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Billet de blog 27 octobre 2016

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Commune de Paris. Séance du 10 mai 1871 (II).

Où il est question de l'accusation portée contre Jules Allix et de sa défense.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
Commune de paris, Jules Allix. © Eloi Valat.

(Suite de la séance du 10 mai 1871.)

LANGEVIN. Je demande que l’on écarte des motifs, que l’on vient d’énoncer, celui relatif au compromis avec les d’Orléans. Quand le citoyen Delescluze nous a donné connaissance de ce fait, il faisait partie de la Commission exécutive et, s’il n’a pas donné suite à cette affaire dans ce moment, c’est qu’il ne l’a pas jugée importante.

GAMBON. Un fait peut ne pas paraître coupable à un moment et le devenir après.

GROUSSET. Je demande que Cluseret s’explique sur l’incroyable dépêche relative à l’évacuation du fort d’Issy par suite de la suspension d’armes, qui aurait été déterminée par une démarche des francs-maçons. C’est se moquer de la Commune que d’envoyer des dépêches pareilles. Je demande qu’il soit interrogé sur le mouvement séparatiste de la Savoie, dont il était le meneur à Genève. J’ai les preuves qu’il était alors en relations avec le quartier général prussien. C’est là un fait très grave.

LEFRANÇAIS. Je demande que Cluseret ne soit interrogé que sur les faits militaires qui lui ont été reprochés et qu’il a commis en tant que délégué par la Commune au Ministère de la Guerre. Quant à ce qui est de ses faits et gestes en Suisse, c’était une circonstance à connaitre avant sa nomination, mais qui ne doit pas lui être incriminée aujourd’hui. Si la commission d’enquête se rangeait à l’avis de Paschal Grousset, il n’y aurait pas de raison pour qu’elle ne lui reproche pas aussi d’avoir été décoré en juin 48, ce qui serait souverainement injuste, attendu que, tous, nous connaissions le fait lorsque Cluseret a été nommé et que, pour ma part, j’y ai vu un motif suffisant pour l’écarter des fonctions qu’on lui conférait.

LE PRÉSIDENT. Avant de continuer, je dois vous lire la lettre suivante de Ch. Gérardin.

GAMBON. Gérardin sera entendu comme témoin à décharge. 

MIOT. Ou comme accusé.

BABICK. Il y a un motif d’accusation, dirigé contre Cluseret, qui me parait avoir été omis par vous, bien qu’il soit de la plus grande importance. Je demande que Cluseret s’explique sur la proposition souvent renouvelée, qu’il est venu nous faire, de lui donner les pouvoirs les plus absolus, c’est-à-dire une dictature, qui n’aurait été, suivant moi, que le prélude d’une royauté.

GROUSSET. Pour répondre au citoyen Lefrançais, je lui dirai que les faits, que je reprochais tout à l’heure à Cluseret, ne sont pas si anciens et que je fais un certain rapprochement entre les rapports qu’il avait avec le quartier général prussien et son insistance à demander la liberté du sieur Darboy.

VALLÈS. La commission d’enquête jugera des faits qu’elle croira convenable d’examiner.

LEFRANÇAIS. Le fait, que vient de signaler Paschal Grousset, est relatif au séjour de Cluseret à la délégation de la Guerre; il rentre donc dans le cadre de ceux que je signalais. 

FERRÉ. Il faut cependant reconnaître que l’on ne peut négliger les antécédents de Cluseret avec le quartier général prussien; ils peuvent être d’un grand poids pour l’examen des accusations plus récentes qui peuvent lui être adressées à ce sujet.

LEFRANÇAIS. D’accord, mais que ces antécédents ne deviennent pas un nouveau chef d’accusation. 

(La clôture!)

LE PRÉSIDENT. Je mets aux voix la clôture de la discussion. L’assemblée consultée prononce la clôture.

LE PRÉSIDENT. Le citoyen Langevin m’a remis la proposition suivante:«Dès qu’un mandat d’arrestation aura été lancé sur un membre de la Commune, il sera procédé, dans les vingt-quatre heures, à l’élection d’une commission d’enquête, chargée de présenter immédiatement un rapport et, au besoin, de provoquer d’urgence une réunion de la Commune.»

