
Agrandissement : Illustration 1

Le 31 mars, Emmanuel Macron a jugé « irresponsables » les personnes qui critiquent l’action du gouvernement. Il a précisé sa pensée en expliquant qu’on ne peut pas polémiquer tant « que nous n’avons pas gagné la guerre ». De son côté, Edouard Philippe a déclaré qu’il ne « laisserait personne dire qu’il y a eu du retard sur la prise de décision ». Il a ajouté : « Certains pensent savoir parfaitement ce qu’il faudrait faire et n’hésitent pas à formuler des critiques a posteriori. Je leur laisse ce luxe ».
Une irresponsabilité pour l’un, un luxe pour l’autre, la liberté d’expression en a pris un sacré coup. Choquée, je me suis interrogée.
Dirigés contre des attaques de l’extrême droite, ces propos sont à resituer dans leur contexte. Certes. Mais reprenons dans l’ordre.
Les analyses d’un constitutionnaliste comme Dominique Rousseau[1] montrent que l’état d’urgence sécuritaire prévoit « l’expression d’une volonté politique pure en dehors du cadre constitutionnel et légal » par tranches de 12 jours avec un nouveau vote pour prolongation par le parlement. L’état d’urgence sanitaire qui prévoit un blanc-seing pour le gouvernement de 2 mois, est une invention de ce gouvernement. Il n’était pas dans la Constitution Française au moment où le président l’a décrété. Cet état réduit comme jamais la liberté démocratique depuis le début de la 5ième République. Et les premières mesures ont ainsi été passées par arrêtés. Le niveau juridique le plus bas dans la hiérarchie des normes.
Ce stade de démocratie réduite a été permise, acceptée, au nom de l’idée de guerre. De nombreuses analyses sont revenues sur ce terme. Il n’est que de rappeler que nous n’avons aucun ennemi humain. Sans ennemi doué de volonté et de rationalité, pas de guerre possible. Un virus ne mène pas une guerre contre l’être humain. Ce virus nous tue, en ce sens il nous nuit, mais il n'est pas un combattant.
Les plus hauts représentants de l’exécutif nous demandent de nous taire. Forts de la fin qu’ils poursuivent : la survie des français, ils nient la légitimité de discuter des moyens mis en place pour y parvenir. Or, qu’est-ce qui définit une démocratie, si ce n’est la conviction profonde que la fin ne justifie pas les moyens ? Qu’est-ce qui définit la démocratie, si ce n’est cette force collective, tendue vers le bien commun, et qui débat des moyens d’y parvenir, de le parfaire, de le maintenir ? Bien d’autres définitions peuvent être données à la démocratie. Mais je crois que celle-ci est à réaffirmer en ces temps troublés.
J’irai plus loin. Quand on pense aux conditions que nous subissons durant cette épidémie, lorsque l’on compare avec ce qui est fait dans les autres États, on voit bien que le vécu de cette crise sanitaire est directement lié aux moyens dont les États se sont munis depuis des années. A petits moyens alloués pour la santé, grands maux durant cette crise. Débattre des moyens accordés au bien commun est peut être plus urgent que jamais. Car ces moyens sont les conditions dans lesquels nos libertés peuvent s'exprimer.
Alors monsieur le président, nous ne nous tairons pas. Vous vous êtes octroyé le droit d’inventer l’état d’urgence sanitaire. Vous pouvez nous priver de notre droit de circuler. Vous pouvez nous priver de notre droit de nous réunir. Vous ne nous priverez pas de notre liberté d’expression. La démocratie n’est pas un exercice de bon ton que l’on exerce en eau pure. Elle est une vie en communauté fondée sur le respect, la solidarité et la liberté. C’est dans les temps sombres, lorsque les extrêmes se réveillent, lorsque les obstacles se dressent, que nous devons discuter, échanger, débattre, analyser, réfléchir, argumenter, s’interroger. Parce que telle est notre force. Parce que telle est notre Constitution. Tel est le fondement d’une démocratie. Monsieur le président, nous avons collectivement une histoire à honorer, un présent à partager, et un futur à inventer.
C’est en tant que citoyen que vous nous avez appelés aux urnes. C’est en tant que citoyen que nous allons, à nos risques et périls, travailler lorsque notre emploi fait tenir notre pays. C’est en tant que citoyen tendu vers le bien commun que nous nous protégeons les uns les autres en restant chez nous. Alors, monsieur le président, c’est en tant que citoyen que jamais nous ne cesserons d’exercer notre liberté d’expression.
[1] Dominique Rousseau a donné une interview passionnante sur France Culture hier matin. En voici le lien : https://www.franceculture.fr/emissions/la-question-du-jour/nos-libertes-fondamentales-sont-elles-menacees-par-les-mesures-de-lutte-contre-la-pandemie