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(Suite de la séance du 8 mai 1871.)
SERRAILLIER. Il y a un article et un amendement qui viennent d’être votés. L’amendement, qui a été voté, exclut l’article. En effet, vous accordez ainsi à un membre de déposer, sur le bureau, un rapport sur le décret qu’il aura présenté; et d’un autre côté, vous nommez une commission chargée d’étudier les décrets qui lui seront présentés. (Interruptions.) Eh bien! de deux choses l’une: ou vous vous occuperez de ce rapport, déposé par un membre, ou bien vous vous en référerez à une commission, chargée d’étudier ce rapport.
VÉSINIER. Non, ce n’est pas un rapport, mais des propositions.
SERRAILLIER. Cependant, j’ai entendu prononcer le mot «décrets».
LANGEVIN. Je suis de l’avis de Régère; vous venez de voter l’article 2 du projet Vésinier. Je préférerais que ce ne soit pas une commission compétente, qui soit chargée d’examiner les projets de décrets. En effet, il peut se présenter un projet, tendant à renouveler tout le système d’administration de cette commission; et la commission serait tout à fait hostile à un pareil projet. II vaudrait mieux que l’assemblée statuât elle-même. Pour moi, le renvoi à une commission est la meilleure garantie, comme l’a dit Jourde.
SERRAILLIER. On m’impose un article contradictoire qui permet à chacun de nous de faire perdre un temps précieux à l’assemblée. Je tiens à protester que je ne vote pas d’une manière ridicule.
(Bruit; interruptions en sens divers. Plusieurs membres demandent le rappel à l’ordre.)
L’article 2 amendé de cette façon: «Le projet sera renvoyé à la commission compétente qui l’examinera», est mis aux voix et adopté.
J. ANDRIEU. Je demande le renvoi à demain pour deux, raisons. La première, parce qu’il y a une interpellation importante à faire au Comité de salut public; la seconde, c’est qu’on ne peut pas voter sur la proposition Vésinier, lorsqu’il y a un projet antérieur déposé par moi. Ce n’est pas une question de vanité, mais bien une mesure d’ordre.
VÉSINIER dépose sur le bureau du président l’amendement suivant:
«3° La Commune pourra toujours admettre l’urgence, quand elle sera demandée par écrit par cinq membres. Alors le renvoi à une commission ne sera plus obligatoire.»
Il est décidé que la suite de la discussion de la proposition du citoyen Vésinier aura lieu demain.
VAILLANT dépose le projet de décret suivant dont il demandera l’adoption à la prochaine séance:
«Considérant qu’une Commune n’est pas un parlement, que c’est une réunion de commissions donnant, par ses délibérations et ses votes, aux travaux de ces commissions l’unité de direction et d’action; considérant que la seule publicité qui convienne à une telle assemblée est celle des actes et des décrets et non celle de discours plus ou moins fidèlement reproduits; considérant qu’il faut donner au Comité de salut public la faculté d’user des pouvoirs qui lui ont été confiés, tout en assurant le contrôle et la surveillance de l’assemblée,
«Le Comité décrète:
«Le décret ordonnant la publicité des séances est rapporté;
«Il ne paraîtra plus à l’Officiel de compte rendu des séances;
«Le vote des décrets, de toute proposition importante, aura lieu à l’appel nominal; il pourra être motivé et sera public;
«Il y aura trois séances de la Commune par semaine;
«Chaque séance commencera par la lecture d’un état de la situation politique et des actes du Comité de salut public présenté par un des membres de ce Comité;
«Le président donnera lecture des propositions, projets de décrets, etc., déposés sur le bureau, et, sauf le cas d’urgence, il les renverra aux commissions compétentes;
«Chaque semaine et à tour de rôle, les délégations et commissions seront tenues de présenter un rapport sur leurs travaux;
«Le débat sur les conclusions de ces rapports formera l’ordre du jour de chaque séance.»
