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(Suite de la séance du 8 mai 1871.)
AMOUROUX. Le citoyen Longuet vous a dit l’autre jour qu’il relisait toutes les copies. S’il y a quelques fautes de français, elles échappent aux secrétaires, à moi et à Longuet. Il y a des personnes qui parlent mal français, mais qui l’écrivent très bien. On ne peut pas non plus faire des chefs-d’œuvre de littérature avec tout ce qui se dit ici.
AVRIAL. On vous dit que les secrétaires sont surchargés de travail. Je demande qu’on veuille bien adjoindre un membre au citoyen Amouroux: le citoyen Arnould, par exemple.
AMOUROUX. Je l’avais déjà demandé. Mon collègue, le citoyen Arthur Arnould, ne peut m’aider; il est lui-même accablé de travail.
ARNOULD. Je ne peux accepter; je serais forcé de donner ma démission. Il est impossible que j’accepte un travail de nuit: avant trois jours, je serais au bout de mes forces.
LE PRÉSIDENT. Le citoyen Vésinier, étant proposé, est nommé secrétaire de la Commune.
Le procès-verbal est ensuite adopté.
ARNOULD. J’ai demandé la parole, parce que la question que j’ai soulevée trouve naturellement sa place ici. Il s’agit de la publicité des trois séances consacrées à la question du Comité de salut public; on avait prononcé le secret, au moment où le citoyen Rossel est entré, et l’on a déclaré qu’on ajournait la publicité. Il y a nécessité de décider cette publicité, surtout après le vote de confiance de l’assemblée, qui a maintenu les pouvoirs du Comité de salut public. Il faut que le public connaisse la discussion à laquelle nous nous sommes livrés. Vous vous rappelez tous, citoyens, l’émotion qui s’est produite, à la suite de l’affaire du Moulin-Saquet. Il est donc bon que le public sache que nous nous sommes occupés de cette question. On pourrait, à l’égard des paroles prononcées et des pièces lues par le citoyen Rossel, les supprimer, si l’on y voit un danger pour les intérêts de la défense. Mais, je le répète, il est d’intérêt absolu, au point de vue moral, que le public sache que nous nous sommes occupés très sérieusement de discuter les pouvoirs du Comité de salut public. Il est urgent également que ceux qui luttent aux avant-postes sachent que les incidents, qui se produisent dans cette guerre, ne nous laissent pas indifférents. Nous avons fait tous nos efforts pour arriver à connaître la vérité. Je le répète, à part les paroles du citoyen Rossel, il est nécessaire que les trois séances soient publiées.
ROSSEL parle dans le même sens.
ARNOULD. Si nous voulons conserver notre dignité, il est essentiel que le public connaisse bien ce qui se passe ici. Il y a des membres qui ont donné leur démission; ils en avaient le droit, je ne le leur conteste point; mais, à mon avis, ils ont eu tort et, quant à moi, je ne puis rester ici qu’à la condition qu’une grande publicité soit donnée à nos séances; nous devons être responsables personnellement de nos actes et de nos paroles; il faut que nos électeurs, qui sont nos juges et nos maîtres, les connaissent. Nous devons donc donner, je le répète, la plus grande publicité à nos séances et personne ne doit reculer devant cette publicité. Je n’y mets de réserve que pour les renseignements militaires, qui pourraient compromettre la défense de Paris.
VIARD. Ce n’est point dans le même ordre d’idées que j’ai à vous parler. J’avais chargé une commission de convoquer toutes les municipalités à l’effet qu’on déterminât le prix de la viande fraîche, de la viande salée, des légumes secs, etc. Rien encore n’a été fait. J’avais demandé en outre qu’on ouvrit des boucheries municipales qui vendraient à des prix bien inférieurs à ceux que l’on paie aujourd’hui. Je suis pourvu pour quinze jours au moins, et j’hésite à faire de nouveaux achats, voyant qu’on ne répond point à mon appel. Remarquez qu’il résulte de la situation que vous me condamnez à une perte énorme par suite du nombreux personnel que j’ai à entretenir.
UN MEMBRE. Je demande que l’incident du citoyen Arthur Arnould soit vidé!
LEDROIT. Quant à la publicité des séances, je ne suis pas le moins du monde de l’avis du citoyen Arnould; je m’oppose même de toutes mes forces à l’adoption de sa proposition. Pourquoi? À cause de tout ce qui se passe dans nos séances, à cause des injures, des insultes qu’on y entend. Certes, je suis très partisan, partisan très dévoué de la publicité; je la demanderai toujours; mais il faut, pour qu’elle ait lieu, qu’on reste dans une discussion modérée qui montre au public que nous savons accomplir notre mandat. Publier les dernières discussions, qui ont été vraiment déplorables, ce serait faire une chose attentatoire à la République, à la Commune. Si nous avons des membres d’une violence notoire, il ne faut pas que le public le sache. (Réclamations.) Que ceux qui demandent la publication de ces séances réfléchissent à la perturbation qu’elle jettera dans les esprits.