ARNOULD. Cette proposition a déjà été votée.

LE PRÉSIDENT. Je mets la proposition du citoyen Langevin aux voix.

Cette proposition est adoptée à l’unanimité.

VALLÈS. Les citoyens Assi et Berger et ont eu le privilège de rester à l’assemblée; pourquoi voulez-vous refuser le même privilège à Cluseret?

MIOT. S’il s’agissait des mêmes faits, nous le lui accorderions. Mais Cluseret est sous le coup d’une inculpation de trahison. Il ne faut p as qu ’il soit traité d’une manière aussi favorable.

THEISZ. Quelle que soit la gravité de l’accusation qui pèse sur Cluseret, tant qu’il n’a pas été jugé, il doit être présumé innocent. L’accusation, qui pesait sur Berger et, d’avoir compromis la première bataille livrée par la Commune, était très grave aussi; cependant vous l’avez traité avec ménagements. Pourquoi auriez-vous deux poids et deux mesures? Je termine en disant que je ne suis pas partisan de Cluseret.

FERRÉ. La Commune avait décidé que Cluseret serait entendu ce matin. Nous avions donné délégation à trois membres pour l’entendre. Le citoyen Miot fait partie de cette délégation; qu’il interroge Cluseret sommairement et on le renverra.ensuite.

MIOT. J’ai été étonné de rencontrer, ce matin, Cluseret se promenant dans les escaliers de l’Hôtel de Ville.

FERRÉ. Je demande que, par un vote de la Commune, la délégation de trois membres interroge le citoyen Cluseret, lequel est détenu provisoirement à l’Hôtel de Ville.

LE PRÉSIDENT. La commission d’enquête, chargée d’interroger le citoyen Cluseret, est invitée à se retirer.

Plusieurs membres demandent s’il y aura une séance demain.

LE PRÉSIDENT. Non, la séance est renvoyée à vendredi, 2 heures.

Il est donné lecture de la lettre suivante du citoyen Allix:

«Hôtel de Ville, 10 mai 1871.
«Aux membres de la Commune,
«Le citoyen Jules Allix, retenu à l’Hôtel de Ville depuis hier soir, par un arrêté illégal du Comité de salut public, tombé hier, arrêté qu’il n’a pas pu, ni voulu, accepter sans enquête, demande à être entendu par la Commune, d’urgence.
«Il proteste d’ailleurs, dès à présent, contre les résultats des conflits possibles, qui peuvent se produire dans le VIIIe arrondissement, comme conséquence de son arrestation, vu qu’il y est, de par l’élection, seul responsable, conformément au décret premier de la Commune. 
«Il fait, dès à présent, remonter à qui de droit la responsabilité de ces conflits.
«Salut et égalité.
«J. ALLIX.»

PLUSIEURS MEMBRES. Pourquoi a-t-on arrêté Allix?

LE PRÉSIDENT. Pindy a arrêté Allix, parce qu’il a refusé d’obéir aux ordres du Comité de salut public.

RANVIER. J’ignorais, hier, l’arrestation du citoyen Allix, mais j’étais résolu, il y a quatre jours, à le faire arrêter. Allix désorganisait toutes les délégations dans son arrondissement et il aimait les bataillons réactionnaires, qui disaient qu’ils ne marcheraient jamais pour la Commune. Il désorganisait tous les services et ne voulait pas rendre de comptes. Il n’a pas voulu nous écouter, nous l’avons fait arrêter, avec l’intention de le soumettre à deux médecins.

LANGEVIN. Il faut que le citoyen Allix soit entendu par la Commune.

LE PRÉSIDENT. Non, renvoyé à la commission d’enquête.

LEFRANÇAIS. L’incident Allix n’est pas vidé; et il a été décidé ici que, dans les vingt-quatre heures qui suivront l’arrestation, tout membre de la Commune serait entendu par elle, sauf à être renvoyé ensuite devant une commission d’enquête.

LE PRÉSIDENT. Je dois constater, pour être juste, que vous avez agi ainsi avec le citoyen Cluseret.

