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Billet de blog 11 mai 2017

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Commune de Paris. Séance du 19 mai 1871 (VI).

Paul Rastoul. «Ce décret me paraît vouloir établir l’infaillibilité de la Commune, puisqu’il a la prétention de ne laisser parler que les journaux qui lui plaisent. Une fois dans cette voie, on ne peut plus en sortir.»

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

(Suite de la séance du 19 mai.)

VAILLANT, délégué à l’Enseignement. Citoyens, nous devrions faire plutôt de la politique que de la métaphysique. Sans vouloir toucher à la liberté, nous avons à faire une besogne de réorganisation, qui doit porter sur tous les points. Les théâtres ne sont pas seulement des gosiers, ce sont des estomacs. Il y a là des gens qui gagnent énormément et d’autres qui ne gagnent pas assez. Il y a donc certaines conditions d’ordre moral et matériel que la Commune doit réglementer. Évidemment, nous ne voulons pas avoir d’art d’État. La seule chose à faire, en ce moment, c’est d’assurer la sécurité et la moralité publiques. Il faut faire cesser toutes les exploitations. À qui cette besogne doit-elle revenir? à la délégation qu’elle concerne spécialement, jusqu’à ce que vous ayez créé une délégation générale qui liquidera l’ancienne société. Ma proposition est donc une mesure d’ordre.

VÉSINIER. Je retire ma proposition et je demande qu’elle ne soit pas à l’Officiel. Ce n’est pas quand on nous tire dessus que nous devons parler de théâtre ici.

PYAT. Pendant la période de combat, je comprends qu’on ait, de même qu’en l’an Il, un droit absolu sur toute manifestation de pensée, quelle que soit sa forme, journal, théâtre, pinceau. Vous vous en servez pour exciter à la guerre civile, vous devez être supprimé. Mais je maintiens pour l’avenir tout ce que j’ai dit. 

(Aux voix!)

Nouvelle lecture.

VÉSINIER. Je demande à proposer un amendement au projet de décret du citoyen Vaillant; je propose ceci: «Les monopoles et les subventions théâtrales sont abolis.»

PYAT. Mais votre proposition va empêcher un directeur d’ouvrir un théâtre, s’il en a l’intention, parce qu’il croira qu’on ne peut ouvrir de théâtres autrement que par association.

FRÄNKEL. Je suis de l’avis du citoyen Vaillant et du citoyen Félix Pyat. Je m’explique: je trouve, en effet, qu’il est très défavorable à la cause socialiste que nous défendons, que les théâtres dépendent d’une délégation quelconque. La direction doit dépendre de ceux qui forment l’association; c’est aux membres de cette association à nommer leur directeur. Maintenant, je ne suis pas d’accord avec le citoyen Félix Pyat, quand il dit qu’il ne faut jamais que l’État favorise une association, intervienne dans les théâtres. Un pouvoir, qui renferme les esprits dans des serres chaudes, comme celui de Napoléon III, doit évidemment n’intervenir en rien dans les affaires du peuple, auxquelles, il est étranger. Mais, quand l’État peut être considéré comme l’ensemble des individualités, son devoir est d’entrer dans les questions de littérature comme dans les questions d’enseignement. On nous a dit qu’il fallait que la pensée fût libre, que l’esprit ne devait être protégé par personne. Je citerai deux hommes en France: Diderot, soutenu par la Russie, et Voltaire, soutenu par Frédéric de Prusse. Pour me résumer, je crois que les théâtres doivent être placés sous la surveillance de la délégation de l’Enseignement, qui donnera aux associations toutes les facilités possibles.

LE PRÉSIDENT. Le citoyen Vaillant abandonne une partie de son projet. Il maintient cependant l’organisation, qu’il pourrait, je crois, abandonner également. Dans ces conditions, je crois qu’on peut voter le décret.

VÉSINIER. Je rappelle que j’ai proposé un amendement.

FRÄNKEL. Le citoyen Vésinier entend-il par le mot subvention, contenu dans son amendement, un crédit ouvert pour favoriser une association?

VÉSINIER. Oui. Les associations peuvent être favorisées. Mais toute association est libre de s’organiser, sans que pour cela il y ait à accorder une subvention ou monopole quelconque. 

Le décret du citoyen Vaillant, amendé, est mis aux voix et adopté.


