(Suite de la séance du 21 mai 1871.)
– Il a été donné lecture des onze chefs d’accusation contre Cluseret.–
MIOT. Citoyens, peut-être aurions-nous dû conclure; mais nous ne nous étions pas réunis; je n’ai donc aucune conclusion à vous présenter.
LANGEVIN. Je demanderai aux deux autres membres s’ils n’ont pas de conclusion personnelle à faire connaître.
VERMOREL. Citoyens, après la lecture qui vous a été faite, je dois dire que, pour mon compte, je considère que nous ne devons pas garder Cluseret prisonnier.
J. VALLÈS. Si la majorité de la commission avait entendu donner des conclusions, mon avis aurait été que l’on devait mettre le citoyen Cluseret en liberté.
VIARD. Je serai placé sur un terrain bien facile pour m’expliquer. Mes sympathies sont tout acquises au citoyen Cluseret; mais, au nom de la Commune, je demande que l’on ne s’en tienne pas à ce prétendu rapport qui vient de nous être lu.
VALLÈS. Nous avons laissé au citoyen Miot l’honneur de faire le rapport, seulement nous avons cru bon d’en référer à l’assemblée pour qu’elle se prononçât.
MIOT. J’affirme que je n’ai pas été appelé.
OUDET. Il me semble qu’on a eu tout le temps nécessaire pour faire une enquête sérieuse. Les griefs ne sont pas sérieux. Quant au manque de munitions, il faut se rappeler que tout était désorganisé quand le citoyen Cluseret est arrivé à la Guerre; à cette époque, il n’était pas sûr des officiers qui l’entouraient et surtout de son officier d’état-major. J’avais la certitude que Cluseret était trahi par celui-ci. Les ordres qu’il donnait n’étaient pas exécutés. D’après la lecture du rapport, mon opinion personnelle est qu’on doit renvoyer Cluseret. En terminant, je ferai une seule observation: si plusieurs d’entre nous, qui n’avons pas d’instruction militaire, avaient été délégués à la Guerre; ils auraient exigé d’heure en heure un rapport circonstancié et sur les hommes et sur les choses. Pour moi, il n’y a dans toute cette affaire qu’un manque de vigilance.
LEFRANÇAIS. Je demande qu’on procède régulièrement; c’est déjà bien assez d’avoir subi la lecture d’un rapport incohérent. Je demande que le citoyen Cluseret soit entendu d’abord et puis nous aviserons.
RASTOUL. Je me rallie à la proposition Lefrançais; je trouve le rapport complètement négatif. Si le rapporteur ne conclut pas, c’est qu’il n’y a pas de conclusions à donner. Je demande que l’assemblée relâche le citoyen Cluseret, sans l’entendre.
PLUSIEURS VOIX. Non! non!
PYAT. Le rapport du citoyen Miot n’est basé sur aucune accusation sérieuse. La faute en est à la Commission exécutive qui a fait arrêter le général Cluseret et qui n’a laissé aucun corps de délit; son devoir était de laisser un rapport dans les mains de la Commission d’enquête; de même que la Commission d’enquête avait le devoir d’interroger la Commission exécutive. Rien de cela n’a été fait. La Commission exécutive n’a pas déposé de rapports et la Commission d’enquête n’a pas interrogé la Commission exécutive. Il faut, avant d’entendre le citoyen Cluseret que l’accusation contre lui soit formulée et que, au préalable, on entende la Commission exécutive.
LEFRANÇAIS. Je me rallie à la proposition du citoyen Félix Pyat.
JOURDE. Je prends la parole comme membre de l’ancienne Commission exécutive. Le rapport dit que le citoyen Cluseret a été arrêté à cause de la prise du fort d’Issy. Cela n’est pas; c’est la veille au soir qu’il a été convenu que le général serait arrêté et cette arrestation était basée sur des faits qui, pour nous, la rendaient nécessaire. L’on nous a reproché de n’avoir pas fait d’enquête. Je ferai remarquer qu’une heure après l’arrestation, le Comité de salut public a été institué et que le lendemain, chez Rossel, une Commission d’enquête a été formée pour faire un rapport; et la Commission exécutive, en se retirant, a dû croire que l’enquête se faisait et que le Comité de salut public s’en occupait. Pourquoi le citoyen Miot ne vous a-t-il pas appelés pour lui donner des explications? Pourquoi ne nous donne-t-il point de conclusions dans son rapport? Sur ces conclusions et après avoir entendu le citoyen Cluseret, la Commune pourrait se prononcer en pleine connaissance de cause. Pour moi, c’est le seul mode de procéder qui puisse être employé. Les membres de l’ancienne Commission exécutive n’ont pas à être entendus ici. Ils étaient à la disposition du citoyen Miot; que ne les a-t-il appelés?
