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Billet de blog 29 mai 2016

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Commune de Paris. Séance du 6 mai 1871 (IX).

Arnould. «La population nécessiteuse attend, avec d’autant plus d’impatience, qu’elle n’a pas eu d’ouvrage depuis plus de 8 mois, et nous devons lui donner une preuve matérielle que nous comprenons nos devoirs à son égard.»

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Illustration 1
Commune de Paris, un paletot gagé pour 10 francs… © Eloi Valat.

(Suite de la séance du 6 mai 1871 [la Commune est réunie en Comité secret].)
JOURDE. On me dit : «Créez une institution»; c’est facile à dire, mais il faudrait avoir le temps d’étudier avant de créer. Si l’on disait à Avrial: «Créez des affûts, des canons», que répondrait-il? Il demanderait du temps. C’est ce que je demande aussi. (Très bien!) Il faut donc étudier le moyen de liquider le Mont-de-piété, ou plutôt le moyen qui permettrait de se servir de cette institution, de la modifier, de l’améliorer, pour en faire un établissement qui prête réellement à celui qui a de véritables besoins, sans abuser d’un taux usuraire, sans frapper sur le pauvre. Dans l’application, je proposerais le projet d’Andrieu, et je fixerais le taux dégagement à 20 francs seulement.
Voici pourquoi. De 20 à 50 francs, on n’engage que des objets de luxe; en effet, sur un matelas on ne prête difficilement que 20 francs; également, sur une redingote, 20 francs; enfin, sur tous ces objets indispensables on ne prête que le quart de la valeur, tandis qu’on prête les deux tiers sur les bijoux. De plus, avec le taux de 20 francs comme limite de dégagement, vous grèveriez moins nos finances et vous rendriez encore les plus grands services aux classes qui nous intéressent. Le Mont-de-piété, vous le savez, emprunte de deux façons: aux caisses d’épargne par exemple et ensuite sur gages. Eh bien! nous ne pouvons pas faire des générosités avec l’argent des autres. Nous ne pouvons pas dire au prêteur: «Voilà le gage, arrangez-vous avec l’emprunteur. Dans ce cas, et en attendant la réorganisation, voici ce que je pourrais proposer: je pourrais par exemple mettre, je suppose, à la disposition du Mont-de-piété une somme de 100.000 francs par semaine. Ensuite, payer les intérêts aux emprunteurs. Si nous sommes obligés d’accepter le projet, je proposerais les dispositions suivantes que je ne fais qu’indiquer:
Art. 1er. - Dégagement des objets jusqu’à concurrence de 20 francs.
Art. 2. - Ceux qui dégageraient seraient obligés de fournir une pièce quelconque, constatant l’identité de l’emprunteur.
Et, enfin,
Art. 3. - Vous décideriez que votre délégué aux Finances s’entendrait avec le Mont-de-piété pour assurer l’exécution la plus satisfaisante du décret, au point de vue de tous les intérêts engagés.
LEFRANÇAIS, au nom de la Commission. Relativement à l’abaissement à 20 francs du maximum de prêt, je crois qu’il n’y a pas lieu de vous effrayer. La partie de la population parisienne, à laquelle votre décret veut venir en aide, est plus pourvue de reconnaissances inférieures à 20 francs que supérieures à ce chiffre. Il peut arriver qu’une famille d’ouvriers ait plusieurs reconnaissances au-dessous de 20 francs; elle les dégagera toutes. Les reconnaissances de sommes supérieures à 20 francs se rapportent à des objets de valeur, dont le dégagement ne peut pas être considéré comme devant dégrever la partie laborieuse de la population. En abaissant le maximum à 20 francs, vous donnerez au travailleur la faculté de dégager tout ce qu’il a, s’il a plusieurs reconnaissances inférieures à cette somme.
JOURDE. Je crois même que nous serons forcés de faire presque une loterie pour le dégagement; c’est-à-dire que les personnes qui auront la lettre A, par exemple, dégageront tel jour, etc. Enfin, je crois que l’on parviendra à résoudre cette question.