Voici une proposition du citoyen Mortier, demandant qu’on réunisse, dans un même volume, tous les décrets de la Commune:
«Considérant qu’il est de toute utilité que les actes de la Commune, décrets, arrêtés, circulaires, soient réunis dans un recueil spécial;
«La Commune de Paris décrète:
«Art. 1er. Tous les actes officiels de la Commune de Paris seront insérés dans un journal ayant pour titre: Bulletin des lois, qui paraîtra hebdomadairement.
«Art. 2 Le délégué à la Justice est chargé de l’exécution du présent arrêté.»

La proposition Mortier est mise aux voix et adoptée.

Illustration 1
Commune de Paris, Jean Rastoul © Eloi Valat.

RASTOUL. Je regrette que nous ayons ainsi perdu deux heures à discuter sur les théâtres. J’appellerai l’attention de la Commune sur un décret du Comité de salut public, supprimant un certain nombre de journaux; et je voudrais vous faire voir que ce décret est gros de conséquences regrettables. J’appellerai surtout votre attention sur l’article:
«Aucun nouveau journal, ou écrit périodique; ne pourra paraître avant la fin de la guerre.»
Je comprendrais, à la rigueur, qu’on eût supprimé tous les journaux, pour ne laisser paraître que l’Officiel. Ce serait clair et catégorique. Mais on laisse subsister, d’une façon injuste, des journaux qui vont faire le silence sur les fautes que nous pouvons commettre. Remarquez bien que ce sont des journaux plus ou moins réactionnaires, mais aussi plus ou moins républicains, que vous interdisez. Maintenant, je vous ferai remarquer l’article que voici : «Les attaques contre la République et la Commune seront déférées à la Cour martiale.» Voilà un article gros de conséquences; Thiers, à Versailles, peut en dire autant. Je voudrais savoir ce que le Comité de salut public entend par ces mots: la Commune. Est-ce l’idée communale? sont-ce les principes que nous représentons? alors je suis avec lui. Sont-ce nos actes politiques qu’on veut rendre indiscutables? c’est une question excessivement grave, si nos actes politiques ne doivent pas être discutés. Ce décret me paraît vouloir établir l’infaillibilité de la Commune, puisqu’il a la prétention de ne laisser parler que les journaux qui lui plaisent. Une fois dans cette voie, on ne peut plus en sortir. Nous verrons d’autres hécatombes de journaux. Nous verrons probablement la suppression de beaucoup d’autres journaux, même du Vengeur, et celle des réunions publiques. Car, si les journalistes ne peuvent écrire, ils iront parler dans les clubs. Je crois ce décret dangereux, incomplet et malhonnête. 

(Tumulte violent.)

LE PRÉSIDENT. Je ne puis vous laisser parler ainsi et vous prie de retirer le mot…

(Nouveau bruit qui nous empêche de comprendre. Bruit prolongé.)

RASTOUL. La mesure n’est pas légale et, pour moi, l’illégalité c’est de l’injustice. Je conclus, en déclarant que je n’aurais pas laissé passer ce décret sans protester. Je l’aurais compris, s’appliquant à tous les journaux, sauf l’Officiel, mais je ne le comprends pas tel qu’il a été fait. Les inconvénients d’une pareille manière d’agir sont nombreux et vous ne remédiez pas à ceux auxquels vous prétendez parer. Les journalistes, au lieu d’écrire, vont dans les clubs dire ce qu’ils auraient publié dans leur journal et cela revient au même.

UN MEMBRE. Les journalistes trouveront au moins dans les clubs des contradicteurs et, s’ils y vont une fois, ils ne seront pas tentés d’y revenir.

(À suivre.)


Du 1er avril au 19 mai, liste des journaux supprimés par la Commune: L’Électeur libre, Le Constitutionnel, Le Pays, Le Journal des Débats, Paris-Journal, La Liberté, La Cloche, Le Soir, L’Opinion nationale, Le Bien public, La Paix, L’Écho du soir, La Nation souveraine, Le Petit Moniteur, La Petite Presse, Le Petit Journal, Le Petit National, Le Bon Sens, La France, Le Temps, Le Moniteur Universel, L'Observateur, L'Univers, Le Spectateur, L’Étoile, L’Anonyme, Le Siècle, La Discussion, Le National, Le Corsaire, le Journal de Paris, La Commune, L’Écho de Paris, L’Indépendance française, L’Avenir national, la Patrie, Le Pirate, Le Républicain, La Justice, La Revue des Deux-Mondes, L’Écho de Ultramar.

Plusieurs journaux continueront à paraître sous un autre titre.

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