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Billet de blog 12 juillet 2016

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Commune de Paris. Séance du 8 mai 1871 (IX).

LONGUET. «…mais, pour moi, il est très mauvais de faire mirer, devant les yeux du public, des choses inexécutables…»

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Illustration 1
Commune de Paris, Charles Longuet. © Eloi Valat.

(Suite de la séance du 8 mai 1871.)
PARISEL. On m’objecte le projet sur les monts-de-piété: eh bien! je dis qu’il est très heureux que cette proposition ait été faite; sans cela, il est très probable qu’elle aurait été repoussée bien loin. Moi qui suis à l’Assistance publique, dans ma mairie, je vois tous les jours des pauvres qui seront très heureux de pouvoir retirer leurs nippes. On soulève la question des octrois, c’est, je crois, une excellente chose. Où serait le mal, si l’on déclarait qu’il faut supprimer les octrois, si, à côté du décret, il y a les moyens d’exécution? Si le projet n’a pas les moyens d’exécution, il tombera de lui-même. Pour moi, je ne vois aucune objection qui puisse être soulevée, non seulement par la Commune, mais aussi par tout le public, au-dessus de la Commune.
LEDROIT. Je ne suis pas ennemi de la publicité, ni du droit d’initiative; mais je crois qu’il faudrait y apporter une certaine restriction. Il faudrait au moins que l’assemblée déclarât qu’elle prend le projet en considération. Cette sanction serait seule un correctif à tout décret qui serait peut-être dangereux ou inexécutable.
LONGUET. Le citoyen Miot vous disait qu’il ne voulait pas qu’on enlevât aux membres de cette assemblée l’initiative de présenter des projets de décrets. Dans cette proposition, il est bien entendu qu’il ne s’agit pas d’enlever l’initiative aux membres de cette assemblée; au contraire, un membre, qui aura un projet de décret, ira devant la commission compétente, qui lui donnera de bonnes raisons et qui, quelquefois même, l’empêchera de présenter un projet impraticable. Faut-il donner la publicité à tout projet déposé dans cette assemblée? Pour ma part, je ne le crois pas. Il y a tel projet qui, si l’assemblée était appelée à traiter immédiatement, pourrait être repoussé par la question préalable comme injurieux, par exemple; je prends cette supposition; eh bien! il est évident que l’assemblée a le droit de repousser ce projet.
PARISEL. Non! Non!
LONGUET. Il est évident que nous ne repoussons pas la publicité d’une manière absolue. L’auteur pourra toujours insister, pour vouloir que son projet revienne en discussion. Le citoyen Urbain s’est servi d’un argument… (Bruit) pour la publicité à l’Officiel.
PLUSIEURS MEMBRES. Mais c’est voté!
LONGUET. Je ne crois pas que ce soit un argument suffisant pour donner la publicité à l’Officiel. Le public entendra par exemple ceci: un projet de décret tendant à… Maintenant Jourde a dit: «Le public n’est pas juge.»
JOURDE. Je n’ai pas dit cela.
LONGUET. Il voulait dire que le public éclairé, mis au courant, rendu compétent, était juge souverain. Il est bien évident que, si on se contente de dire au public: «Le citoyen un tel présente tel projet», le grand public ne saura pas, par exemple, pourquoi les octrois ne sont pas faciles à supprimer. Parisel est d’une opinion différente. Il a dit que ce serait une chose facile, excellente. C’est évident, nous sommes tous d’accord sur ce point que ce serait une chose excellente, mais, pour moi, il est très mauvais de faire mirer, devant les yeux du public, des choses inexécutables; ainsi, si l’on supprimait les octrois aujourd’hui, le public y gagnerait-il beaucoup? ne serait-ce pas illusoire? ne paierait-il pas sous une autre forme? Ainsi, pour ce qui concerne les octrois, le public, qui est assurément mal renseigné, ne serait pas compétent avant la discussion; ainsi, en insérant un projet d’ailleurs philanthropique, relativement à cette question, on nous créerait des embarras considérables et, pour avoir voulu se rendre populaire, on arriverait un jour, assurément, à se rendre impopulaire.

