(Suite de la séance du 19 mai 1871.)
LE PRÉSIDENT donne lecture de lettres adressées par les citoyens J.-B. Clément et Protot, déclarant, le premier, donner sa démission de membre de la Commission de Surveillance des munitions et le citoyen Protot s’excusant de ne pouvoir assister à la séance.
LE PRÉSIDENT. Le citoyen Vaillant a revendiqué les théâtres au commencement de la séance: il insiste pour que la discussion s’établisse sur cette question.
COURNET. Je trouve que les théâtres sont un moyen d’éducation populaire et je serais d’avis qu’il faudrait les faire passer à l’Enseignement.
LE PRÉSIDENT. Je vous avouerai que, quant à moi, je ne vois pas grande corrélation entre l’Enseignement et la chorégraphie. Je donne néanmoins lecture de la proposition Vaillant:
«Conformément aux principes établis par la première République et déterminés par la loi du 11 germinal an II:
«La Commune décrète:
«Les théâtres, en ce qui concerne les questions d’organisation, direction, administration, relèvent de la délégation à l’Enseignement. La délégation est chargée de faire cesser pour les théâtres le régime de l’exploitation par un directeur, ou une société, et d’y substituer, dans le plus bref délai, le régime de l’association.»
«ÉD. VAILLANT.»
PYAT. Je ne comprends pas plus ce que demande le citoyen Vaillant que ce que demande le citoyen Cournet. Je n’admets pas plus l’intervention de l’État dans les théâtres que dans la littérature. Dans un État enfantin, les théâtres ont besoin d’une protection, d’un Richelieu, d’un Mécène quelconque; mais dans un pays libre, qui proclame la liberté individuelle, la liberté de la pensée, mettre les théâtres sous la protection de l’État c’est antirépublicain. Vous avez le droit de surveiller l’usage que la pensée fait de ses facultés, mais lui tracer un sillon, c’est une tyrannie, non seulement insupportable, mais mortelle, pour la pensée. La gloire du théâtre français, c’est précisément d’être sorti du patronage. Quand Molière a institué son théâtre, il y en avait un qui était patenté, mais ce n’était pas celui de Molière. Il a installé son théâtre, précisément en face de celui qui était subventionné et patronné par l’État. Je ne m’oppose pas, quant à présent, à ce qu’il y ait une grande surveillance exercée sur les théâtres, mais je réserve le droit absolu de la pensée individuelle à s’exprimer sous la forme qu’elle voudra bien prendre.
VAILLANT. Je crois que le citoyen Pyat n’a pas compris le sens de ma demande. La première République n’entendait pas la liberté des théâtres telle que nous l’entendons aujourd’hui. Elle les dirigeait un peu dictatorialement. Elle leur enjoignait, par exemple, de jouer telle pièce trois fois par semaine. Remarquez-le bien: quand on se conforme à la justice, on agit toujours au nom de la liberté. Et quand l’État s’appelle la Commune, il doit intervenir souvent et intervenir au nom de la justice et de la liberté. Je crois qu’il y a là un grand intérêt et une action politique considérable à exercer. Il y a de plus un grand intérêt à ce que la police ne se mêle pas de questions sociales. Nous devons chercher à créer partout des établissements socialistes. Le caractère particulier de la Révolution du XIXe siècle porte que, où le produit existe, le producteur sera indemnisé totalement. Dans les arts, l’exploitation est plus terrible peut-être que dans les ateliers et tout le personnel des théâtres est exploité depuis le haut jusqu’en bas. La danseuse est obligée de se vendre pour vivre. En un mot, c’est un pillage du commencement jusqu’à la fin. Il faut appliquer aux théâtres un régime égalitaire, le régime de l’association. La police ne doit s’occuper que des garanties de la moralité et des mesures de sécurité. Je demande qu’on constitue une délégation d’ordre spécial pour les œuvres d’art, mais il est certain que la police n’a rien à voir dans cette délégation qui est, de droit, du ressort de l’Enseignement. L’administration générale des théâtres est chargée de transformer le régime propriétaire et privilégié actuel en un système d’association par l’exploitation entière des artistes.
COURNET. Les théâtres ne relevaient pas de la police, mais de la Sûreté générale; c’est là une première erreur que je constate. La seconde erreur, c’est de croire que la Sûreté générale a engagé la Commune en nommant un directeur à l’Opéra.