LEFRANÇAIS. Il y a eu un arrêté, pris par la Commune, qui disait que tout membre arrêté serait entendu par la Commune dans les vingt-quatre heures. Nous devons rester dans les termes de cette convention. C’est trop qu’on ait fait une infraction à la règle, au sujet de Cluseret. Il faut qu’on entende Allix et puis renvoyer à la commission d’enquête s’il y a lieu.

FERRÉ. Avant d’entendre le citoyen Allix, je demande à faire une communication qui a son importance. Vous avez décidé que Rossel serait traduit devant la Cour martiale et un membre me fait observer qu’on ne sait où le diriger. Je crois que c’est à la prison du Cherche-Midi.

PLUSIEURS MEMBRE. Non, à Mazas!

FERRÉ. Que le président donne l’ordre de faire conduire le citoyen Rossel à Mazas et décharge Avrial de cette tâche.

MIOT. Citoyens, je me rallie aux observations présentées par Lefrançais. Posons, comme règle, que les membres de la Commune arrêtés seront interrogés dans les vingt-quatre heures, ce qui n’empêchera point une commission d’enquête de faire un rapport sur l’arrestation.

LEFRANÇAIS. C’est-à-dire qu’il faut d’abord savoir si les faits sont assez graves pour que l’arrestation soit maintenue et s’il y a lieu de former une commission d’enquête.

VALLÈS. Je suis de cet avis.

OSTYN. Je ferai remarquer que Cluseret et Allix ne sont pas vis-à-vis de nous dans la même situation: Cluseret a été arrêté avec l’approbation de toute la Commune, mais, quant à Allix nous devons donc l’entendre. 

(Oui!)

Le citoyen Allix est introduit dans la salle et la parole lui est donnée.

ALLIX. Citoyens, je veux simplement vous demander l’annulation de l’arrêté qui me fait prisonnier à l’Hôtel de Ville. Je vais vous lire la protestation que je me proposais d’envoyer au Comité de salut public et que je préfère vous adresser. 

«Aux membres de la Commune. 
«Hôtel de Ville, 10 mai 1871.
« Citoyens,
« Sur plusieurs dénonciations ou plaintes que j’ignore ou qu’on ne m’a pas fait connaître, me voilà expulsé de la Mairie, où m’a mis l’élection.
« À vous, citoyens, de faire procéder rapidement à l’enquête nécessaire.
«Comment! j’ai demandé à voir ces plaintes et je ne les connais pas encore!
«Cependant, je suis arrêté et me voilà prisonnier à l’Hôtel de Ville, pendant qu’on fait le mal dans le VIIIe arrondissement.
«Je demande l’enquête avant toute chose. Elle prouvera que le VIIIe arrondissement, malgré tout, marchait fort bien, administrativement, démocratiquement, et, qui plus est, socialement.
«Elle prouvera qu’une quinzaine d’envieux incapables a surpris la bonne foi d’Arnaud et de Gérardin, qui ont signé, comme conséquence, l’arrêté illégal que je n’ai pas voulu sanctionner.
«Elle prouvera que je suis la bonne foi et que j’ai été le labeur ce qui n’est que justice, ayant eu seul la responsabilité;
«Que le prétendu Comité de vigilance, auquel j’ai moi-même donné ce titre, n’a en rien accompli les conditions que j’avais demandées pour garanties de son activité. 
«Que ce Comité, qui a eu pour candidat M. le baron de Marguerittes, est composé de quelques bons garçons et de plusieurs intrigants qui les mènent; je ne dis rien de l’honnêteté, mais je sais parfaitement à quoi m’en tenir sur la capacité. 
«Elle prouvera que le citoyen Poulain, l’un d’eux, a été jusqu’à ce point de dire, devant moi, qu’il fallait détruire la Commune, si elle ne fait pas comme ils veulent.
«Que le fait évident c’est qu’il leur faut à tous des places, dont la plupart sont incapables.
«Elle prouvera que les services administratifs de la mairie fonctionnent très bien, malgré eux; que nous avons pourvu à tous les besoins et préparé toutes les réformes, en pourvoyant, chemin faisant, à l’exécution même de tous les décrets de la Commune, sans trop de frais, comme sans bruit, tandis qu’ils voulaient faire – ce que vous allez voir, si vous n’y prenez garde – la confusion complète en toutes choses.
«Vous dire quels propos, quels mensonges, ces quinze personnes ont débités, c’est inutile. Je m’en réfère aux résultats prochains de l’enquête. Mais je la réclame prompte et sérieuse, avant les circonstances que la prétendue commission, dite de vigilance, va créer.
«J’ajoute que je revendique ma responsabilité pour mes œuvres, mais,aussi que je répudie, celle de toutes les sottises, que j’ai parfaitement le désir, comme j’en ai le devoir et le droit, de prouver à mes électeurs.
«Le Comité de salut public, pour lequel j’ai voté, serait-il réellement un Comité de mal public? Nous allons le savoir. 
«Je proteste à l’avance; si le mal s’accomplit, averti que l’on est, alors j’accuserai...[illisible] Ce qui, citoyens de la Commune, ne dit pas pour vous, qui pouvez encore l’empêcher.
«Enfin, conflits sur conflits, voilà ce qu’a fait le Comité tombé; mais je suis arrêté pour ce fait et j’espère que le vôtre évitera ces fautes, ou mieux les empêchera. 
«Et je demeure toujours responsable de mon élection, mais non pas des œuvres d’autrui.
«Salut et égalité.
«JULES ALLIX».