MIOT. Vous avez voulu presser le débat; je vous ai déclaré qu’en présence des incidents qui se sont produits au sein de la Commune, il ne m’a pas été possible de réunir mes collègues.
VERMOREL. Comme membre de la Commission d’enquête, je dois dire que, dès le début, n’ayant point trouvé d’accusation précise contre le citoyen Cluseret, j’ai demandé qu’il fût amené ici, afin que la lumière se fît. Des accusations ont été formulées et, je dois le dire, ne m’ont rien laissé dans l’esprit; j’ai demandé alors qu’on terminât cette affaire le plus promptement possible; je regrette la manière de procéder qu’on a cru devoir employer.
VAILLANT. La Commission d’enquête devait s’occuper elle-même de nous interroger et je crois que l’interpellation, qui vient de vous être faite tout à l’heure à notre sujet, n’est autre chose qu’un retour d’aigreur contre la deuxième Commission exécutive. D’ailleurs, vous devez vous rappeler que vous avez été informés par nous, avec assez de détails, des motifs qui nous faisaient agir; aucune protestation ne s’est élevée.
PYAT. Pardon, j’ai dit que vous n’aviez pas un seul chef sérieux d’accusation qui pût vous autoriser à faire arrêter Cluseret et à le remplacer par Rossel.
VAILLANT. C’était une affirmation et non une protestation; en tous les cas, notre opinion fut confirmée par les paroles de Delescluze et, dès lors, la Commune fut presque unanime à, trouver que nous avions raison. Quant au premier Comité de salut public, qui nous a remplacés quelques heures après l’arrestation de Cluseret, il savait aussi bien que nous ce qui avait été prononcé dans cette séance, et je ne comprends pas les accusations qui viennent d’être dirigées contre nous.
RÉGÈRE. Je commence par déclarer que je trouve très étonnant que le membre de la Commune, dont les affirmations ont le plus contribué à l’arrestation de Cluseret, soit absent aujourd’hui et j’ajoute qu’en présence de l’inanité du rapport qui vous a été présenté, nous ne pouvons accepter la motion Lefrançais, qui prolongerait encore l’incarcération d’un de nos collègues.
VOIX NOMBREUSES. Mais c’est voté!
LEFRANÇAIS. Je ferai remarquer que ma proposition n’implique nullement un retard quelconque dans la discussion sur Cluseret.
FRÄNKEL. Quand on discute une affaire de cette importance, on ne devrait jamais passionner le débat. Quant à l’interpellation du citoyen Félix Pyat, je dois vous dire que j’ignore quels sentiments personnels il peut y avoir contre la Commission exécutive. Ce qui est évident, c’est qu’ils n’ont rien de commun avec le mécontentement inspiré par la lecture du rapport fait par le citoyen Miot; si on a blâmé la Commission exécutive, c’est une affaire à part et qui n’empêchera pas de dire que le rapport n’est pas fait comme il devrait l’être. Un rapport doit partir de faits établis, exposer leurs combinaisons et finir par une conclusion. Je répondrai maintenant comme membre de l’ancienne Commission exécutive à l’interpellation du citoyen Pyat. Le citoyen Cluseret a été arrêté après l’évacuation du fort d’Issy. En apprenant la dépêche concernant cette évacuation le citoyen Miot lui-même qualifia ici cet acte comme acte de trahison. Toute la Commune nous a approuvés et s’est par là même associée à notre action. Pour ma part, je ne crois pas à la trahison de Cluseret; mais, en temps de révolution, quand un général, soit par négligence, soit par incapacité, compromet les intérêts qui lui sont confiés, on doit toujours l’arrêter. Vous avez fait ainsi avec le citoyen Bergeret; la Commission exécutive a dû faire de même avec le citoyen Cluseret. Si celui-ci est innocent, qu’on le mette en liberté, mais qu’on ne lui confie, dans aucun cas, un commandement quelconque.