ARNOULD. Citoyens, après les explications que vous venez d’entendre, j’ai très peu de choses à dire. Je suis très heureux que ces explications aient été fournies par le citoyen Jourde, avec toute l’autorité qu’on peut lui reconnaître dans la question. La question des monts-de-piété se divise en deux: la question de la liquidation des monts-de-piété et la question de la délivrance des objets mis au Mont-de-piété par la classe nécessiteuse. Nous avions promis que l’on dégagerait gratuitement les effets mis au Mont-de-piété, jusqu’à concurrence de 50 francs. Depuis quinze jours, cette question est restée en suspens, à cause d’incidents venus de divers côtés. La population nécessiteuse attend, avec d’autant plus d’impatience, qu’elle n’a pas eu d’ouvrage depuis plus de 8 mois, et nous devons lui donner une preuve matérielle que nous comprenons nos devoirs à son égard.
Laissons donc de côté la question de liquidation des monts-de-piété qui demande à être approfondie et que nous devons renvoyer à l’étude de la Commission des Finances, et occupons-nous des moyens pratiques de dégager les objets. Eh bien! je me rallie aux moyens qui vous sont proposés par Jourde et Lefrançais; et je vous demanderai d’abaisser le maximum à 20 francs. Le Mont-de-piété, sauf sur l’or et l’argent, donne un prêt dérisoire. Ainsi, pour un paletot, qui aura coûté 120 francs chez le tailleur, on vous donnera 10 francs et encore à condition que vous ne l’ayez jamais porté. Le pauvre et l’ouvrier n’engagent leurs vêtements qu’après les avoir portés, et le prêt par conséquent est extrêmement faible. Il en est de même pour les objets de literie, le linge et la plupart des instruments de travail. Il est donc évident qu’en abaissant le maximum à 20 francs, nous atteignons le but que nous voulons atteindre. La seule difficulté est une difficulté matérielle pour le dégagement et cette difficulté paraît assez grave. Ce n’est pourtant pas la première fois qu’on rend ainsi gratuitement les objets engagés; eh bien! on a trouvé des moyens assez rapides et assez faciles: il doit donc y en avoir. Quoi qu’il en soit, nous avons pris un engagement moral que nous devons tenir; et, parce que nous l’avons pris, et parce que c’est la première preuve de sympathie pour la classe nécessiteuse et ouvrière. Mais il faut que le dégagement s’opère de manière à ne pas en faire une plaisanterie; il faut qu’il soit rapide.
AVRIAL. Je ne reviendrai pas sur le chiffre de 50 francs, du moment que les Finances affirment qu’il n’est pas possible d’arriver à ce chiffre; je le mets de côté. Cependant, je crois que, depuis un mois que j’ai présenté le rapport, s’il avait été étudié, on aurait trouvé un joint pour atteindre ce chiffre. Si nos décrets sur les fugitifs avaient été exécutés, il est certain que les boutiquiers qui sont partis en laissant leurs femmes, si on avait voulu frapper un impôt sur ces boutiques-là, on serait arrivé à dégager les objets de 50 francs. Je poserai aux Finances cette simple question: quelles sont les attributions de la direction supérieure du Mont-de-piété, directeur et sous-directeur? Je veux dire: quels sont les appointements du directeur des monts-de-piété? Si les membres de la Commune visitaient ces établissements, voyaient le gaspillage qui s’y produit, ils en seraient étonnés. Je ne m’occupe pas de la question de dégagement, il se fera sans bruit. J’ajoute ceci: que ce décret, rendu ce soir, soit valable demain matin.
PLUSIEURS MEMBRES. Oh! Oh!
AVRIAL. C’est parfaitement possible. Les Finances devaient prendre leurs mesures pour le jour où le décret aurait été rendu.
JOURDE. L’administration du Mont-de-piété est gouvernementale par un point et administration privée quant aux appointements. Je vous dirai qu’il est regrettable qu’avec la somme de travaux auxquels vous me contraignez, vous vous plaigniez que je n’aie pas fait assez. Maintenant je vous dirai que, quant aux dégagements, il me faudra quelques jours pour m’entendre avec le Mont-de-piété.

(À suivre.)

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