Le citoyen AVRIAL fait connaître à l’assemblée que le citoyen Rossel, qui était prisonnier dans les bureaux de la questure, a quitté l!’Hôtel de Ville en compagnie du citoyen Ch. Gérardin.

(Mouvement.)

UNE VOIX. Hier, le citoyen Gérardin a aussi fait élargir un officier qu’il était important de maintenir en état d’arrestation.

(Bruit.)

BERGERET. Je me charge de faire exécuter les ordres de la Commune, en ce qui concerne Rossel.

GAMBON. Je demande que la Commune donne de pleins pouvoirs à Bergeret, pour procéder à l’arrestation de Rossel. (Assentiment.) J’avais appelé l’attention du Comité de salut public sur la lettre du citoyen Rossel et je lui avais donné le conseil de donner des ordres pour qu’elle ne fût pas publiée; j’ai été étonné de la voir ce matin dans deux journaux. Si Rossel nous échappe, il faudra prendre des mesures pour qu’il ne puisse pas avoir recours de nouveau à la publicité.

LE PRÉSIDENT. Le citoyen Allix a la parole.

ALLIX. Ainsi donc, citoyens, vous le voyez, votre décret, me donnant la signature des actes de l’état civil, me donnait en même temps une responsabilité que vous m’enlevez aujourd’hui. Je ne puis accepter une pareille situation et je vous prie de tout m’enlever; je ne veux pas être une machine à signature. Maintenant je suis prêt à répondre à vos questions.

LEFRANÇAIS. Je demande au citoyen Allix qu’il m’explique pourquoi il a présidé à l’élection de certains chefs de bataillon, qu’il avait préalablement réarmés, bien qu’ils eussent fait une profession de foi de désobéissance à la Commune?

