchement « idéal », c’est celui qui ne dure pas trop longtemps, où la maman et le bébé vont bien, et pendant lequel il n’est pas nécessaire de sortir des objets effrayants comme les forceps, ou pire, d’ouvrir le ventre de maman pour sortir bébé parce qu’elle n’a pas réussi à le faire naître par la « voie basse », la voie normale. Et si malheureusement intervention médicale il y a, la présence d’une personne aimée n’est-elle pas infiniment précieuse pour trouver le courage d’affronter cette nouvelle épreuve ?

En fait, tout le problème vient de là : quelle est votre réponse à la question : « Qu’est-ce qui est important ? ». Est-ce qu’il est important que la mère et le bébé soient en bonne santé ? Est-ce qu’il est important que la mère comme le père vivent la naissance de leur enfant comme une expérience satisfaisante et positive ? Ou est-ce qu’il faut se contenter que la mère et le bébé soient juste vivants ? La crise du coronavirus est-elle si grave que l’on sépare les pères des mères dans un moment où leur présence est si désirée, voire indispensable ? Est-ce que ce n’est pas l’inverse qui devrait se produire ? Si nous étions face à une attaque de zombies, est-ce qu’on envisagerait de séparer les gens qui s’aiment et se protègent mutuellement ? Non, le père n’est pas un accompagnant inutile qui ne sert qu’à prendre des photos et à s’évanouir à la vue de la vulve dilatée de sa compagne. Et nous ajoutons que sa présence est d’autant plus précieuse lorsqu’il a suivi la préparation à la naissance, qu’il sait ce qu’il va se passer, qu’il sait quel rôle il va jouer. Une autre étude dit que « les femmes dont le partenaire participe à l’accouchement éprouvent moins de douleurs et sont plus satisfaites que celles dont le partenaire n’est pas présent ou ne joue pas un rôle important.[2] » Alors non seulement papa doit assister à l’accouchement, mais il faut aussi lui laisser la possibilité de le préparer. Il est donc indispensable qu’il assiste aux cours de préparation à la naissance !

Et vous savez quoi ? Même le Président de la République est d’accord avec nous. Le 23 septembre 2020, Emmanuel Macron affirmait à propos de la prolongation du congé maternité : « Cette décision est une avancée, c'est d'abord une mesure qui est favorable à l'égalité entre les femmes et les hommes. Lorsque l'enfant arrive au monde, il n'y a aucune raison pour que ce soit juste la maman qui s'en occupe. Il est important qu'il y ait, dans un couple, une plus grande égalité dans le partage des tâches dès les premiers jours". Les premiers jours, les premières heures ! Si l’on veut que le père puisse occuper pleinement sa place de parent, il faut lui laisser cette place dès le début, dès la grossesse. La maman a neuf mois pour se faire à l’idée de cette naissance, à sentir petit à petit la vie surgir et bouger à l’intérieur de son corps. Pour le papa (ou le coparent), c’est plus difficile de s’imaginer ce qui se passe à travers la paroi d’un ventre qui s’arrondit, il lui faut du temps à lui aussi, et du soutient, peut-être plus encore. Alors c’est comme ça qu’on doit l’accueillir dans son nouveau rôle de père, en le laissant attendre dans le froid, assis par terre, à la porte de la maternité ?

Non, répond la maman. Elle n’ira pas toute seule à son entretien. Comme elle est têtue on lui propose une alternative : un entretien virtuel dans un mois. D’accord. Mais rien n’est sûr, parce qu’il n’y a pas de caméras dans la maternité pour l’instant, elles devraient arriver dans 3 semaines. Si le budget le permet. Nous repartons tous les deux, dépités, angoissés, et cette nuit nous dormons mal.  Il va falloir attendre encore pour avoir des réponses à nos questions, nous nous sentons très seuls. Nous sommes convaincus que les soignants de la maternité pourraient nous apporter beaucoup d’aide et de soutien, par leur engagement et leur savoir-faire. Ce n’est pas pour rien que nous avons tant insisté pour réussir à entrer dans la maternité ! Pourtant, dans le noir, nous nous demandons si nous ne ferions pas mieux d’accoucher à la maison finalement, tous les deux, quitte à prendre des risques, pour ne pas être séparés.[3]

Nous avons longtemps hésité avant d’avoir un enfant, parce que nous nous demandions s’il était judicieux de le faire naître dans ce monde dont beaucoup d’aspects nous inquiètent et nous attristent : le réchauffement climatique, la disparition des écosystèmes, la toute-puissance du Capital. Puis finalement ce qui nous a fait changer d’avis, c’est ce qui pour nous donne du sens à notre existence : le rire, l’affection, le partage. Nous voulons que les premiers instants de la vie de notre enfant soient à l’image de ces valeurs qui nous animent : un moment de communion et de joie, malgré le coronavirus, malgré la peur de la mort. Pour nous, ce qui est important, c’est d’accueillir notre bébé comme nous l’avons conçu, avec amour, avec tendresse. Ensemble.

[1] Hodnett, E.D., Gates, S., Hofmeyr, G.J., Sakala, C., et J. Weston, “Continuous support for women during childbirth”, Cochrane Database of Systematic Reviews 2, 2011.

[2] Cronenwett, L.R., et L.L. Newmark, « Fathers’ response to childbirth”, Nursing Research, 23,3,1974, p. 210 - 217

[3] Impossible de trouver une sage-femme qui pratique les accouchements à domicile dans notre région ! Il faut dire que contrairement à d’autres pays, cette pratique n’est pas du tout encouragée en France, et les sages-femmes pratiquant des AAD ont l’obligation de souscrire une assurance en responsabilité civile et professionnelle couvrant la pratique des AAD (article L.1142-2 du Code de la Santé Publique et de la loi du 4 mars 2002), assurance qui leur coûte entre 19.000 et 25.000€.

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