(Suite de la séance du 12 mai 1871.)
LE PRÉSIDENT. Voici une nouvelle communication de la mairie du XVIIIe arrondissement.
VICTOR CLÉMENT. Je demande qu’il n’y ait pas de discussions et qu’on renvoie la pièce, dont on vient de donner lecture, à qui de droit.
L’assemblée, consultée, adopte cette motion.
DEMAY. Je demande la nomination d’une commission spéciale pour examiner toutes ces petites questions qui nous font perdre beaucoup de temps: Ainsi, je reçois encore aujourd’hui une demande, signée de 4.000 électeurs, réclamant l’élection des membres manquant à la Commune.
LE PRÉSIDENT. Je ferai observer au citoyen Demay que sa proposition figure déjà à l’ordre du jour.

Agrandissement : Illustration 2

FRÄNKEL, délégué de la Commission de Travail et Échange. Par un arrêté, en date du 4 mai, la Commission de Travail et Échange avait été chargée d’envoyer des délégués à l’intendance pour examiner les marchés. Voici le rapport de ces délégués.
«MARCHÉS POUR L’HABILLEMENT MILITAIRE.
«Rapport au citoyen délégué aux Travaux publics.
«Dans notre examen des marchés passés jusqu’au 25 avril 1871, nous avons constaté que les vareuses étaient payées 6 francs de façon par la ville et les pantalons 3 fr. 50. Avec cette rétribution, il était possible de faire manger les ouvriers et ouvrières qui faisaient ce travail. Mais, à partir de cette date, le prix de confection de ces vêtements a été offert par des exploiteurs au prix de 4 francs, et même 3 fr. 75 par vareuse, les pantalons à 2 fr. 50. Ces marchés sont en voie d’exécution. Il résulte de ceci que le prix, déjà si faible, de façon sera baissé de près de moitié et que ceux qui feront ce travail ne pourront vivre; de sorte que la Révolution aura amené ceci:
«Que le travail de la Commune pour la Garde nationale sera payé beaucoup moins que sous le gouvernement du Quatre-Septembre, et alors on pourra nous dire que la République sociale a fait ce que ceux qui nous assiègent actuellement n’ont pas voulu faire: diminuer les salaires.
«Car il s’agit de savoir si la Commune veut aider le peuple à vivre par l’aumône ou par le travail; on nous dit que le gouvernement est forcé de compter, “de faire les marchés au plus bas prix possible”.
«Nous tenons à constater et à bien établir que le cas présent n’est ni commercial, ni spécial, que, au contraire, toute la population ouvrière y est intéressée et il est évident que, si au lieu de gagner 2 francs par jour, l’ouvrière ne gagne qu’un franc, il faut nécessairement qu’elle s’adresse aux cantines ou aux bureaux de secours; ce qui revient au même comme déboursé par la Commune et il est incontestable que la moralité en souffre.
«Il nous est sensible d’être contraints à faire un rapport si peu en harmonie avec ce que devraient être les actes d’un gouvernement socialiste et nous constatons avec peine que les exploiteurs, qui offrent les plus bas prix, sont encore privilégiés.
«Les associations ouvrières ne peuvent se résoudre à remplir un rôle qui consiste à profiter de la misère publique pour baisser le prix du travail; et cependant, si la Commune veut avoir de bonnes fournitures et du travail bien fait, elle doit s’adresser aux ouvriers mêmes qui composent la corporation des tailleurs de Paris, car nous affirmons qu’il n’est pas possible d’établir des vêtements dans des conditions convenables avec les prix qui ont été soumissionnés par les derniers signataires des marchés.
«Nous tenons à mettre la Commune en garde contre un pareil écueil, qui serait un coup porté aux plus grands principes de la Révolution sociale, que nous devons à tout prix conserver pure de toute tache de ce genre et ne pas affaiblir par des petites spéculations la grandeur et le prestige du mouvement qui s’accomplit.
«Il faut absolument que le citoyen délégué aux Travaux publics fasse comprendre à la Commune qu’elle ne doit pas s’appesantir sur les bas prix qui lui sont offerts par les exploiteurs.
«Il est reconnu que les associations ouvrières ne peuvent lutter aujourd’hui concurremment et qu’elles ne le pourront jamais, si elles ne trouvent un appui matériel et moral.
«La baisse des prix de production ne viendra que lorsque les associations s’appartiendront.
«Nous concluons en demandant, que le prix des façons des vêtements de la Garde nationale restent tels qu’ils ont été depuis huit mois, et que tous les marchés et entreprises, concernant l’habillement, soient, autant que possible, livrés à la corporation des ouvriers tailleurs.
«Association, Chambre syndicale, Société de résistance, ces trois groupes, qui en sont les mandataires, viennent de déposer entre nos mains un contrat fédératif, qui met a notre disposition les vingt ou trente mille ouvriers de cette profession.
«Les délégués à l’habillement militaire,
«LÉVY LAZARE, ÉVETTE.»
Voici le rapport de la commission:
«RAPPORT SUR LA DÉLÉGATION DE LÉVY (LAZARE) ET ÉVETTE À L’HABILLEMENT MILITAIRE.