ANDRIEU. Dès que j’ai su qu’il y avait une commission d’enquête, j’ai fait une déposition et j’espérais être entendu contradictoirement avec le général Cluseret; car, si j’avais su ne pas l’être, je n’aurais pas fait cette déposition. Je parle comme membre de la deuxième Commission exécutive. J’ai entendu empêcher le citoyen Cluseret de continuer à être général en chef et ministre de la Guerre; et le moyen c’était l’arrestation. Mais je ne m’érige pas en juge; si j’avais pu causer avec le général Cluseret, il y a quelques points qui se seraient éclaircis. Cluseret nous a dit que, quand il avait été en relations officieuses avec les Prussiens, c’était sur un ordre de la première commission, signé, je crois, Beslay.
CLUSERET prononce une phrase que nous n’entendons pas.
ANDRIEU. Je n’ai entendu arrêter Cluseret que dans ses opérations de ministre de la Guerre.
GROUSSET, membre de la deuxième Commission exécutive. Comme mes collègues, je trouve que nous aurions dû être entendus par la Commission d’enquête contradictoirement avec le citoyen Cluseret; mais il n’y a pas de mal, puisqu’ils sont là; l’enquête se fera au grand jour devant la Commune, au lieu de se faire à huis clos. Voici les motifs qui m’ont amené à voter l’arrestation du citoyen Cluseret. Je trouve que, dans des circonstances comme celles que nous traversons, la responsabilité d’un chef militaire le place un peu hors la loi. Il lui faut, à la fois, des pouvoirs très étendus et le sentiment d’une soumission absolue à ceux qui lui ont confié ces pouvoirs. Il faut qu’il soit au sommet hiérarchique; mais qu’il ne s’étonne pas de se voir renversé, peut-être brutalement, à la première faute ou au premier échec. En tout cas, il se trouve placé dans une situation exceptionnelle qui légitime contre lui toutes les défiances, toutes les surveillances, toutes les mesures préventives. En révolution, on ne révoque pas un ministre de la Guerre qui a perdu la confiance de ses mandants: on l’arrête; autrefois, on le fusillait. Quant aux motifs qui m’ont fait voter la révocation, les voici: au moment où Cluseret a été délégué à la Guerre, vous vous le rappelez sans doute, il vint au milieu de nous nous exposer son plan d’organisation et, à cette occasion, il s’engagea à mettre sur pied, en vingt-cinq ou trente jours, une armée d’opérations de quarante mille hommes pour prendre l’offensive. Or, vingt-cinq jours plus tard, la Commission exécutive était obligée de constater que rien n’avait été fait et que la situation militaire était plus mauvaise qu’au moment de l’entrée de Cluseret au ministère. L’armée d’opérations n’était pas réunie, l’armement, ni l’équipement n’avaient progressé; on n’avait fabriqué ni canons, ni fusils; des canons s’étaient usés sans être remplacés; nous avions un moins grand nombre d’hommes sous les armes. Cette situation nous avait fixés sur les capacités militaires du citoyen Cluseret. Le mot de trahison n’était pas prononcé. Mais le général Cluseret avait promis d’organiser la Garde nationale et de prendre l’offensive. Cette Garde nationale était toujours désorganisée et le même ministre de la Guerre, qui promettait, un mois plus tôt, de prendre l’offensive, nous déclarait qu’à son sens il fallait s’en tenir à la défensive. En présence de ces faits, nous avons dû nous demander comment on pourrait enlever la Guerre au général Cluseret et, ensuite, comment nous pourrions le remplacer. La Commission a obéi à ce sentiment démocratique et républicain qui veut qu’un homme, ayant eu dans la main un si grand pouvoir, ne soit pas laissé en liberté. Quand un homme a montré son incapacité dans une mission aussi importante que celle de la Guerre, il peut bien payer cet honneur immérité par quelques jours de détention. La décision était donc prise, quand une dépêche arrive à la Commission exécutive, qui ne pouvait que la confirmer dans sa décision: c’est la dépêche relative aux tranchées d’Issy. Si vous voulez, je vais vous en donner lecture.
(À suivre.)
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