(Suite de la séance du 19 mai 1871.)
RASTOUL. Je vois que nous incriminons encore les imprimeurs, ce qui me paraît une mesure tyrannique, impériale. Nous ne devrions pas oublier que les imprimeurs ne sont que des instruments irresponsables. J’ai encore une communication à vous faire. En venant ici, j’ai lu une affiche blanche, dont je ne me rappelle pas au juste la teneur, mais qui émanait du Comité central, et dans laquelle il est dit que, par suite «d’un pacte» fait avec certains membres de la Commune, telle ou telle mesure a été prise. Si je rapproche ce fait de ceux qui ont motivé la démission du citoyen Sicard, j’y vois que nous continuons à nous laisser envahir par le Comité central. À la Guerre, il est chargé de fonctions tellement nombreuses, que, ce matin, en lisant leur énumération dans l’Officiel, je me suis demandé ce qui restait à faire au citoyen Delescluze. Le Comité central prétend être notre créateur et avoir fait la révolution du 18 mars. C’est une prétention qui n’est pas justifiée; il a été l’instrument et non la cause de ce mouvement.
URBAIN. Il y a certainement de bonnes raisons dans ce que vient de dire le citoyen Rastoul; mais je n’admets pas que l’on dise que, si la Commune existe, elle ne doit son existence qu’au Comité central. C’est une prétention contre laquelle proteste. Je suis heureux d’avoir pu contribuer à assurer un accord entre la Commune et le Comité central et j’ai pu en juger, ce matin même, encore. Un fournisseur s’étant présenté aujourd’hui, pour traiter d’une livraison d’armes avec le Comité central, et me trouvant présent, les membres de ce Comité m’ont laissé le soin, comme membre de la Commune, de traiter le marché, reconnaissant par là notre souveraineté. Il y a donc, je le répète, une entente parfaite entre la Commune et le Comité central. Quant à la liberté de la presse, j’en suis très partisan. Mais nous nous trouvons dans des circonstances exceptionnelles, dont il faut tenir compte. Il faudrait surtout éviter qu’un journal supprimé reparût immédiatement sous un autre titre. Cela rendrait le décret de suppression inutile. Il arrive souvent que les journaux attaquent à la fois les personnalités et les principes. Nous sommes dans une situation exceptionnelle; nous devons prendre des mesures sévères, radicales, contre des gens qui ne sont autres que des espions de Versailles. Le décret n’aurait dû laisser subsister absolument que les journaux qui font vibrer la fibre patriotique.
(Très bien!)
DESCAMPS. Je profite de la présence de la Commission de la Guerre pour lui poser une question: ne pourrait-elle, par des patrouilles, arrêter la formation de ces groupes nombreux qu’on voit sur les boulevards et qui desservent la Commune?
CHAMPY. Nous pourrions faire faire des patrouilles chacun dans nos municipalités. Je demande l’urgence pour la lecture du document que j’ai remis au nom du XXe arrondissement.
LEDROIT. La Commune ne veut pas supprimer la liberté de la presse, mais il faut empêcher qu’on insulte ses membres qui sont des gens honorables, qu’une presse ordurière n’a pas le droit d’insulter tous les jours.
LE PRÉSIDENT. Voici un projet de décret du citoyen Vaillant:
«Considérant que sous le régime communal, à chaque fonction doit être allouée une indemnité suffisante pour assurer l’existence et la dignité de celui qui la remplit,
«La Commune décrète:
«Tout cumul est interdit;
«Tout fonctionnaire de la Commune, appelé en dehors de ses occupations normales à rendre un service d’ordre différent, n’a droit à aucune indemnité nouvelle.
«VAILLANT.»
VÉSINIER. Les membres de la Commune ne sont pas fonctionnaires publics. Un membre de la Commune touche-t-il 6.000 francs comme délégué, en dehors de ses appointements de membre de la Commune?
LEDROIT. Non, il ne peut cumuler.
VÉSINIER. Je vous ferai observer que mon prédécesseur a touché des appointements comme délégué à l’Officiel.