GROUSSET. Je ne suis pas partisan de la publication immédiate de tous les décrets. Avant cela, il est nécessaire que les décrets soient lus à la Commune et n’aient pas soulevé un tollé général, car, s’il suffisait de déposer des décrets sur le bureau du président pour les voir insérer dans l’Officiel, nous serions exposés à faire imprimer les choses les plus ridicules. Il y aurait un moyen d’éviter cette publication. De deux choses l’une, ou le projet est praticable, ou il ne l’est pas. S’il est praticable, à première vue, il est évident que l’on trouvera toujours trois ou quatre membres pour l’appuyer. Je demande donc que l’insertion ne soit accordée qu’aux décrets revêtus de la signature de plusieurs d’entre nous. Cette simple formalité nous ferait garants que nous ne verrions pas à l’Officiel de projets ridicules. J’ajoute qu’à mon sens le principe de la Commune doit être d’éviter la mise en lumière de personnalités; or, il faut laisser de côté des projets par trop fantaisistes.
JOURDE. Je tiens à éclaircir un point de la discussion qui n’a pas été suffisamment mis en lumière. Il est certain que le public, qui n’est pas éclairé sur nos intentions, ne peut être juge d’un projet de décret, dans lequel on n’aura pas débattu le pour et le contre. Il me paraît donc illogique qu’avant de publier un projet quelconque le promoteur ne veuille pas consulter la commission spéciale.
URBAIN. Je n’ai pas dit cela.
JOURDE. Je suis partisan absolu du droit qu’a chacun de faire une proposition quelconque, mais je déclare que, si en agissant ainsi on a de bonnes intentions, on est essentiellement pratique, on doit se dire, avant de mettre un projet au jour, qu’il y a un ministère s’occupant spécialement de la question, et, dans ce ministère, des hommes choisis spécialement pour s’en occuper; que, par conséquent, c’est bien le moins qu’on leur demande leur avis. Si cet avis n’est pas conforme à celui du promoteur du décret, celui-ci n’en conserve pas moins son droit d’initiative devant l’assemblée, qui est le seul juge de la question. Pour moi, si j’avais jamais un projet relatif à la Justice, j’aurais d’abord consulté le délégué à la Justice et je n’aurais jamais songé à le lancer à tout hasard, comme un boulet de canon, sans m’inquiéter de ce qui pourrait en résulter. Il y aurait là un véritable danger, vous venez de le voir récemment au sujet des monts-de-piété, où vous m’avez mis dans un véritable embarras.
PYAT. Personne ne conteste le droit de l’initiative individuelle; personne, non plus, ne conteste la convenance qu’il y a à consulter la commission compétente; mais personne aussi, je crois, ne doit contester le droit pour tout membre de cette assemblée, qui aura consulté une commission, de persister dans son intention de présenter un projet de loi. (Certainement!) Pour la question de publicité, je crois que personne n’a répondu encore à l’objection qui a été faite. On vous a dit ceci: à tort ou à raison, vous avez décrété la publicité de vos séances; et alors c’est un droit acquis pour le public de savoir ce qui se passe ici; et alors, s’il y a publicité de vos séances, quel inconvénient y aurait-il à insérer dans l’Officiel les propositions faites? Si l’Officiel ne les publie pas, vingt ou trente journaux, qui seront représentés ici, les feront connaître. Voilà l’objection à laquelle on n’a pas répondu.
QUELQUES MEMBRES. Mais si!
PYAT. À moins que vous ne reveniez sur le décret de publicité de nos séances, ou à moins que vous ne déclariez, au commencement de la séance, que la presse ne publiera pas telle ou telle proposition, tous les reporters des journaux, si vous reconnaissez à tout membre le droit de déposer un projet de décret, en prendront note et le reproduiront immédiatement dans leurs feuilles; de façon que tout le monde saura ce qui s’est passé dans les séances de la Commune. Il y a là, selon moi, une difficulté invincible.

(À suivre.)

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