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Billet de blog 14 février 2022

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Liberté d'instruire en famille : victime d'un coup de com' politique

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Liberté d’instruire en famille : victime d’un coup de com’ politique

Suite à des remous provoqués par un reportage de M6 à Roubaix, le ministre de l’Éducation a été interpellé sur le séparatisme en matière d’éducation. À cette occasion il évoque quelques cas d’enfants re-scolarisés grâce à la “loi séparatisme” : autosatisfecit justifié ou tentative d’assurer le « service après vente » d’une loi qui manque sa cible ? Quoi qu'il en soit, le ministre exploitait là une occasion de redorer son image médiatique écornée. 
Nous dénonçons les amalgames diffamants que le ministre entretient entre les parents instructeurs et le séparatisme.
Nous alertons quant à l’importance de préserver la liberté d’instruire en famille. Les projets de décrets d’application de l'article 49 de la loi séparatisme plus restrictifs que ce qu'a voté le législateur, auront des effets délétères. Ils impacteront une population d’enfants déjà fragilisés par des handicaps visibles ou invisibles, mais également des jeunes simplement « différents ».

Séparatisme islamiste et Instruction En Famille (IEF) n’ont rien à voir
L’émission Zone Interdite du 23 janvier présentait, concernant les apprentissages à domicile, des sites internet dispensant des cours en ligne aux contenus rigoristes. Ces épiphénomènes s’adressent à toutes les familles, et pas uniquement à celles dont les enfants sont déclarés "instruits en famille". La ficelle, un peu grosse, est connue : elle a servi à faire adopter l’article 49 de la loi confortant le respect des principes de la République, qui soumet désormais la liberté d’instruire en famille à l’arbitraire d’une autorisation administrative.
Pourtant, les chercheurs en sciences de l’éducation, les spécialistes de la radicalisation et la direction générale de l’enseignement et de la scolarité (DGESCO) sont unanimes : il n’existe pas de risque accru de radicalisation en IEF  (1,2). Même la Miviludes, pourtant très suspicieuse quant au risque sectaire dans le cadre familial, ne met en évidence aucun risque de radicalisation spécifique à cette modalité d'instruction (3).
Selon la DGESCO, les contrôles annuels obligatoires menés par l’Éducation nationale - qui vérifient notamment l'éducation à la citoyenneté et aux principes de la République - montrent que plus de 98 % des enfants instruits en famille sont “régulièrement instruits”. Pour 2019, les rapports du ministère relèvent 0,09 % de situations préoccupantes, et pas pour des raisons de séparatisme religieux ! 
Malgré nos demandes réitérées, ces rapports n’ont été rendus publics qu’après la promulgation de la loi, obligeant les parlementaires à légiférer à l’aveugle. Le risque “d’entrisme islamiste” a été vendu aux législateurs sur la base de faits divers, et l’adoption de l'article 49 a reposé sur la capacité de persuasion de ministres souhaitant complaire au président Macron. La volonté d’interdire l’IEF annoncée aux Mureaux n'était qu'un élément de la stratégie pré-électorale du président sortant pour tenter de muscler son bilan sécuritaire.

L’IEF est à la fois un vivier d’innovations et une issue de secours vitale
Dans les pays qui reconnaissent cette modalité d'instruction, l’IEF s’avère être un vivier de pédagogies innovantes. Elle est reconnue comme favorisant la pensée “out of the box”, valeur activement recherchée par les associations ou entrepreneurs du “monde d’après”. Hélas, la “start-up nation” à la française semble aujourd'hui redouter la pluralité des parcours,  repousser  l’adaptation aux rythmes d’apprentissage et faire fi des intérêts de l’enfant apprenant.
Il existe également un choix « par défaut » de l’IEF : les chercheurs parlent alors d’IEF subie.  C’est le cas quand les parents sont inquiets du niveau insuffisant des enseignements à l’école (rapports PISA à l'appui), ou de la surpopulation dans les classes, de la ghettoïsation des établissements dont ils dépendent, ou encore du manque d’inclusion. S'y ajoute désormais la lassitude provoquée par les injonctions sanitaires contradictoires, les petits arrangements avec les statistiques autour de "l'école ouverte”, ou encore les réformes des filières menées à marche forcée sur fond de pandémie (4,5). De manière plus aiguë, l’IEF est une issue de secours parfois vitale pour que des enfants mal accueillis ou malheureux entre les murs de l’école puissent se (re)construire : enfants différents, atypiques, présentant un handicap visible ou non, victimes de harcèlement (700 000 par an en France).
La réalité vécue par de nombreuses familles ayant choisi d’assumer la responsabilité de l’instruction de leur enfant est que l’école n’est pas toujours “bonne pour tous les enfants”. N’en déplaise à Monsieur Blanquer, ni la répétition de ce mantra, ni l’accumulation de lois, numéros verts et circulaires ne suffisent à modifier cette réalité.