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FÉLIX PYAT. Je suis enchanté que le citoyen Vaillant ait reconnu que la question des théâtres était une question d’association. Il vaut mieux une association qu’une direction et surtout direction d’un seul homme. Je vous ferai remarquer que, la direction, vous ne pouvez pas l’empêcher pour des entreprises particulières. Vous n’avez pas le droit de dire que n’importe quel citoyen de Paris n’aura pas le droit d’ouvrir un théâtre. Je rentre maintenant sur votre terrain et je dis: pour les théâtres subventionnés par l’État, vous voulez établir l’association; ici, vous êtes dans ce droit: vous payez. Mais je me demande d’abord s’il est utile que l’État ait un théâtre; s’il est utile que les paysans du Berry payent pour qu’il y ait des danseuses d’opéra. Selon moi, c’est absurde. Nous sommes des communalistes, des fédéralistes; nous l’avons dit. Eh bien! alors, si la Commune de Paris fait la dépense d’un théâtre d’opéra, qu’elle n’y fasse pas participer les paysans de la Beauce, qu’elle n’exerce pas de tyrannie en forçant ces paysans à payer un impôt pour un théâtre sur un boulevard de Paris. Je proteste contre un théâtre d’opéra, payé par toute la France pour fonctionner à Paris. Plus tard, si vous reconnaissez l’utilité d’un opéra communal, ce qui n’est pas mon avis, faites-le payer par la Commune. Alors, mais seulement alors, vous aurez le droit d’imposer à vos acteurs le mode d’organisation qui vous plaira. Pour ce qui est d’un patronage, d’une influence quelconque sur l’art, je trouve que ce serait empiéter sur la liberté de la pensée humaine; et ce serait en même temps, de votre part, vous montrer illogiques. Il ne doit pas plus y avoir de littérature, de science d’État, qu’il ne doit y avoir de religion d’État. Les Académies de médecine, de musique, telles qu’elles existent, doivent disparaître totalement; elles représentent pour l’art, la science, les lettres, une tyrannie identique à la tyrannie religieuse. J’ai, à ce sujet, l’expérience de ce que j’ai vu en pays étranger, et je ne crains pas de dire que si la science française est en arrière, si son génie est inférieur à celui des autres nations, la cause doit en remonter surtout à vos patronages nuisibles. Qu’avons-nous produit de remarquable depuis que nous avons un Théâtre français et que la Comédie fait partie des attributions du cabinet d’un gentilhomme de la maison du roi? Elle n’a produit que des choses insignifiantes, des espèces d’avortement de l’art. L’Angleterre, qui a produit Newton, a-t-elle des académies subventionnées par l’État? Point du tout. Ses académies, toutes locales, indépendantes, mais fédérées, puisent leur supériorité dans leur liberté même. Je m’élève donc contre le système de patronage qui vous est proposé, intimement persuadé que, si notre littérature et nos sciences sont mortes depuis le XVIIIe siècle, malgré votre bonne volonté vous ne pourrez les relever que par la liberté la plus complète.
LANGEVIN. Je ne suis pas de l’avis du citoyen Pyat. Si le théâtre est un instrument d’enseignement, je demande que la Commune exerce un contrôle sérieux et sévère sur cette branche de l’enseignement. Selon moi, si la littérature a, peu progressé, ce n’est pas à l’excès de protection qu’il faut en attribuer la cause, mais bien plutôt à la tolérance que l’on a eue pour la mauvaise littérature. Je suis donc partisan d’un contrôle de la Commune sur les théâtres.
VÉSINIER. Je vais donner lecture d’une proposition:
«La Commune décrète:
«1° Toute subvention et monopole des théâtres sont supprimés;
«2° La liberté des théâtres est absolue;
«3° Les crimes ou délits, commis par la voie des théâtres, sont des délits et crimes de droit commun, qui doivent être réprimés et punis comme tels.
«VÉSINIER.»
Il n’y a pas plus de crimes, ou délits, de théâtre, de presse, de littérature, qu’il n’y a de crimes, ou de délits, de pensée. Il peut y avoir des crimes occasionnés par certaines pièces de théâtre; mais ce sont des crimes de droit commun, qui tombent sous l’application de la loi ordinaire. Ce que nous voulons, c’est la liberté, c’est le droit de faire ce qui ne peut porter préjudice à personne, mais non pas une liberté réglementée et régie par des lois spéciales. C’est pourquoi je fais la proposition dont je viens de vous donner lecture.
(À suivre.)
Musée d’Art et d’Histoire de Saint-Denis
Inuguration de la rénovation des salles consacrées à la Commune de Paris
Quel est le fou ?
Spectacle musical
Jeudi 11 mai – 18 heures – entrée libre et gratuite
22 bis, rue Gabriel Péri
93200 Saint-Denis
http://musee-saint-denis.com/
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