ALLIX. J’ai réorganisé les bataillons de mon arrondissement; et c’était mon devoir, mais je n’ai jamais présidé à la réélection des chefs de bataillon; j’y ai toujours envoyé un délégué. Dans mon arrondissement, il y avait un chef de légion nommé par Cluseret; quand on a dû procéder à sa réélection par la Garde nationale, il s’est élevé une compétition entre lui et les chefs de bataillon élus de l’arrondissement. Deux de ces bataillons étaient, en partie sur le VIIIe et en partie sur le IXe arrondissement; un ordre du délégué à la Guerre a demandé la dissolution de ces bataillons et il s’est trouvé que ceux des gardes, qui ont été désarmés, étaient précisément les plus dévoués. Tous les officiers m’ont remis leurs démissions personnelles: je les ai refusées. Dans le bataillon, commandé par le citoyen Jutaud, et qui était réactionnaire, nous avions réussi à faire entrer deux fois plus de gardes dévoués que le nombre des votants qui avaient nommé ce chef.
Malgré cela, la Guerre a donné ordre de licencier: ce que nous avons fait. Il y a une compagnie qui n’a pu être désarmée, parce que les gardes étaient absents. Nous aurions manqué de monde pour procéder à des visites domiciliaires. Nous avons désarmé le plus possible. Des compagnies ont été obligées d’aller à Issy sans armes. Le colonel leur en a donné directement et il y a eu, dans ces compagnies, deux officiers tués et quinze blessés. La commission de quinze membres, nommée par les citoyens Vaillant et Rigault, est venue me dire: «Vous n’êtes plus rien; nous avons les signatures [de] Vaillant et Rigault qui le constatent; allez-vous-en!»
Les délégués du Comité de vigilance n’ont pu rester dans les bureaux de la municipalité; ils ne s’entendaient pas. Ce Comité n’est pas sérieux. Le lendemain de l’élection, j’ai dit à ceux qui étaient connus de moi: vous allez fonctionner à titre de Comité de vigilance, mais je signerai. Voilà comment je les ai reconnus comme Comité de vigilance. Il y a une douzaine de membres qui ont la majorité. Si vous voulez désorganiser l’administration municipale, conservez des membres du Comité de vigilance et mettez-moi à la porte. Un délégué à la comptabilité, du nom de Bourlet, est venu, avec un mandat de Vaillant, me sommer de lui remettre la clef de la caisse et de la vérifier!
Qui me fait cette injure, à moi, Jules Allix, qui ai lutté toute ma vie pour le socialisme et la République!
J’ai écrit sur le mandat: «Aux ordres, non du Comité de vigilance, mais de la Commune, la caisse sera vérifiée.» On en arrive à m’appeler devant un Comité de salut public, que j’ai nommé et qui fait le mal, en attaquant la Commune elle-même. Je ne tremble pas devant la vérification dont on me menace! Moi, prévenu ici! arrêté ici par Pindy et sur un mot de Lacord [?] et par un mandat signé Lacord.
Conduisez-moi à Mazas; je ne donnerai jamais ma démission; on me brise! 

OSTYN. Allix vient d’agrandir beaucoup le débat. Je pressentais qu’il lui arriverait ces désagréments, en ce sens qu’Allix croit qu’il n’y a que lui de possible.

JULES ANDRIEU. Nous n’avons pas à discuter en présence du citoyen Allix.

VAILLANT. Je voudrais exposer à l’assemblée les faits, tels que je les ai vus. Je ne me suis trouvé à la municipalité du VIIIe que quand le Comité central m’y a envoyé. On louait beaucoup Allix de son énergie; mais on séparait la prise de possession de la mairie de son administration. Je recevais tous les jours des délégués qui venaient s’en plaindre. Il n’y a pas eu de suspicion à son égard, seulement le Comité central craignait qu’Allix, s’attachant plus au fond qu’à la forme, ne tînt la caisse avec légèreté. Voilà pourquoi on a demandé à vérifier la caisse.
Le Comité de vigilance était mal reçu par Allix, qui refusait de lui laisser la part de responsabilité qui lui incombait. Les plaintes du VIIIe arrondissement trouvèrent un écho dans cette assemblée. Plus tard, la Commune décréta que les fonctions de chef de légion et de délégué à la mairie seraient incompatibles. Dernièrement, dans une longue réclamation lue par Johannard, et puis par un des membres du Comité de salut public, au sujet de nombreuses plaintes, portées contre les bataillons réactionnaires, touchant le citoyen Allix et lui reprochant de ne point exécuter les ordres du Comité de salut public, ce Comité a décidé qu’Allix aurait à signer les actes de l’état civil et que le Comité de vigilance aurait à remplir les fonctions de la municipalité.
Allix s’est refusé à l’exécution de ces ordres et son arrestation a été décidée. Je ne comprends pas comment Allix a refusé d’obéir aux ordres du Comité de salut public.

ALLIX. Je n’admets pas qu’on vienne dire: vous n’avez qu’à signer et c’est nous qui administrerons.

OSTYN. Vous vous rappelez le décret de la Commune, qui dit que chaque arrondissement sera administré par une délégation, nommée par les membres de la Commune.

ALLIX. Je ne fais pas de reproches aux citoyens Vaillant et Rigault, mais, ce qui est malheureux, c’est que, dans leur situation, ils donnent des mandats à des personnes en lesquelles ils n’ont pas suffisamment confiance.