Supprimer les alternatives, c’est prendre les enfants en otage
Voici plus d’un an que le ministre de l’Éducation nationale traite nos associations et collectifs comme un obstacle, gênant son projet de nivellement de l’Éducation Nationale. Peut-être espère-t-il, en faisant disparaître toute alternative, effacer du même coup les preuves concrètes des effets délétères de sa politique - tracée à l’économie - sur l’école ?
Le ministre vient d’adresser à l’évaluation du Conseil d’État les décrets d’application des articles de la loi confortant les principes de la République concernant l’IEF. Malgré les réserves émises par Conseil constitutionnel (6), le dogmatisme et le cynisme de l’exécutif ont défini, comme rempart ultime aux dérives religieuses… le baccalauréat du parent instructeur.
Ces projets de décret prévoient en outre qu’un enfant harcelé ne pourra être soustrait au danger que si le directeur de son établissement atteste que l’intégrité de l’enfant est menacée, ce qui revient à lui demander d'admettre l'échec de son équipe face au fléau que représente le harcèlement scolaire. Qu’en est-il de l'intérêt de l’enfant s’il faut attendre que son intégrité soit menacée ? Peut-on être confiant quand Erwan Balanant - rapporteur du projet de loi contre le harcèlement scolaire - refuse (au motif que les parents pourraient "en profiter") un amendement visant à ce qu’un dépôt de plainte pour harcèlement puisse servir à motiver, en cours d'année, une demande de changement d’établissement ou une demande d’IEF ? (7)
Enfin, les projets de décrets prévoient une double peine pour les enfants handicapés : soit, en violation flagrante de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE), les enfants seront stigmatisés car considérés comme “impossibles à scolariser” ; soit ils ne cocheront pas toutes les cases d’une reconnaissance administrative MDPH et devront alors aller à l’école, peu importe qu'il n'y ait pas d’accompagnant (AESH) ou que les enseignants ne soient pas formés (8,9). 

Revenir au régime déclaratif
Einstein disait : « Tout le monde est un génie. Mais si vous jugez un poisson sur ses capacités à grimper à un arbre , il passera toute sa vie à croire qu’il est stupide ». Nous, parents responsables - et éducateurs de citoyens responsables -, refusons qu’un seul des enfants de France se retrouve au pied de l’arbre-école, amené à se percevoir comme stupide parce qu’il n’arrive pas à y grimper. Nous refusons que des milliers d’enfants soient les dommages collatéraux d’une politique de pré-campagne présidentielle.
Les déboires du Ministre autour de la publication de ces décrets indignes, plus restrictifs que la loi, et sur lesquels le Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées a émis un avis défavorable, montrent qu’il est indispensable de renoncer à soumettre l’instruction en famille à un régime d’autorisation administrative liberticide et arbitraire. 
Le régime déclaratif, en vigueur jusqu’à l’adoption de la loi censée conforter les principes de la République, est le plus adapté à un régime de liberté : il doit être rétabli. La liberté d’instruction, et le devoir de protection de l’intérêt de l’enfant qui incombe en premier lieu aux parents, sont en jeu. Il est encore temps de faire machine arrière.


Christelle Leleu Caissa, représentante du collectif FÉLICIA (FÉdération pour la LIberté du Choix de l’Instruction et des Apprentissages)
Armelle Borel, co-fondatrice de l’association UNIE (Union Nationale pour l’Instruction et l’Épanouissement)
Laurence Fournier, porte-parole du collectif L’École est la maison
Jean-Baptiste Maillard, secrétaire général de Liberté Éducation
Nadine Isnard, directrice des Cours Pi
Sabrina Alloun pour l’association Info Droit Handicap


1- Bongrand et Glasman « Instruction(s) en famille. Explorations sociologiques d’un phénomène émergent »
https://www.cairn.info/revue-francaise-de-pedagogie-2018-4-page-5.htm 
2- Rapport DGESCO pour l’année 2018-2019 : https://droit-instruction.org/wp-content/uploads/2021/09/Rapport-Dgesco-IEF-2018-2019.pdf 
3- La Milviludes préconise dans ses rapports annuels de surveiller les clubs de sport ou les associations ouvrant en temps périscolaires pour y débusquer les dérives.
4- https://www.francetvinfo.fr/societe/education/penurie-d-enseignants-recrutement-express-sur-petites-annonces_4922805.html 
5- http://www.cafepedagogique.net/LEXPRESSO/Pages/2022/01/28012022Article637789740260998916.aspx 
6- Décision n° 2021-823 DC du 13 août 2021 :“Il appartiendra, sous le contrôle du juge, au pouvoir réglementaire de déterminer les modalités de délivrance de l'autorisation d'instruction en famille conformément à ces critères et aux autorités administratives compétentes de fonder leur décision sur ces seuls critères excluant toute discrimination de quelque nature que ce soit.” (https://www.conseil-constitutionnel.fr/actualites/communique/decision-n-2021-823-dc-du-13-aout-2021-communique-de-presse)
7- Dossier législatif "Combattre le harcèlement scolaire » https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/combattre_harcelement
8- « Instruction en famille : des projets de décrets trop restrictifs » communiqué de presse du 24 janvier 2021. https://droit-instruction.org/2022/01/24/instruction-en-famille-des-projets-de-decrets-trop-restrictifs/ 
9- Avis défavorable du Conseil national consultatif des personnes handicapées du 21 janvier 2022 : https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/contenu/piece-jointe/2022/01/avis_cncph_decret_ief.pdf 

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