«Art. 1er. - L’Église est séparée de l’État.»
Président: LEFRANÇAIS.
La séance est ouverte à 10 heures.
Le citoyen PARENT se fait excuser de ne pouvoir assister à la séance, étant retenu comme délégué à la Mairie du neuvième arrondissement.
Le procès-verbal de la séance du 1er avril, lu par le citoyen Ant. Arnaud, est adopté après quelques rectifications demandées par les citoyens H. FORTUNÉ, MEILLET, GOUPIL, Art. ARNOULD et LEFÈVRE.
La Commune, sur la proposition du citoyen LEFRANÇAIS, décide l’ajournement de la publication des procès-verbaux à l’Officiel jusqu’à la fin de la lutte engagée avec Versailles.
Incident. - Le citoyen OSTYN demande qu’il soit procédé à l’appel nominal et que les noms des manquants soient insérés aux procès-verbaux.
Après avoir entendu les citoyens FRAENKEL et GOUPIL, l’Assemblée décide que, vu les circonstances, la demande du citoyen Ostyn sera ajournée.
Proposition. - Le Président donne lecture de la proposition suivante, déposée sur le bureau par le citoyen ALLIX:
«La Commune de Paris,
«Vu le décret de la Commune de Paris, abolissant la conscription;
«Considérant que les soldats de France de toutes armes sont les frères des gardes nationaux de Paris;
«Décrète:
« Art. unique. - Tous les régiments français qui entrent dans Paris deviennent gardes nationaux et reçoivent la solde attribuée aux soldats citoyens. La délégation de la Guerre est chargée de l’exécution.»
Les citoyens RANC et VERMOREL s’opposent à la discussion de cette proposition et demandent qu’à l’a venir aucune proposition ne soit discutée sans qu’elle ait été présentée par une commission.
Les citoyens RASTOUL et URBAIN combattent cette mesure.
Les citoyens GOUPIL et RÉGÈRE s’y rallient au contraire, mais demandent qu’avant le renvoi aux commissions, une lecture préalable en soit faite.
Le citoyen ALLIX, signataire de la proposition, s’étant rallié à la demande d’ajournement, la Commune décide le renvoi à la Commission exécutive.
Discussion des mesures proposées par la Commission exécutive:
Le citoyen FÉLIX PYAT, membre de cette Commission, rend compte des mesures d’urgence adoptées par la Commission exécutive, déclare qu’il est heureux de pouvoir annoncer que le différend, qui s’était élevé entre le Comité central et la Commune, se trouve aplani; qu’également le Comité d’artillerie, qui semblait être un pouvoir à côté de celui de la Commune, s’est mis purement et simplement à sa disposition et qu’en outre le citoyen Cluseret a été adjoint comme délégué au citoyen Eudes; qu’ainsi donc le pouvoir militaire de la Commune se trouve parfaitement institué.
Arrivant au combat de Neuilly, le citoyen PYAT raconte l’infâme guet-apens tendu aux gardes nationaux et termine son discours, fréquemment interrompu par les bravos unanimes, en proposant à la sanction de la Commune les décrets suivants:
Premier décret:
«Considérant que les hommes du gouvernement de Versailles, ont ordonné et commencé la guerre civile, attaqué Paris, tué et blessé des gardes nationaux, des soldats de la ligne, des femmes et des enfants;
«Considérant que ce crime a été commis avec préméditation et guet-apens contre tout droit et sans provocation;
« Décrète :
«Art. 1er. - MM. Thiers, Favre, Picard, Dufaure, Simon et Pothuau sont mis en accusation.
«Art. 2. - Leurs biens seront saisis et mis en séquestre, jusqu’à ce qu’ils aient comparu devant la justice du peuple.
«Les délégués de la Justice et de la Sûreté générale sont chargés de l’exécution du présent décret. »
Ce décret, acclamé par tous les membres de la Commune, est adopté à l’unanimité.
Sur la proposition du citoyen RÉGÈRE, la Commune décide que le récit du citoyen Pyat sera inséré à l’Officiel.
Lecture est également faite du second décret, présenté par le citoyen PYAT, au nom de la Commission exécutive. Toutefois, le citoyen Pyat réserve à la Commission le droit de juger de la question d’opportunité.
Projet de décret:
«Considérant que le premier des principes de la République Française est la liberté;
«Considérant que la liberté de conscience est la première des libertés;
«Considérant que le budget des cultes est contraire au principe, puisqu’il impose les citoyens contre leur propre foi;
«Considérant, en fait, que le clergé a été le complice des crimes de la monarchie contre la liberté;
«Décrète:
«Art. 1er. - L’Église est séparée de l’État;
«Art. 2. - Le budget des Cultes est supprimé;
«Art. 3. - Les biens dits de main-morte, appartenant aux congrégations religieuses, meubles et immeubles, sont déclarés propriétés nationales;
«Art. 4. - Une enquête sera faite immédiatement sur ces biens pour en constater la matière et les mettre à la disposition de la nation.»
Le citoyen RASTOUL appuie le décret. Il faut, dit-il, que la Commune s’affirme et qu’elle montre qu’elle est un gouvernement.
Les citoyens V. CLÉMENT et FERRÉ se déclarent partisans du décret, mais repoussent le sens que veut lui donner le citoyen Rastoul.
Le citoyen THEIZ demande que la Commune ne se prononce que sur les deux premiers articles.
Au nom de la Commission le citoyen PYAT repousse cette disjonction.