Le citoyen Andrieu annonce ensuite que le délégué aux Finances a une interpellation à adresser au Comité de salut public.
La séance continue.
JOURDE. J’ai à vous mettre sous les yeux la pièce suivante, très importante. Le Comité central a jeté, jette partout, une grande perturbation, que je dois vous signaler pour ce qui me concerne. Je reçois du Comité des demandes multipliées, venant de pouvoirs que je ne connais pas, que je n’ai pu reconnaître. Personne ne m’a prévenu, ni le Comité de salut public. Voici la pièce que j’ai à vous communiquer:
«Citoyens,
«La Commission de l’Ordonnancement et des Finances n’a pu s’entendre avec le délégué à la Guerre absent, mais elle s’est mise en rapport avec le citoyen Tridon, membre de la Commission militaire, chargé jusqu’ici de l’ordonnancement. Il a été convenu avec lui qu’il nous céderait demain ses fonctions ayant rapport à l’ordonnancement. Notre commission, à partir de demain, centralisera l’ordonnancement de tous les services, aux lieu et place des citoyens Rossel, Tridon, Varlin, Avrial, Henry. Quant aux Finances, il existe à la Guerre une caisse affectée au paiement de la solde de l’artillerie. La commission vous propose, citoyen délégué, de l’autoriser à payer les menues dépenses, dont les demandes encombrent les bureaux de la Guerre. La commission entière signe cette note, afin que vous sachiez quels sont les ordonnateurs actuels. Saluts fraternels.
«LACORD, JOSSELIN, GEOFFROY, PIAT.
«P. S. Si les explications de. cette note ne vous suffisent pas, citoyens, nous nous transporterons auprès de vous, pour bien définir nos attributions.»
JOURDE. J’avoue franchement que j’ai été profondément étonné en voyant ainsi une autorité se fixer elle-même ses attributions. Il y a là un chaos épouvantable.
Ainsi, Varlin, Avrial, Tridon, etc., ne sont plus ordonnateurs; à leur place sont des hommes que je ne connais point. Il n’y a plus de Commission militaire. Le délégué à la Guerre n’a plus que la direction des mouvements militaires; comment se tirera-t-il de la position qui lui est faite? Je ne sais. Pour ce qui me concerne, ce que je sais; c’est que j’ai besoin d’un contrôle pour ne dépenser que 800.000 francs par jour et, en présence de ce Comité central. qui agit suivant son bon plaisir, je sens le besoin de protester et de vous demander si le Gouvernement s’appelle le Comité central ou la Commune.
(C’est très juste!)
[CHARLES] GÉRARDIN. La meilleure réponse que je puisse faire, c’est de prendre le document et de le lire à mon tour sur un autre ton; il vous paraîtra tout autre. En employant le Comité central, nous avons obéi aux nécessités de la situation. Rossel n’avait personne; la Garde nationale nous abandonnait; or, nous ne pouvions mieux faire que de nous adresser aux représentants de la Garde nationale; là seulement, nous pouvions trouver une force, un appoint sérieux, un dévouement à la cause de la République et de la Commune. En s’adjoignant le Comité central, le Comité de salut public s’est assuré des auxiliaires utiles, sérieux et dévoués. Le Ministère de la Guerre est, à l’heure qu’il est, l’administration la plus importante de Paris; elle se divise en un certain nombre d’administrations, représentant chacune une de vos commissions. C’est le Service des Subsistances, de l’Artillerie, des Munitions, etc., etc. Elles sont au nombre de quinze à seize. Les services de la Guerre se trouvaient entre les mains d’une commission militaire, composée de quatre ou cinq membres de la Commune en nombre insuffisant pour faire un travail de quatre-vingts. Voilà pourquoi le Comité central, chargé de l’administration de la Guerre, a averti Jourde que c’est lui qui sera chargé dorénavant des ordonnancements.
(À suivre.)