RÉGÈRE. Lorsque j’ai demandé la parole, je voulais faire la motion que voici, et qui n’est pas étrangère à la question que nous discutons. Un décret a décidé que l’Officiel serait vendu 5 centimes, et cependant il se vend encore 15 centimes. Je sais bien que le citoyen Longuet est occupé par sa mairie et qu’il n’a pas le temps de s’occuper d’autre chose; mais alors, que quelqu’un le remplace et que nos décrets ne restent pas à l’état de lettre morte! Ceci posé, je passe à la question qui nous occupe et qui me paraît être une question vitale: la publicité de nos séances. Cette publicité serait non seulement un scandale, mais encore une grave compromission pour la Commune et la Révolution. La mesure, qui a été suivie de la formation du Comité de salut public, est tombée comme la foudre sur les réactionnaires et a produit pour notre cause le plus salutaire effet. À peine établi, ce Comité a été immédiatement, parmi nous, critiqué, blâmé, accusé, dans son institution comme aussi dans ses personnalités. On pouvait sans doute attaquer les hommes; c’était une question de bonne foi, que chacun juge comme il l’entend, mais, aux yeux du public de Paris, de la France, de l’Europe, ces dissensions entre nous doivent être aussi cachées que possible; les divulguer serait, suivant moi, briser la force qui, seule, peut nous sauver. Je m’oppose donc à cette publication, et, si elle devait être votée, je demanderais le vote nominatif.
PARISEL. Je m’oppose aussi à cette publication, mais pas pour les mêmes raisons que le citoyen Régère. Je suis partisan de la publicité des séances; je ne crains pas que nous nous déconsidérions, ou, si cela arrivait, cela serait de la faute de ceux qui le voudraient bien. Mais il y a une question de convenance à ce que nous ne publions pas les choses d’une manière rétrospective. Lorsqu’il a été décidé que la séance serait secrète, il n’est pas loyal de décider plus tard qu’elle sera publiée.
ARNOULD. Je crois qu’on doit pouvoir tout publier. Pour moi, la règle est la publicité.
PARISEL. À la fin de la séance, on a dit qu’elle serait secrète.
LEFRANÇAIS. On a dit: «Comité secret» pour entendre Rossel seulement.
PARISEL. Oui, mais après avoir entendu Rossel, on n’a pas déclaré que le secret ne continuerait pas et plusieurs d’entre nous ont pu croire qu’ils parlaient en séance secrète; or, en Comité secret, on dit des paroles qu’on ne prononcerait pas si l’on savait qu’elles doivent être publiées. Voilà pourquoi je m’oppose à la publicité de nos dernières séances.
CHALAIN. Les raisons que l’on vient d’alléguer en faveur de la non-publicité des séances, sont précisément celles que j’invoque pour la publicité. Si nos séances étaient publiques, nous ne verrions plus d’emportements ni de discussions aussi fâcheuses que celles que nous voyons tous les jours… (Interruptions.) Soyez tranquilles! je prends aussi ma part de l’observation que je viens de faire. J’accorde qu’il est parfois nécessaire de se constituer en Comité secret. Mais je désirerais que les commissions se réunissent trois fois par semaine en Comité secret pour discuter les affaires qui ne doivent pas être livrées à la publicité et que, les autres jours, les séances fussent publiques. Ici, nous ne pouvons pas admettre le public à nos séances; la place nous manque. On a nommé une commission de deux membres pour trouver une autre salle. Nous attendons le rapport qui doit nous être fait sur cette question. Cependant, citoyens, je ne voudrais pas que l’on abandonnât complètement l’Hôtel de Ville. Notre place est ici. Il me paraîtrait donc bon que les séances secrètes se tinssent ici à l’Hôtel de Ville et que les séances publiques eussent lieu dans la nouvelle salle que l’on choisira. Je le répète: je pense, quand le public sera admis à nos séances, regretter.
VERMOREL. Il faut ramener la discussion à ses simples proportions. Il s’agit de savoir si l’on publiera les trois séances relatives aux interpellations adressées au Comité de salut public. Cette publicité me paraît indispensable pour donner à chacun la responsabilité de ses actes. Qui pourrait la redouter? Ce n’est pas le Comité de salut public, puisque la discussion s’est terminée par un vote qui lui a été favorable. Mais, si toutes les discussions sérieuses étaient étouffées par le Comité secret, la publicité deviendrait complètement illusoire, et nous serions obligés d’en appeler à nos électeurs, si surtout on avait l’air, comme on le fait, de nous dénoncer auprès d’eux comme suspects de défaillance.
Les électeurs sont nos juges et les vôtres. Le moyen le plus logique et le plus honnête de les mettre en état de nous juger, c’est la publicité; et, du moment que nous la demandons, il ne me semble pas que vous ayez ni droit, ni intérêt, à nous la refuser. Je demande donc qu’on vote sur la publicité des trois séances relatives au Comité de salut public.
(À suivre.)