«Au terme 3 de l’arrêté de la Commune, en date du 4 mai 1871,
«La Commission du Travail et de l’Échange a, par une délégation, pris connaissance des marchés conclus à l’habillement militaire.
«Il résulte du rapport présenté par les délégués que, depuis le 18 mars, l’administration, séduite par les offres des industriels, aurait baissé les prix des façons dans, une proportion assez notable.
«De prime abord, des raisons assez spécieuses viennent appuyer cette manière d’opérer. La Commune, ayant à traiter des marchés, a conclu avec les meilleurs offrants, c’est-à-dire avec ceux qui lui demandaient les prix les moins élevés.
«Avec ce système, les façons baisseront encore bien certainement, car l’entrepreneur qui fait une pareille affaire ne court aucun risque, puisqu’il ne fait en réalité qu’échange de salaires; que lui importe de soumissionner au rabais? les ouvriers et ouvrières, pressés par le besoin de travail, ne sont-ils pas là pour supporter seuls la diminution des prix de la main-d’œuvre?
«La Commune peut ouvrir une enquête: elle est bien facile. Étant donnés les marchés Bernard et Monteux, à 3 fr. 75 les vareuses et 2 fr. 50 les pantalons, il est impossible que le prix des façons, que les entrepreneurs payent aux ouvriers et ouvrières, représente des journées suffisantes pour qu’ils puissent vivre.
«Quant à eux, exploiteurs, ils font leur fortune sans avoir contre eux aucune chance de pertes; entre le marché de la Commune et la façon qu’ils accordent, il y a toujours une différence suffisante pour qu’ils remplissent leur bourse.
«Le gouvernement du Quatre-Septembre, lui-même, avait redouté l’effet d’un pareil trafic et les marchés, passés sous son administration, n’ont jamais eu pour base l’enchère an rabais.
« Il se présente, dans le cas présent, une objection; si les entrepreneurs se chargent des vareuses à 3 fr. 75, peut-on recourir à l’association en donnant à celle-ci 6 francs de façon; car, en admettant que l’association entreprenne pour 3 fr. 75 (ce qu’elle ne peut pas), on trouvera toujours des entrepreneurs qui soumissionneront pour 3 francs; faudrait-il alors abandonner les associations pour recourir aux exploiteurs?
«Dans cette concurrence infâme, la Commune y perd en dignité et les ouvriers et ouvrières voient diminuer progressivement leurs salaires déjà insuffisants. La question est ainsi posée: des exploiteurs, profitant de la misère publique pour baisser les salaires, et la Commune, assez aveugle pour prêter la main à de pareilles manœuvres.
«En effet, il est inutile et immoral d’avoir recours à un intermédiaire, qui n’a d’autres fonctions que de prélever un impôt sur la journée des travailleurs qu’il occupe; c’est continuer l’asservissement des travailleurs par la centralisation du travail entre les mains de l’exploiteur; c’est continuer les traditions esclavagistes des régimes bourgeois, ennemis acharnés, par intérêt, de toute émancipation de la classe ouvrière.
«On ne saurait invoquer non plus l’état de nos finances, car, comme le fait très bien remarquer le rapport de la délégation, si le travail ne suffit pas pour nourrir la famille, celle-ci a recours aux bureaux de bienfaisance, qui, d’un autre côté, grèvent le budget: c’est une vérité économique incontestable, l’ouvrier viendra demander à la charité ce que le travail n’aura pu lui procurer; seul, l’intérêt de l’exploiteur est garanti dans cette affaire, ainsi qu’il est démontré plus haut.
«En principe, nous l’avons admis dans toutes nos études sociales: lorsque, dans l’époque transitoire, l’individu soumissionnera pour un travail de l’État, il devra, par un cahier des charges, indiquer le prix de la main-d’œuvre, car si le prix de la main-d’œuvre reste comme aléa dans les marchés, c’est lui seul qui supporte les rabais.
«Cela ne peut se faire autrement et dans le cas présent, il n’existe aucun cahier des charges; rien qui puisse garantir contre l’exploitation à outrance!
«Et le travailleur est aux remparts, il se fait tuer pour ne plus subir cette même exploitation!
«Conclusions:
«La Commission du Travail et de l’Échange demande que les marchés, qui pourront être directement passés avec les corporations, leur soient confiés.
«Les prix seront arbitralement fixés avec l’intendance, la Chambre syndicale de la corporation et une délégation de la Commission du Travail et de l’Échange.
«Le Membre de la Commune,
délégué à la Commission du Travail et de l’Échange.
«LÉO FRÄNKEL.»
FRÄNKEL. Je n’ajouterai que quelques mots. Nous ne devons pas oublier que la Révolution du 18 mars a été faite exclusivement par la classe ouvrière. Si nous ne faisons rien pour cette classe, nous qui avons pour principe l’égalité sociale, je ne vois pas la raison d’être de la Commune.
(À suivre.)
QUEL EST LE FOU?
LE MONDE OU MOI
Spectacle musical autour de l’œuvre d’Eugène Pottier
mis en scène par Camille Lamache
Contacts
unechansondansmamemoire@gmail.com