OSTYN. Oui, ou non, le décret de la Commune a-t-il été exécuté?

ALLIX. Non! Je suis arrivé seul au VIIIe arrondissement. J’y ai trouvé M. Denormandie, à qui j’ai demandé s’il était disposé à faire procéder aux élections du Comité central. Il a répondu: «Non». Je lui ai demandé sa démission; il allait me l’offrir, mais je me contentai de sa parole. Citoyens, j’ai pris seul la mairie de mon arrondissement et j’en accepte toute la responsabilité.

RANVIER. Je demande au citoyen Allix pourquoi il s’est opposé à l’arrestation d’un chef de légion de son arrondissement.

ALLIX. Je n’ai nullement intercepté l’ordre d’arrestation. Quand on s’est présenté pour opérer l’arrestation, le colonel, dont il s’agit, était absent; le lendemain, je lui ai déclaré qu’il était mon prisonnier et il a été se constituer à la rue du Cherche-Midi. Je suis complètement étranger à sa mise en liberté; il est, du reste, encore aujourd’hui tout à vos ordres.

Le citoyen Allix se retire sur l’invitation du citoyen président.

LEFRANÇAIS. Je trouve que les explications données par le citoyen Allix font disparaître la gravité des accusations dont il est l’objet. D’un côté, il est clair qu’il n’est pour rien dans les faits relatifs à l’arrestation d’un officier supérieur de son arrondissement; d’un autre côté, je comprends son indignation, quand il a vu une délégation de sa municipalité, soumise à son contrôle, élever la prétention de le surveiller, lui demander des comptes, à lui responsable. Je trouve donc que les accusations, portées contre lui, ne valent pas la peine d’une enquête et je demande qu’on le relâche purement et simplement.

RANVIER. Je crois qu’il serait bon, dans l’intérêt de cet arrondissement, qu’une enquête fût faite. Il y a des plaintes continuelles à cause de la désorganisation de la mairie, et Allix repousse toutes les injonctions que nous lui faisons à ce sujet. Je dois vous avouer, en outre, que je désire l’enquête, ne fût-ce que pour vous démontrer la nécessité, où se trouvait le Comité de salut public, d’aviser aux nombreuses plaintes qui étaient journellement soulevées contre la municipalité du VIIIe arrondissement. Il m’importe en effet que vous soyez persuadés qu’aucun motif de haine personnelle ne nous a fait agir.

OSTYN. Je dois ajouter, en faveur d’Allix, que Vaillant et Rigault, le connaissant, ne devaient pas lui laisser, seul, la responsabilité de son arrondissement. Il était à prévoir que, si on lui confiait toutes les fonctions municipales, si on le laissait à la fois maire, caissier, chef de légion, l’anarchie la plus complète ne tarderait pas à régner. Je sais bien que Vaillant et Rigault ont d’autres occupations importantes, mais, enfin, cela ne devait pas les empêcher de surveiller, contrôler leur collègue.
Maintenant, comment sortir de là? Vous ne pouvez maintenir Allix en état d’arrestation et, si vous le renvoyez purement et simplement, sa municipalité en souffrira. Je crois donc que vous devez insister, près de Vaillant et Rigault, pour qu’ils ne laissent plus à leur collègue que la part d’administration qui lui incombe.

E. GÉRARDIN. Au moment où le citoyen Allix a pris possession de sa mairie, cet acte avait sa valeur; surtout au moment des élections. Il en a eu la charge et la responsabilité.

VAILLANT. La Commission exécutive avait, à ce moment, des travaux qui absorbaient tout son temps. Quand nous avons quitté la Commission exécutive, nous étions complètement étrangers, Rigault et moi, à l’arrondissement. Mais le mal était déjà fait. Les reproches venaient et la commission avait à prendre une décision. L’arrondissement était mal administré, malgré la bonne volonté du citoyen Allix. Nous avons fait la part du feu, en laissant au citoyen Allix les actes de l’état civil et à la commission communale les autres fonctions. Allix a refusé d’obtempérer à nos ordres.

UN MEMBRE. Il a eu raison!