La clôture de la discussion, ayant été demandée, est adoptée à une grande majorité.
La Commune décide également que le vote aura lieu par article.
Sur les considérants, le PRÉSIDENT demande qu’il soit ajouté les mots «tous les clergés» et appuie son amendement en se fondant sur ce qu’en 1848 et en 1851 tous les clergés se trouvaient réunis contre les républicains.
Le citoyen VERMOREL supplie le citoyen Pyat de permettre que la rédaction du projet ne soit faite qu’à la séance du lendemain.
Les citoyens VARLIN, J. VALLÈS, RANC et PASCHAL GROUSSET demandent également que l’insertion du décret ne figure pas à l’Officiel, ou du moins n’y figure que le surlendemain.
Les citoyens FÉLIX PYAT et URBAIN repoussent le délai et demandent l’urgence.
La question d’ajournement ayant été posée, seize voix se prononcent pour et vingt-six contre.
L’urgence est donc déclarée.
Il est procédé au vote par article qui sont successivement adoptés à l’unanimité.
Le citoyen RANC renouvelle la demande que le décret ne paraisse pas demain à l’Officiel.
Les citoyens ART. ARNOULD, J. VALLÈS, GOUPIL et VERMOREL appuient la proposition; par contre les citoyens J. -B. CLÉMENT, BABICK, GÉRESME, RASTOUL, URBAIN et VARLIN se prononcent pour l’insertion immédiate.
La clôture est prononcée.
Après avoir été consultée, la Commune décide, par vingt-deux voix contre seize, que l’insertion du décret paraîtra à l’Officiel du lendemain.
Lecture est donnée d’une lettre dans laquelle le citoyen MURAT donne sa démission.
Le citoyen PYAT, frappé de voir chaque jour dans Paris-Journal un compte rendu exact des séances de la Commune, demande que l’on prenne des mesures pour empêcher celle publicité. La question est renvoyée au citoyen Rigault.
Le citoyen GROUSSET demande qu’on arrête immédiatement les personnes qui se trouvent dans les deux pièces latérales.
Le citoyen OSTYN demande que l’on donne des ordres pour faire cesser les dîners qui ont encore lieu journellement à l’Hôtel de Ville. Le citoyen LEFRANÇAIS répond que telle est l’intention de la Commission exécutive, qui, aussitôt que les circonstances le permettront, prendra des mesures.
Le citoyen DELESCLUZE propose la nomination d’un questeur, chargé de diriger souverainement les services et la police de l’Hôtel de Ville. Sa proposition est acceptée.
Le citoyen MEILLET, à l’unanimité, est nommé questeur. Il demande à choisir lui-même ses employés.
Les citoyens MARTELET et LEDROIT posent la question des insignes des membres de la Commune.
Le citoyen OSTYN demande qu’on ne fasse pas parade de ces insignes.
La question est renvoyée au questeur.
Le citoyen RATOUL propose que tout individu appartenant à la police, à la gendarmerie, à la garde municipale du gouvernement de Versailles, pris sous un déguisement, soit fusillé.
Le citoyen VALLÈS croit la menace imprudente, ou tout au moins inutile.
Le citoyen PROTOT propose que la Commune de Paris adopte les familles des citoyens qui ont succombé ou succomberont en repoussant l’agression criminelle des royalistes conjurés contre Paris et la République française.
La proposition est adoptée à l’unanimité.
Après quelques observations du citoyen J.-B. CLÉMENT sur les compagnies spéciales, de formation nouvelle, et qui, jusqu’à ce jour, ont échappé à tout service régulier, le citoyen GROUSSET propose que toutes les compagnies spéciales soient immédiatement versées dans les bataillons de la Garde nationale; elles procéderont aussitôt à la réélection de leurs officiers.
La proposition est acceptée.
Le citoyen GOUPIL demande que le citoyen Protot soit autorisé à nommer des juges de paix pour régler les questions qui s’élèvent entre les propriétaires et les locataires.
Ces questions pouvant être réglées autrement, la proposition n’est point prise en considération.
La séance est levée à minuit et demi.
Les membres de la Commune sont priés de laisser leur adresse à la questure.
Le 2 avril, à 11 heures du matin, après avoir canonné la caserne et la barricade de Courbevoie, deux brigades de Versailles et la brigade de cavalerie Gallifet tentent de tourner les fédérés qui se replient sur l'avenue de Neuilly. La Commission exécutive se réunit et fait afficher la proclamation publiée au Journal Officiel de la Commune du 3 avril:
« Les conspirateurs royalistes ont attaqué; malgré la modération de notre attitude ils ont attaqué.
«Ne pouvant plus compter sur l'armée française, ils ont attaqué avec les zouaves pontificaux et la police impériale.
«Non content de couper les correspondances avec la province et de faire de vains efforts pour nous réduire par la famine, ces furieux ont voulu imiter jusqu'au bout les Prussiens et bombarder la capitale.
«Ce matin, les chouans de Charette, les Vendéens de Cathelineau, les bretons de Trochu, flanqués des gendarmes de Valentin, ont couvert de mitraille et d'obus le village inoffensif de Neuilly, et engagé la guerre civile avec nos gardes nationaux.
«Il y a eu des morts et des blessés.
«Élus par la population de Paris, notre devoir est de défendre la grande cité contre ces coupables agresseurs. Avec votre aide, nous la défendrons.
«Paris, 2 avril 1811.»
«La Commission exécutive.»