VAILLANT. Sans doute; mais alors il n’était pas membre de la Commune.
LE PRÉSIDENT. Je vais mettre aux voix la proposition du citoyen Vaillant relative au cumul.
LEDROIT. C’est inutile, ce serait nous répéter, puisqu’il y a déjà un décret qui fixe à 6.000 francs le maximum de traitement et interdit le cumul.
VAILLANT. Ma proposition complète le décret que vous avez pris précédemment.
LE PRÉSIDENT. Dans ce cas, nous n’avons qu’à nous conformer à ce que nous avons dit précédemment.
On dépose sur le bureau la proposition suivante:
«La Commune décrète:
«Art. 1er. Une Commission supérieure de Comptabilité est instituée.
«Art. 2. Elle se composera de quatre comptables nommés par la Commune.
«Art. 3. Elle sera chargée de la vérification des comptes des différentes administrations communales.
«Art. 4. Elle devra fournir à la Commune un rapport mensuel de ses travaux.
«19 mai 1871.
«J. MIOT, D.-TH. RÉGÈRE, EUGÈNE POTTIER.»
C’est une Cour des comptes que l’on vous propose et je crois qu’elle serait d’une grande utilité, surtout en présence des abus qui nous ont été signalés pendant la séance.
LEDROIT. Je suis d’avis qu’il soit spécifié dans le premier article que le comptable pourra être choisi en dehors de la Commune.
MIOT. C’est la Commune qui choisit le comptable; elle le prendra où elle voudra.
La proposition, mise aux voix, est adoptée.
Lecture est donnée par le citoyen CHAMPY d’une motion envoyée par le Comité du XXe arrondissement et invitant la Commune à déclarer l’assemblée de Versailles dissoute et la mise hors la loi de ses membres.
Le citoyen GAMBON, au nom du Comité de salut public, ayant prévenu l’assemblée que le Comité s’occupait de la rédaction d’un arrêté concernant l’assemblée de Versailles, la Commune ajourne la discussion de cette motion.
VÉSINIER. Avant la levée de la séance, je désire que vous me disiez ce que vous voulez faire insérer dans l’Officiel. Je crois qu’il y aurait inconvénient à publier certaines parties de notre séance d’aujourd’hui. L’Officiel va en province; on en extrait ce qui peut nous être désavantageux, en négligeant les réponses faites, et il y a là un véritable danger.
RASTOUL. Dans toute assemblée, il y a des critiques à côté d’approbations; et, si nous supprimions les premières, on finirait par se rire de nous. Je demande la publication la plus complète.
LEDROIT. Le citoyen Rastoul comprendra que, dans notre intérêt, nous ne devons pas tout publier. Croit-il, par exemple, que l’insertion dans l’Officiel de demain de tout ce qu’il nous a dit à la séance d’aujourd’hui ne serait pas un danger?
RASTOUL. J’accepte la responsabilité de tout ce que j’ai dit et je veux que tous mes électeurs en soient juges. Si on persiste à supprimer mes paroles dans 1’Officiel, je me verrai dans la nécessité de me servir des autres journaux pour les faire connaître.
LE PRÉSIDENT. Je demande que nous restions dans la situation ou nous étions avant cette séance, c’est-à-dire que le membre de la Commune, délégué au Journal Officiel, demeure juge de ce qu’il doit· supprimer dans le compte rendu de nos séances.
MIOT. Le citoyen Rastoul pourra réclamer le lendemain contre la suppression faite et l’assemblée décider.
Il est décidé qu’il y aura séance dimanche à 2 heures précises et appel nominal.
La Commune déclare, en outre, qu’elle entendra le citoyen Cluseret détenu préventivement.
La séance est levée à 7 h. 1/2.
Les secrétaires de la séance,
AMOUROUX, VÉSINIER.
(À suivre, dernier épisode, le compte rendu de la séance du dimanche 21 mai 1871, jour de l’entrée des Versaillais dans Paris.)

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