VAILLANT. La question de la Garde nationale survenant, on trouva que ces conflits empêchaient le désarmement des bataillons réactionnaires. Il fallait agir. En somme, il y avait un ordre du Comité de salut public; cet ordre, rencontrant de la résistance, il a bien fallu faire arrêter celui qui s’y opposait. Que la Commune prenne la décision qu’elle voudra. J’ai défendu la conduite de Rigault et les mesures prises par la Commission exécutive, et celles du Comité de salut public.

LANGEVIN. Je crois que Vaillant n’a pas défendu l’arrêté du Comité de salut public, réduisant à sa plus simple expression le citoyen Allix, en faisant de sa personne une machine à signer. Les membres de la Commune sont chargés de l’administration des municipalités. Le texte du décret le dit formellement. Ils peuvent s’adjoindre qui bon leur plaît, sous leur responsabilité directe. Hors cela, je ne reconnais pas au Comité de salut public le droit de prendre un, arrêté de cette nature. Pour mon compte, j’aurais résisté à un pareil ordre émanant même de la Commune.

RANVIER. Il y avait la question de désorganisation de la Garde nationale et l’armement des bataillons qui ne voulaient pas marcher. Allix n’a pas organisé de municipalité. Il était parfaitement libre de choisir une délégation sous ses ordres. Allix s’est adjoint un état-major, tout un cortège de gens galonnés, qui ont détruit tous les services municipaux et désorganisé au lieu d’organiser. Nous ne pouvions tolérer plus longtemps un pareil état de choses.

LEFRANÇAIS. Il y a, dans l’affaire d’Allix, une question de théorie contre laquelle il faut protester. Allix a refusé d’obéir à un ordre d’un membre du Comité de salut public: le Comité de salut public n’avait pas le droit de donner cet ordre. Le Comité de salut public, si souverain qu’il puisse être, n’a pa s le droit d’infirmer une loi de la Commune par une ordonnance émanant de lui. La loi de la Commune est formelle: la commission municipale exerce ses fonctions sous l’autorité des délégués. Qu’Allix soit un mauvais administrateur, c’est possible; mais c’est l’affaire des délégués. Le Comité de salut public n’a pas le droit de dire à l’un de nous: voilà vos attributions, voilà celles de la commission municipale.

RANVIER. Je crois qu’il y a confusion dans l’esprit du citoyen Lefrançais. Il était convenu que le délégué du Comité avait toute autorité. Allix a dit qu’il le mettait à la porte et qu’il se moquait du Comité de salut public. Les ordres du délégué étaient refusés par Allix. C’est ce qui a motivé son arrestation.

OSTYN. Ce qui justifierait l’arrestation d’Allix, ce ne pourrait être que son acceptation du mandat de colonel, ayant déjà celui de représentant du peuple.

(La clôture!)

VAILLANT. Je demande la parole contre la clôture. Tous les faits n’ont pas été énoncés.

PLUSIEURS MEMBRES. La clôture de l’incident!

LE PRÉSIDENT. Je mets la clôture aux voix.

La clôture est prononcée.

LE PRÉSIDENT. Voici la proposition du citoyen Ostyn: 
«Je propose de mettre en liberté le citoyen Allix et d’inviter les membres de la Commune du VIIIe arrondissement à faire respecter le décret de la Commune, touchant l’organisation des municipalités.»

ARNOULD. Je crois qu’il faut nommer une commission d’enquête.

UN MEMBRE. C’est aux deux collègues d’Allix à faire l’enquête.

La proposition du citoyen Ostyn est mise aux voix et adoptée.

LE PRÉSIDENT. Je vais vous donner lecture d’une autre proposition, en vous faisant remarquer qu’elle ne pourra être mise. en discussion que demain. (Proposition de Fortuné Henry et de Gambon.)

DEMAY. Il y a aussi une proposition portant 4.000 signatures, au sujet de laquelle il serait important que l’on prît une décision.

LE PRÉSIDENT. Je vais donner lecture de cette proposition.

VÉSINIER. C’est à tort que l’on dit que j’ai appuyé cette proposition. Je me suis borné à faire insérer une proposition très convenable sur le même sujet, dans l’officiel, ce qu’il sera facile de vérifier.

LE PRÉSIDENT. La proposition, que je viens de lire, sera mise à l’ordre du jour.

La séance est levée à 7 h. 1/4.

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